À l’initiative de la Belgique, l’Union interparlementaire (UI), rassemblant 179 parlements nationaux à travers tous les continents, a récemment adopté une résolution invitant les différents états à reconnaitre le crime d’écocide dans leur droit pénal national. Cette résolution a reçu le soutient historique de la quasi-totalité des états membres de cette organisation internationale, à l’exception de l’Inde, de la Turquie et du Nicaragua. Comme le rappelle le député fédéral belge Cogolati, « en invitant les parlements de l’UI à renforcer le droit pénal pour prévenir et punir les dommages graves causés à l’environnement et à reconnaître le crime d’écocide afin de prévenir les menaces et les conflits résultant des catastrophes liées au climat et à leurs conséquences, la Belgique montre qu’on peut aussi changer le monde dans les Parlements ! »[1]. La reconnaissance d’un crime d’écocide à échelle nationale ou dans le droit international pourrait bouleverser le paysage du droit environnemental et apporter enfin de réels outils juridiques pour mettre un terme et sanctionner les atteintes graves à l’intégrité des écosystèmes.

Actuellement, une majeure partie des activités humaines qui nuisent grandement ou menacent l’existence et la survie des écosystèmes et de la biodiversité ne sont pas reconnues comme des crimes dans nos droits pénaux nationaux ou en droit international. Pire encore, ces activités sont souvent régies par des lois, accords ou traités qui, directement ou indirectement exacerbent la perpétuation de ces « crimes légaux ». On peut notamment citer comme exemples, les permis d’exploitation minière, pétrolière ou de déforestation, les quotas de pêches souvent bien trop généreux, l’agriculture industriel et intensive, l’utilisation de pesticides, l’autorisation de la chasse ou l’extermination des animaux considérés comme étant « nuisibles », etc.

Déforestation de la vallée de Jirau pour y accueillir une nouvelle centrale hydroélectrique – Flickr

Les propositions de lois sur l’écocide reposent sur l’hypothèse que les instruments juridiques existants ont une portée matérielle limitée pour permettre une protection suffisante de l’intégrité de la nature, généralement en raison de leur caractère anthropocentré, ce qui les rend donc inadéquats pour faire face à la crise écologique et prévenir la destruction de notre environnement.

Le concept d’écocide, qui dérive du néologisme des mots oikos (maison) et caedere (tuer) en ancien grec, apparait pour la première fois en 1970 à la Conférence sur la guerre et la responsabilité nationale lorsque le professeur Galston, biologiste qui identifia les effets défoliants des produits chimiques exploités dans l’agent orange lors de la guerre du Vietnam, proposa d’adopter un accord international pour interdire les crimes d’écocide[1]. Durant les deux décennies suivantes, des groupes de travail au sein de la Commission du droit international (CDI), mandatée par l’Assemblée Générale des Nation Unies pour établir un code des infractions contre la paix et la sécurité de l’humanité[2], ont activement œuvré pour inclure les dégradations faites à l’environnement et les méthodes écocidaires dans le futur Statut de Rome. Un article 26, criminalisant les « dommages graves et délibérés à l’environnement », avait finalement été ajouté au projet.  Toutefois, la Belgique, l’Autriche, l’Australie et l’Uruguay avaient émis des critiques quant à l’inclusion de l’élément intentionnel et regrettaient l’absence de référence au terme « écocide » dans l’article 26 du projet du Statut de Rome. Dès lors, sans plus de justifications, la CDI décida de supprimer l’article 26 du projet dans son intégralité[3].

Importance d’un instrument juridique pénal pour assurer la protection effective de l’environnement

 Les dispositions pénales ont vocation à identifier les comportements et activités considérés comme étant fondamentalement mauvais et punissables dans une société. Par ailleurs, en raison des graves conséquences économiques, sociales et humaines qu’une infraction pénale peut entraîner, tel que la privation de liberté, ces dispositions ont une grande force préventive. Au contraire, en droit de la responsabilité civile, lorsque la responsabilité d’un individu est engagée pour les fautes commises qui ont causé un dommage dans le chef de la victime, il sera, tout au plus, tenu de lui verser des dommages et intérêts, souvent moindre par rapport à l’étendue des dommages causés.

À titre d’exemples, lors du naufrage du pétrolier Erika à proximités des côtes bretonnes, plus de 20.000 tonnes de fioul ont été déversés dans l’Atlantique, causant de graves conséquences pour les écosystèmes avoisinants et tuant environ 150.000 oiseaux de la région. Cette catastrophe écologique s’est soldée par le prononcé d’une amende s’élevant à la modique somme de 375.000€ dans le chef de la multinationale[4].

Or, avec l’effet dissuasif de la reconnaissance d’un crime d’écocide, le principe du « pollueur-payeur », lorsqu’il est identifié, serait remplacé par le nouveau principe directeur du « pollueur ne pollue pas »[5].

L’explosion de la plateforme Deepwater Horizon, à l’origine de la plus grande marée noire de l’histoire des USA. – Pixabay

La reconnaissance du crime d’écocide

 En droit pénal international, depuis l’abandon de l’article 26 du projet du Statut de Rome, la seule référence faite à la destruction environnementale figure à l’article 8 qui stipule que : « le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu constitue un Crime de guerre »[6]. Autrement dit, la seule forme d’écocide reconnue à ce jour en droit international est la destruction intentionnelle de l’environnement en temps de guerre. Toutefois, la grande majorité des catastrophes environnementales interviennent en temps de paix et rarement avec un caractère intentionnel.

