BlackRock est le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, détenant près de 7 800 milliards de dollars d’encours en octobre 2020 [1]. Son modèle repose sur la gestion et le placement d’argent provenant de fonds de pension, d’assurances et de petits épargnants. Un document transmis à l’Autorité des marchés financiers (AMF) annonce que, désormais, le groupe détient également 5,27% du capital d’Orpea, représentant ainsi l’un des principaux actionnaires de la société d’Ehpad accusée de maltraitances sur ses pensionnaires. Peu connu du grand public, ce fonds d’investissement est volontairement opaque sur ses activités. Entre financements douteux et lobbying assumé, plongée en immersion dans les entrailles du monstre.

Récemment révélées par la publication du livre Les Fossoyeurs du journaliste Victor Castanet, les maltraitances systémiques exercées par les structures Orpea sur ses pensionnaires ont fait le tour des actualités. Orpea est le groupe qui se cache derrière les établissements, mais qui se cache derrière Orpea ? Parmi ses actionnaires, se trouve en outre le tentaculaire BlackRock, un puissant gestionnaire d’actifs aux pratiques ambiguës. Créé en 1988, il a ses entrées dans une centaine de pays. Petit aperçu de la partie immergée de l’iceberg :

Une finance sans limite couplée à l’intelligence artificielle

Depuis la crise des subprimes de 2008, l’argent du contribuable ne doit plus servir à sauver des banques et des fonds spéculatifs. Les gouvernements ont ainsi mis en place des régulations fortes sur les établissements bancaires. Or, comme BlackRock n’accorde pas de crédits, puisqu’il investit l’argent de ses clients, le groupe est nettement moins contrôlé. Une marge de manœuvre qui lui aura non seulement permis de reprendre le flambeau de banques comme Goldman Sachs, mais de faire prospérer le modèle capitaliste sans commune mesure.

BlackRock Group
2008 @Americasroof (talk) / Wikicommons

Ses activités ont pris des proportions considérables, au point de mettre en danger l’ensemble du monde financier s’il se trouvait en difficulté ; comme c’est par ailleurs le cas depuis peu en raison de la situation russo-ukrainienne, puisque la « pieuvre » financière accuse déjà 17 premiers milliards de pertes sur des actifs russes. Nul doute qu’une crise pourrait découler de la fragilisation d’un gestionnaire aussi omniprésent que BlackRock, détenteur d’un quasi-monopole de 7 800 milliards d’actifs, soit… trois fois le produit intérieur brut de la France !

Au-delà de sa philosophie d’entreprise qui se résume à rendre les riches encore plus riches, un autre problème se pose et se nomme « Aladdin ».

Ce programme d’analyse, développé en interne, est une intelligence artificielle capable d’effectuer de la gestion de risques et de prendre de nombreuses décisions financières en parfaite autonomie. Ce dernier brasse 18 000 milliards de dollars quotidiennement [3] soit 80% du PIB annuel de l’Union Européenne ! Quand il s’agit de faire du profit, BlackRock est au premier rang des manœuvres les moins éthiques, en témoigne le documentaire d’Arte (2020) : « Ces Financiers qui Dirigent le Monde ».

Le financement de la réforme des retraites françaises

Comme le soulignait le journal Le Monde en janvier 2020 : les syndicats, les partis politiques de gauche et quelques-uns de droite qualifiaient BlackRock de « cheval de Troie de la capitalisation » essayant de tirer profit de la réforme des retraites [4].

Le lien entre ce fonds d’investissement américain et le système de retraites français n’est pas évident à première vue et pourtant, cette réforme est l’occasion idéale pour ramener de nouveaux clients auprès du gestionnaire multinational. Plus précisément : si un gouvernement diminue les cotisations pour la retraite et donc les sommes versées aux personnes concernées, il incite les épargnants des classes supérieures à se tourner vers des fonds de placements privés et BlackRock l’a bien compris.

