Impossible de rester de marbre devant les images du méga-feu ayant ravagé Los Angeles. Mais au-delà de la catastrophe, les informations qui nous parviennent suscitent certaines réflexions et la récupération politique des puissants créent énormément de confusion, allant jusqu’à effacer les causes systémiques d’un tel drame. Essayons de voir clair ensemble. Édito.

Comme beaucoup, on se lance dans une recherche d’informations sur l’incendie qui ravage Los Angeles. En parcourant les médias et les réseaux sociaux, on tombe rapidement sur des vues aériennes proprement terrifiantes. Le feu ronge la cité des Anges, devenue un enfer pour ses habitants. Les chiffres font froid dans le dos : plus de 14 700 hectares partis en fumée, des dizaines de milliers de personnes évacuées, des pertes humaines et animales… Difficile de ne pas avoir le cœur serré devant la tragédie.

Face au traitement médiatique, un premier constat s’impose : une focalisation des médias sur UN type de victimes : les stars richissimes, dont les maisons de luxe, concentrées dans le quartier huppé de Pacific Palisades, sont réduites en cendres. Et ce choix narratif n’est pas sans interpeller. Il n’est pas question de se réjouir du malheur de ces célébrités, contrairement à ce que certains pourraient penser, mais d’interroger nos représentations et inégalités, exacerbées par les épisodes de crise violente.

Source : X/twitter

Une actualité mutée en presse people : le spectacle des inégalités.

Voir des individus tout perdre est un spectacle qui invite a minima à l’empathie à échelle individuelle. Une maison, où l’on a vécu parfois toute sa vie, dont on a remboursé le crédit durant des années, est plus qu’un simple toit. On y associe des souvenirs et des biens sentimentaux que l’on garde précieusement, témoignages de notre passage sur terre. Sur ce point, bourgeois et prolétaires se rejoignent.

Sans minimiser les pertes humaines, comment par ailleurs fermer les yeux sur le sort des animaux domestiques et sauvages, calcinés par centaines sans pouvoir fuir. Une hécatombe.

Mais si on peut déplorer l’invisibilisation de la faune et la flore dans ce désastre, que devons-nous enfin penser de celle des citoyens les plus pauvres qui se trouvent encore à Los Angeles sans possibilité de se reloger immédiatement. Ceux-ci ont tout perdu au-delà de leur maison et des biens irremplaçables car, n’ayant pas un compte bancaire garni de millions de dollars comme les célébrités locales médiatisées et encore moins d’assurance solide couvrant les catastrophes climatiques, ils repartirons de rien. S’ils y arrivent…

Source : Le Monde

En outre, le monde entier a pu constater avec étonnement que les plus riches pouvaient s’offrir les services de pompiers privés qui ne se préoccuperont que de la maison de leur client, tant pis pour celle qui flambe à côté, à moins qu’elle ne menace la leur : « Je ne protège que les maisons qui sont sur ma liste. C’est ça la différence entre moi et les pompiers de l’État. Eux vont protéger chaque maison. Moi je ne protège que les maisons qui sont inscrites dans notre programme » déclare l’un d’eux. Un ultra-libéralisme ego-centré où la vie dépend seulement de l’étendue du compte en banque.

« Je ne protège que les maisons qui sont sur ma liste. C’est ça la différence entre moi et les pompiers de l’État ».

Un PDG a ainsi fait scandale après un appel sur X pour recruter d’urgence des pompiers privés. Il était prêt à payer n’importe quel somme d’argent pour que ces pompiers viennent risquer leur vie à protéger sa villa. Lui-même se trouvait en sécurité. Le même personnage qui s’était vanté par le passé de ne pas payer d’impôts et de s’opposer à la taxe foncière qui finance notamment les pompiers de la ville.

