Ce dimanche 24 avril, Mr Mondialisation recevait une lettre poignante d’une citoyenne engagée pour la préservation de la forêt de Tarkine située à l’autre bout de la planète, en Tasmanie. Pour mettre à l’honneur son combat, ainsi que celui de chaque personne qui se dresse pour la préservation du Vivant, nous vous racontons l’histoire d’une des forêts les plus vieilles du monde, aujourd’hui menacée par l’insatiable avidité de certains hommes.
« Je m’appelle Charley et je vous contacte depuis l’autre bout de la planète, 40° Sud, en Tasmanie ».
C’est par ces mots que commence la lettre d’une militante qui, comme bien d’autres en France, en Europe ou ailleurs dans le monde, prend part à la préservation de la biodiversité de notre planète. Pour Charley, cette lutte environnementale se concrétise dans la protection d’une des plus anciennes forêts pluviales tempérées du monde : la forêt du Tarkine, située dans l’État australien le plus au Sud du pays, la Tasmanie.
Sur les barricades
Isolée du monde pendant près de 8 000 ans, cette île de 68 401 km2 comptant seulement un peu plus de 500 000 habitants fait figure de sanctuaire pour la faune et la flore exceptionnelle qui s’y développe.
Malheureusement, ces espaces naturels ne font pas toujours exception à la règle de capitalisation du Vivant qui s’impose aujourd’hui dans nos sociétés. Aujourd’hui menacée par la création d’une zone de décharge minière, la forêt du Tarkine est protégée coûte que coûte par des dizaines de bénévoles qui font littéralement obstacle à la concrétisation du projet :
Pour Charley et les autres, « 12 jours difficiles viennent de s’écouler. 12 jours durant lesquels la police est venue détruire nos structures chaque jour pour laisser passer les travailleurs de la compagnie minière. 12 nuits durant lesquelles les activistes ont reconstruit ces barricades pour qu’au petit matin le rouleau compresseur minier n’ait pas d’autre choix que de freiner ». La bataille dure maintenant depuis plus de 15 mois et au total, c’est plus de 80 personnes qui ont déjà été arrêtées selon la militante.
Mais le groupe ne se décourage pas, et si ses membres sont épuisés par la lutte, ils sont aussi enivrés d’espoir et guidés par leurs convictions : « 1 heure et 20 minutes, c’est tout ce que MMG a pu travailler en une semaine. Nous savons pourquoi nous le faisons, et nous ne bougerons pas », affirme ainsi Charley dans la lettre qu’elle nous a adressée ce dimanche 24 avril.
Freiner le rouleau compresseur minier
MMG, c’est l’entreprise en charge du projet minier qui se trouve à Rosebery, au bord de la forêt et à 300 kilomètres au nord-ouest de Hobart, la capitale de l’État. Détenue à grande majorité par China Minmetals, la société d’extraction de ressources exploite, explore et développe des projets de métaux de base dans le monde entier. Elle s’est implantée en Tasmanie dès 1936 et y poursuit son activité depuis plus de 85 ans, employant environ 500 personnes sur une base résidentielle locale.
Du zinc, du cuivre, du plomb, ainsi que de l’or doré : voilà ce qu’extrait MMG des sols tasmaniens. Mais si son site d’extraction se situe hors de la zone forestière, les opérations minières sont inextricablement liées au stockage des résidus comme la roche, l’eau et le limon mais aussi de certains déchets toxiques.
Pour répondre à la production grandissante de la firme, une nouvelle décharge doit donc être créée. Cela inclut non seulement la construction d’une pipeline pour les matières toxiques sur la rivière Pieman, mais aussi la déforestation d’une zone de 285 hectares, soit environ l’équivalent de 350 terrains de football.
Protéger un lieu millénaire
Directement implantée dans la forêt du Tarkine, cette zone de stockage menace de détruire un écosystème vieux de plusieurs milliers d’années. Charley nous rappelle que « cette forêt est plus ancienne que ce que nos esprits peuvent imaginer » et abrite en son sein des espèces animales menacées et endémiques à l’île telles que le diable de Tasmanie, le plus grand marsupial carnivore existant au monde.
Une flore riche et diversifiée y prolifère également et la forêt compte parmi les plus vieux et les plus grands arbres du monde, comme les Myrtle trees âgés pour certains de plus de 500 ans.
Dans la lutte pour préserver ce biome incroyable et pourtant menacé, les manifestants ne sont pas seuls. La Fondation Bob Brown, créé par un membre du parti écologiste australien, s’investit également pleinement pour la cause.
« Ce Vendredi aura lieu la première audition en cour fédérale dans un procès lancé par la Bob Brown Foundation contre la ministre de l’Environnement qui a donné son feu vert à ce projet minier. En cause : une espèce de chouette protégée par la loi fédérale a été détectée et enregistrée sur ce site avec une fréquence remarquable”, nous explique ainsi Charley.
Un patrimoine naturel et historique à préserver
Plus généralement, les bénévoles et la fondation plaident pour que le Tarkine soit introduit dans la zone du patrimoine mondial de Tasmanian Wilderness, ce qui lui permettrait d’accéder de fait à un statut de protection plus élevé.
Le Conseil du patrimoine australien avait déjà jugé en 2013 de l’« importance exceptionnelle pour le patrimoine national » de ce lieu, autant pour sa valeur écologique et que pour son histoire culturelle.
Au-delà d’une diversité et d’une densité remarquables de la faune et la flore, la forêt abrite en effet de nombreux sites aborigènes historiques qui la classent parmi « les plus grands sites archéologiques du monde », selon l’instance australienne.
Mais le secteur minier pèse lourd au pays des kangourous – il a été évalué à près de 2 milliard de dollars en 2016 et 2017 – et les soutiens politiques au projet de MMG ou d’autres exploitations sont nombreux.
Résultat : seulement 4% de la surface à protéger selon le Conseil du patrimoine a finalement été répertoriée par le gouvernement australien.
Rallumer la flamme
Pour Charley et les autres bénévoles, le combat continue et ne s’arrêtera pas tant que des buldozer menaceront les arbres centenaires de la forêt de Tarkine. La militante y voit aussi un espoir envoyé à tous les autres mouvements de protection de la nature sauvage : « à une époque ou la frustration et le sentiment d’être impuissant sont rampants, ce mouvement d’action non-violente rallume des flammes ».
Pour elle qui a grandi en France, sur un territoire où il ne reste presque plus rien des forêts primaires qui le recouvraient à l’époque, il est d’autant plus urgent de se battre pour cet écosystème essentiel à la préservation d’un équilibre planétaire et au rappel de notre histoire collective.
L.A.