« Depuis plusieurs années, BlackRock se montre intéressé pour mettre la main sur une partie de l’épargne des actifs français les mieux payés, afin de l’orienter vers l’épargne retraite » rappelle France Info dans son article de vulgarisation : « On vous explique la polémique sur BlackRock, ce fonds d’investissement soupçonné de vouloir imposer la retraite par capitalisation en France »

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Et de rappeler en priorité que : « le 6 juin, Larry Fink [PDG de BlackRock] a été discrètement reçu par Emmanuel Macron, selon L’Obs » et que « en octobre 2017, le gouvernement a demandé au Comité action publique 2022 de plancher sur la réforme de l’Etat. Un groupe d’experts où siège… Jean-François Cirelli, le patron de la branche française de BlackRock ». 

Les rencontres (connues) au sommet ne s’arrêtent pas là poursuit France Info :  « On retrouve encore Larry Fink à l’Elysée en juillet 2019, à l’invitation d’Emmanuel Macron, lors d’une réunion sur le climat et l’investissement ». Cette mainmise, aussi discrète que d’envergure, dépasse les frontières, celles des pays comme des sphères du pouvoir.

A l’assaut de l’économie suisse

Le collectif Breakfree Suisse, en collaboration avec Extinction Rebellion Switzerland, a mis en ligne, le 25 Janvier dernier, le site : https://spotlightonblackrock.ch/fr pour dénoncer les investissements massifs de BlackRock en Suisse.

A lui seul, le groupe détient en effet plus de 5% des parts de toutes les entreprises suisses cotées en bourse (5,4% dans Crédit Suisse, 5% dans l’Union des Banques Suisse, 6% du cimentier Holcim et plus de 9,2% de Glencore pour ne citer qu’eux) et comme tout autre actionnaire, il dispose du droit de vote lors des assemblées générales.

Cette participation importante dans l’économie Suisse fait donc de facto de BlackRock un actionnaire de poids, ce qui n’est pas sans conséquences pour l’économie locale. A titre d’exemple, ses investissements dans les sociétés immobilières (le groupe détient 10% du leader du secteur, Swiss Prime Site) ont permis à celles-ci d’acquérir de nombreuses propriétés et cela influence directement le prix des terrains en Suisse… qui a triplé depuis 2008 [5]. L’hégémonie de BlackRock, longtemps restée imperceptible pour le grand public,  est également fortement liée à de multiples scandales écologiques.

Le changement climatique, une stratégie d’investissement

Larry Fink, le PDG de BlackRock, se présente, dans les courriers envoyés à ses partenaires, comme un visionnaire et un philanthrope, porteur d’une forme moderne de capitalisme…

L’entreprise est pourtant un actionnaire important de Rheinmetall, l’un des plus gros fabricants d’équipements militaires d’Europe. Basé à Düsseldorf, le groupe vend des armes dans le monde entier et son chiffre d’affaires est directement indexé sur diverses guerres civiles. Une recherche de profits sous couverture de progrès, privilégiant les investissements les plus rentables. Et il en va de même pour le réchauffement climatique.

Larry Fink, PDG de BlackRock 2018 @Oscar Thompson-Flickr

Le 2 février, ce dernier alertait par exemple ses clients sur la nécessité d’aménager leurs portefeuilles pour faire face à la transition climatique mais, dans le même temps, BlackRock continue d’occuper le rôle de premier investisseur de Total. Un paradoxe qui ne fait pas exception.

À partir de 2017, BlackRock s’est également engagé dans un processus visant à intégrer le changement climatique dans ses stratégies d’investissement et déclarait à cette occasion que « le risque climatique est un risque d’investissement ».

En d’autres termes, pendant que notre écosystème est en train de subir des températures records et que nous vivons la sixième extinction de masse, BlackRock aborde la question sous le prisme incompatible des conséquences financières.