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En 2010, l’avocate britannique et militante écologiste, Polly Higgins, a proposé à la CDI de modifier le Statut de Rome pour y inclure le crime d’écocide dans la liste des Crimes contre la paix, aux côtés des Crimes de guerre, de génocide, d’agression et contre l’humanité. Dans sa proposition de résolution, l’avocate a particulièrement insisté sur l’importance de reconnaître un crime d’écocide pouvant être perpétré en temps de paix, sans élément intentionnel et pouvant être imputé aux acteurs non couverts par le Statut, tels que les entreprises et États[7]. Toutefois, le Statut ne reconnaissant pas explicitement la « responsabilité stricte » et consacrant uniquement la responsabilité pénale individuelle, il convient de préciser qu’un certain nombre d’amendements devront être opérés pour fournir une base juridique à ces différents éléments.

Ces dernières années, de nombreux mouvements citoyens réclamant la reconnaissance d’un crime d’écocide ont vu le jour, notamment à travers la compagne #STOPECOCIDE. Par ailleurs, ces mouvements sont de plus en plus soutenus par des représentants étatiques ou des instances internationales. Par exemple, en 2019, le Vatican s’est officiellement prononcé en faveur de la reconnaissance du crime d’écocide comme cinquième crime contre la paix. En 2020, Sophie Wilmès, ancienne Première Ministre belge et actuel Ministre des affaires étrangères, a fait une déclaration devant l’Assemblée des États parties de la CPI demandant la criminalisation de l’écocide devant la Cour pénale internationale. En 2021, le Parlement Européen et le Secrétaire Général des Nations Unies se sont également prononcés dans ce sens, insistant sur l’importance de cette reconnaissance au niveau du droit international ou européen en raison du caractère transfrontalier de catastrophes environnementales[8].

#STOP ECOCIDE – Flickr

À échelle nationale, dix pays ont déjà reconnu l’écocide dans leur code pénal interne, dont la Géorgie, la République d’Arménie, l’Ukraine, le Belarus, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Moldavie, la Russie et le Vietnam. Bien que la CDI ait retiré l’écocide du projet de Statut de Rome en 1996, l’URSS était favorable à l’adoption d’une loi sur l’écocide et l’a transposée dans son code pénal national. Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, certains nouveaux États ont inclus des lois sur l’écocide dans leur droit national. Cependant, la corruption et le manque d’application de ces dispositions remettent grandement en cause l’efficacité et leur mise en œuvre pratique[9].

Avec la résolution adoptée par l’Union Interparlementaire, le futur développement des lois écocidaires dans les droits internes des différents pays membres de l’organisation semble prometteur et encourageant.

Reconceptualisation urgente de la place que nous occupons

La raison fondamentale de la crise écologique que nous traversons actuellement est principalement due à notre perception anthropocentrée du monde selon laquelle, l’existence humaine est séparée de l’univers, de la Terre et de toutes les communautés de vie qui nous entourent. Il est essentiel et urgent de passer de cette appréhension erronée de la réalité à une conscience de la réalité éco-centrée, dans laquelle toutes les communautés de vie, humaines et non-humaines, s’articulent dans un contexte global où la survie de nos générations et des générations futures dépend intrinsèquement de la survie des écosystèmes et de la biodiversité.

W.D.

Image d’entête : Jorge Jacinto

[1] Leebaw, B. (2014) Environmental War Crimes and International Justice, Perspectives on Politics, Vol. 12, Disponible sur:https://www.jstor.org/stable/pdf/43280032.pdf?refreqid=excelsior%3A5406902b7ce81101b0f49b4f54fc3930

[2] UN General Assembly (1947) Formulation of the principles recognized in the Charter of the Nurnberg Tribunal and in the judgment of the Tribunal, A/RES/177 (II), Disponible sur: https://digitallibrary.un.org/record/210004?ln=fr

[3] Gauger, A., Rabatel-Fernel, M. P., Kulbicki, L., Short, D., Higgins, P. (2012) The Ecocide

Project – “Ecocide is the missing 5th Crime Against Peace”, Human Rights Consortium, Disponible sur: https://sas-space.sas.ac.uk/4830/1/Ecocide_research_report_19_July_13.pdf

[4] Ibid., https://ecolo.be/sous-limpulsion-de-la-belgique-lunion-interparlementaire-invite-les-pays-du-monde-entier-a-reconnaitre-lecocide/

[5] Higgins, P., Short, D., South, N. (2013) Protecting the planet: a proposal for a law of ecocide, Crime Law Soc Change, Vol. 59

[6] UN (1998), Statut de Rome de la Cour pénale international, disponible sur https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf

[7] Higgins, P. (2015) Eradicating Ecocide – exposing the corporate and political practices destroying the planet and proposing the laws to eradicating ecocide, London: Shepheard Walwyn, 2nd Edition

[8] STOPECOCIDE, Leading States and Key dates, disponible sur: https://www.stopecocide.earth/leading-states

[9]EcocideLaw (2010) Existing laws of Ecocide, Available at: https://ecocidelaw.com/the-law/existing-ecocide-laws/

[1] Cogolati, S., « Sous l’impulsion de la Belgique, l’Union Interparlementaire invite les pays du monde entier à reconnaître l’écocide » in Ecolo – Actualités, 25 Mai 2021, disponible sur https://ecolo.be/sous-limpulsion-de-la-belgique-lunion-interparlementaire-invite-les-pays-du-monde-entier-a-reconnaitre-lecocide/

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