Palisades Fire (2025) @CAL FIRE_Offici/Flickr

Aussi, plus ou moins explicitement, cette crise met-elle en lumière que les plus riches peuvent s’extraire de la solidarité et de l’entraide nécessaire à la survie de tous. Ils ont les moyens de vivre à part des classes précaires et moyennes, de payer pour des services privés en dehors des institutions publiques laissées à l’abandon, pour leur sécurité, leur santé, leurs biens… Du moins, c’est ce qu’ils croient, car en dépit de ces services privés, les flammes ont tout emporté avec elles, rappelant la nécessité d’une organisation collective forte devant les catastrophes et plus largement l’urgence écologique.

Mais voilà, c’est tout l’inverse qui se produit. Leur classe sociale élitiste soutient majoritairement des politiques qui réduisent les financements aux organismes d’État et creusent continuellement les dites inégalités. Surtout aux États-Unis, pays du néo-libéralisme triomphant, que ni le parti Démocrate et encore moins le parti Républicain ne remettent en question. Leur charité bien ordonnée, bien sûr, redore leur image publique et permet d’esquiver des impôts, mais pour ne rien changer au système dont ils sont les grands privilégiés.

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Bref, le serpent Capitaliste se mange la queue, allant jusqu’à sacrifier sa propre bourgeoisie. Ce modèle prédateur qui laisse les plus vulnérables au premier rang des injustices est ainsi maintenu, consenti dans les pires heures, mais surtout, entretenu et alimenté par un story-telling ouvertement orienté. Ainsi, quand un cataclysme touche les plus aisés, les médias se montrent davantage mobilisés que pour tout autre chose. Les belles villas et les beaux quartiers dévastés semblent plus attrayants à retransmettre que les désastres qui frappent l’américain moyen, faisant dès lors tomber l’information dans un pur voyeurisme digne des revues people.

S’égrènent sans retenue les noms des stars touchées, des biens qu’elles ont perdus, de leurs interventions émues sur les plateaux TV ou aux cérémonies de remises de prix… Un véritable show glamourisé, loin de l’enfer du terrain pour des centaines de milliers de foyers, ni des injustices structurelles mises en lumière par l’intensification des événements climatiques meurtriers.

Source : X/Twitter 1 & 2

La recherche du clic, du people, du buzz encore et toujours… Les analyses structurelles, comme vous pouvez en lire ici, sont absentes des écrans. Une prétendue neutralité qui n’informe pas.

Dans la foulée, comment ne pas mentionner la récupération politique indécente qu’en fait la droite réactionnaire. Au premier rang duquel, Donald Trump évidemment. Ce dernier n’a pas manqué d’attaquer la gouverneur – démocrate – de la Californie. Elle serait responsable du manque d’eau dont souffrent les pompiers. FAUX, répliquent des experts. Les réserves sont suffisantes. Les difficultés proviennent de la logistique pour les acheminer, dans une ville au très fort étalement urbain.

Et le système de distribution d’eau n’est de toute manière pas conçu pour lutter contre un feu d’une telle ampleur en si peu. de temps. Aucun lieu n’est véritablement prêt à affronter des catastrophes toujours plus puissante. En revanche, la mairie a bien diminué le budget des pompiers de Los Angeles de 17 millions de dollars. Il reste à estimer combien cette baisse a pu être préjudiciable, ce qui ne manquera pas de susciter des débats, tout sauf sereins. Donald Trump s’épargnera bien évidemment de dire qu’un baisse des budgets aux organismes collectifs fait intégralement partie de sa plan politique…

Sur les réseaux sociaux, sans surprise, on trouve également des attaques contre le « wokisme » et la « gauche » accusés d’être responsables des feux. Parce que certaines obsessions se repaissent de n’importe quelle tragédie pour exister. Ces délires fangeux ne méritent pas qu’on s’y attarde davantage. Ceux-ci par contre tentent de camoufler les causes structurelles complexes, scientifiques et réelles derrières ce genre de catastrophes de plus en plus récurrentes.

Source : X/Twitter

Lien entre incendies géants et le dérèglement climatique

Parlera-t-on du dérèglement climatique et de son rôle dans l’aggravation des phénomènes extrêmes ? Pas un mot de la part de Trump et consort évidemment. Les médias restent globalement timides à ce sujet. Ce n’est pas comme si plusieurs milliers de scientifiques tiraient la sonnette d’alarme depuis plus de 20 ans. Les mêmes leur ricanent au nez. Pas touche au système. Pas touche au Dieu pognon. Sauf pour les compagnies d’assurance qui y croient assez pour annuler des milliers de contrats individuels pour sécuriser leurs affaires.

Certains médias spécialisés en font l’écho, heureusement. De fait, les mégafeux qui touchent actuellement la Californie sont multifactoriels. Si l’origine de cet incendie hivernal n’est pas encore définie, criminelle ou non, il est certain que toutes les conditions météorologiques ont été réunies pour qu’il se propage et soit plus violent que jamais. Parmi elles, une trop faible pluviométrie et la hausse moyenne des températures avec +2°c depuis 1895 dans le sud de la Californie. Le cocktail est détonnant.

Pour rappel : les scientifiques ont calculé que le nombre de grands incendies va augmenter de 14% d’ici 2030 et de 30% d’ici 2050 sur la planète à cause des effets du dérèglement climatique qui favorisent les extrêmes et l’intensification des catastrophes. Cette réalité est observable scientifiquement en Californie rappelle France Info : « Si le nombre de départs de feux reste stable depuis une trentaine d’années – entre 7 000 et 8 000 incendies par an dans l’État -, en revanche, la surface brûlée est en très forte hausse. » Rien de plus clair : il y a autant de feux qu’avant, mais ceux-ci sont devenus incontrôlables et ravageurs à cause de nos modèles de société énergivores, polluants et sans limites.

« le nombre et l’intensité des feux de forêts les plus extrêmes ont plus que doublé depuis vingt ans. »

Ailleurs dans le monde, ce n’est pas mieux: « le nombre et l’intensité des feux de forêts les plus extrêmes ont plus que doublé depuis vingt ans. » Évidemment, ces facteurs sont couplés à d’autres comme l’étalement urbain ou les actes malveillants, mais la manière dont les événements prennent par la suite une ampleur démesurée qui dépasse nos moyens est en revanche le fait de notre impact anthropocentrique sur l’équilibre climatique. 

Reporterre analyse ainsi la catastrophe à l’aune du déni climatique des plus riches (qui pensaient échapper à la fin du monde), et des politiques adeptes du capitalisme vert.Chez Contre-Attaque, c’est l’angle du capitalisme mortifère qui a été choisi. Avec cette citation, ô combien adéquat de Marguerite Duras, en 1986, sur le feu nucléaire :

« Maintenant on pourrait presque enseigner aux enfants dans les écoles comment la planète va mourir, non pas comme une probabilité mais comme l’histoire du futur. On leur dirait qu’on a découvert des feux, des brasiers, des fusions, que l’homme avait allumés et qu’il était incapable d’arrêter. Que c’était comme ça, qu’il y avait des sortes d’incendie qu’on ne pouvait plus arrêter du tout. Le capitalisme a fait son choix : plutôt ça que de perdre son règne. »

Ouroboros. Le grand incendie de Los Angeles nous exprime sans doute cela. Le Capitalisme a choisi de finir dévoré par les flammes qu’il a lui même engendrées, emportant le vivant avec lui dans son aliénation, niant sa responsabilité tel un enfant colérique, blâmant quiconque questionne son essence. Nous voilà condamnés à la folie.

@StuPal/X

Mais qu’on se rassure ! Les plus riches de la région attendent dans un hôtel 5 étoiles que les cendres retombent pour faire immédiatement reconstruire. Les plus pauvres abandonneront leur terrain à d’ambitieux projets immobiliers. New Los Angeles émergera de terre en dégageant définitivement ceux qui n’avaient plus les moyens de rester. Le marché des pompiers privés va étinceler. Tout va bien dans le meilleur des mondes.

– S. Barret


Image d’entête @LAFD Limits Westlake Inferno to Two Abandoned Buildings (2017)/Flickr

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