Ce greenwashing, déployé d’après la conviction volontairement biaisée que « la croissance verte » saura sauver à la fois l’environnement et les intérêts financiers, réveille de plus en plus l’indignation de collectifs écologiques et des activistes de la lutte sociale. Le 10 février 2020, des membres de Youth for Climate, soutenus par plusieurs Gilets jaunes et organisations de lutte écologique dont Extinction Rebellion, ont organisé une action de désobéissance civile dans les bureaux de BlackRock. 

« Nous devons mettre hors d’état de nuire les plus grands pollueurs de la planète » déclarent-ils à Reporterre ; et BlackRock n’en est pas moins que la source de jouvence, une multinationale qui finance, alimente, entretient, encourage et faire perdurer des groupes climaticides, dont une importante partie du secteur des énergies fossile. Pour rappel : la pollution des énergies fossiles a tué 4 fois plus que le Covid-19.

En juillet 2021, Extinction Rébellion France organisait le procès fictif citoyen de BlackRock, en réponse notamment à l’arrestation de deux activistes ayant participé à l’action coup-de-poing du début d’année :

 

Pour ne rien améliorer, le groupe déclare que leur logiciel d’intelligence artificielle Aladdin est également conçu pour aider les investisseurs à suivre la trajectoire d’un portefeuille vers le zéro net, et à mieux identifier les risques et les opportunités climatiques.

Une belle ironie quand on sait que BlackRock possède 6% de Holcim, 9,2% de Glencore et détient des participations permettant de contrôler plus de réserves de pétrole, de gaz et de charbon thermique que tout autre investisseur (l’équivalent de 9,5 gigatonnes d’émissions de CO2, soit 30 % des émissions de carbone liées à l’énergie selon l’ONG InfluenceMap). Et pour ne pas causer de tort à ces entreprises, le groupe n’hésite pas à mener une vaste campagne de lobbying contre la finance durable de l’Union Européenne [6].

Comme le rappelle Nantes Révolté, ce que révèle l’affaire BlackRock – et la banalisation de ses rouages financiers pourtant criminels -, est surtout l’absence de l’Etat dans son rôle de rempart : « Qu’il agisse par la contrainte ou par la violence, l’État est une institution qui profite du système écocidaire capitaliste, les personnes au pouvoir sont intimement liées aux grandes entreprises qui en tirent les principaux bénéfices, et leurs victimes sont les mêmes : l’environnement et la population ».

– Gregoire Brunat

Sources : 

[1] BlackRock dépasse les 7.800 milliards de dollars d’encours, Les Echos, 13 Octobre 2020. https://www.lesechos.fr/finance-marches/gestion-actifs/blackrock-depasse-les-7800-milliards-de-dollars-dencours-1255249

[2] Le changement climatique va secouer les marchés financiers, Le Monde, 02 février 2022.  https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/02/02/le-changement-climatique-va-secouer-les-marches-financiers_6112077_3234.html

[3] Ces Financiers qui Dirigent le Monde – BlackRock, Arte, 06 Octobre 2020. https://youtu.be/voSty1nfU-Q 

[4]  BlackRock l’investisseur qui suit de près l’évolution du système français de retraite, Le Monde, 03 janvier 2020. https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/01/03/blackrock-l-investisseur-qui-suit-de-pres-l-evolution-du-systeme-francais-de-retraite_6024657_3234.html

[5] BlackRock sur le marché immobilier suisse, Spotlight on BlackRock, 25 janvier 2022. https://spotlightonblackrock.ch/fr/insights/real-estate

[6] Le lobbying de BlackRock à l’assaut de la stratégie finance durable de l’UE, Reclaim Finance, 30 juin 2021. https://reclaimfinance.org/site/2021/06/30/le-lobbying-de-blackrock-a-lassaut-de-la-strategie-finance-durable-de-lue/

Image de couverture Procès fictif de BlackRock par @ExtinctionRebellionFrance

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation