« Made in Bangladesh » : le combat d’une ouvrière pour monter un syndicat (Film)

    Au Bangladesh, Shimu, 23 ans, travaille dans une usine textile de la ville de Dacca. Les conditions de travail qu’elle doit endurer (risque d’accident, salaire impayé, renvoi arbitraire, bâtiments vétustes,..) la pousse à entamer des démarches pour monter un syndicat. Impensable dans un pays où la main d’œuvre essentiellement féminine est réputée très malléable et peu critique. Une aubaine pour les grandes marques. Dans son projet audacieux, elle se heurtera au désaccord de son mari, les menaces de son patron et l’indécision de ses camarades… Son combat donne aujourd’hui naissance à un film documentaire.

    Le combat de Shimu est librement inspiré d’une histoire vraie, celle de Daliya Akhtar Dolly. Son histoire est d’ailleurs rapportée par la voix de Shimu : avant d’arriver à Dacca, elle vivait dans un village dont elle s’est enfuie à 11 ans pour échapper à un mariage forcé. Autant dire que son caractère est forgé très tôt par un refus de la soumission. Grâce à un membre de sa famille, elle trouvera du travail dans une usine textile lui permettant dans un premier temps de simplement survivre. Maltraitée par ses supérieurs qui traitent leurs employées comme du bétail, elle se battra pour monter un syndicat avec ses amies et collègues…

    Shimu, au centre habillée de jaune et vert

    La réalisatrice Rubaiyat Hossain n’a pas situé au hasard le cœur de son récit dans une usine textile du Bangladesh. Car au niveau mondial, ce pays est le deuxième plus gros exportateur de vêtements après la Chine. Au Bangladesh, cette industrie représente 80% des exportations et pèse 30 milliards d’euros par an, un poids économique énorme donc. Les vêtements qui sortent des ateliers du Bangladesh vont alimenter les magasins de marques bien connues en occident : H&M, Zara, Calvin Klein, Carrefour, Aldi. Petites et grandes marques, tout y passe !

    Mais ce que le consommateur ne voit évidemment pas, ce sont les conditions de travail oppressives et les salaires extrêmement faibles (les plus bas au monde) des petites mains qui fabriquent nos vêtements. Salaires qui ne donnent le plus souvent même pas de quoi simplement vivre. Comme une militante l’explique à Shimu, son salaire mensuel équivaut au prix de 2 ou 3 t-shirts qu’elle confectionne, soit une cinquantaine d’euros à peine. Son usine en produit plus de 1 000, chaque JOUR !

    De plus, les ateliers sont souvent installés dans des immeubles mal conçus, sans autorisation et les risques d’accident mortel ne sont pas rares faute de système de sécurité efficace : 500 ouvrières sont mortes en 10 ans au Bangladesh. Peut-être le spectateur se souviendra-t-il de l’effondrement du Rana Plazza en 2013 qui avait causé la mort de 1 200 personnes. Ce drame, relayé au niveau international, avait alors mis en lumière la réalité de la production textile au Bangladesh. Le consommateur occidental découvrait la triste vérité qui se cachait derrière les vêtements qu’il achetait. Mais depuis, combien se souviennent de cette catastrophe alors que la situation n’a guère évoluée ?

    Shimu présente le code du travail à ses camarades

    Les femmes – parfois mineures – représentent 85% des employé(e)s du milieu textile. Comme mentionné dans le film, cette surreprésentation s’explique par le fait que les femmes sont considérées comme plus faciles à contrôler et sont moins payées que les hommes sans chercher à se rebeller. La rencontre de l’offre et la demande diront les libéraux, se souciant guère des rapports de domination… Le statut de femme de Shimu dans une société encore patriarcale est d’ailleurs pointée habilement et subtilement dans le film, à travers sa manière de se coiffer qui évoluera, et les échanges entre les personnages. Lors d’une dispute avec l’une de ses collègues une phrase de Shimu viendra d’ailleurs percuter le spectateur de plein fouet : « Nous sommes des femmes. Fichues si l’on est mariées, fichues si on ne l’est pas… ». L’étau qui enserre la vie des femmes bengalies résumée en une phrase. Soumission contre soumission. Mais c’est un étau que refuse Shimu.

    De part sa condition de femme et d’épouse, dans le pays, Shimu n’est pas censée tenir tête à son époux qui voudrait qu’elle arrête de travailler, ni d’exprimer ses rêves de justice à son patron. Elle en trouvera cependant le courage, poussée par l’injustice des conditions de travail de toutes les femmes. Le fait qu’elle soit lettrée renforce indubitablement sa volonté de se battre, pour elle et pour ses camarades. Quand ses amies commencent à douter du bien fondé de leur démarche à cause des risques qu’elles encourent, Shimu saura leur redonner confiance. Sans surprise, les dirigeants voient rapidement d’un mauvais œil l’arrivée d’un syndicat dans leur usine et celui de Shimu n’hésitera pas à proférer – et mettre à exécution – des menaces de renvoi envers celles qui voudraient y prendre part. Alors que Shimu et ses camarades agissent seulement pour faire respecter leurs droits que leur patron bafoue allègrement avec la participation aveugle des autorités (imposition de travail de nuit, renvoi arbitraire, faible salaire,…).

    Si le patron de Shimu peut se permettre d’agir ainsi en toute impunité, c’est qu’au Bangladesh, les grands patrons du textile sont très proches des partis au pouvoir. Au point que des libertés fondamentales comme le droit de grève, le droit de manifester et les libertés syndicales sont régulièrement bafouées par ceux censés représenter les lois. Dans le film, cette réalité transparaît à travers l’ultime difficulté rencontrée par Shimu à faire simplement enregistrer son syndicat au ministère du Travail. L’employé devant valider une demande soumise aux pressions de patrons venues d’en haut. On peut parler d’une véritable corruption systématisée.

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    La victoire inattendue de Shimu, qui réussira à lui arracher l’enregistrement de son syndicat envers et contre tout, ne devra pas faire oublier qu’il s’agit simplement d’une petite bataille « locale » gagnée dans une guerre qui continue et dont l’issue reste incertaine. Car à la fin, Shimu et les ouvrières de son atelier ont seulement gagné la possibilité de faire pression pour leurs droits auprès de leur patron, sans garantie d’avoir justice. Mais quelle bataille…

    En décembre 2018, le ministère du Travail a opéré une revalorisation du salaire minimum lequel est passé de 5 300 takas (54€) à 8 000 (82€). Les syndicats ont dénoncé une hausse insuffisante et une grève fut menée en janvier 2019. Une manifestation a réuni 50 000 personnes mais a été durement réprimée par la police. Un millier de grévistes furent licenciés. Oui, hélas, le combat des homologues de Shimu est encore loin d’être terminé, la lutte se gagnant pas après pas sur le long terme. Pendant ce temps, nos marques se gavent littéralement sur la misère humaine d’un peuple – avec notre participation volontaire – voué à une forme d’esclavagisme moderne pour avoir simplement le droit de vivre un peu plus longtemps. Qu’avons nous donc appris de l’Histoire ?

    « Made in Bangladesh » sortira en salles le 4 décembre 2019.

    S. Barret


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