Alors que la COP27 se clôture cette année encore sur de nouveaux échecs et une troublante léthargie, une volonté est tout de même ressortie, plus forte que jamais : celle des pays les plus vulnérables réclamant aux pays développés la réparation de leurs pertes et préjudices causés liés au dérèglement climatique. En effet, les pays les plus précaires sont déjà en première ligne des catastrophes d’origine anthropique, tandis que les premiers responsables de ces effets en sont préservés. Zoom sur cette requête significative.
La COP27 s’est déroulée du 6 au 18 novembre à Charm el-Cheik en Egypte dans un contexte de répression envers les activistes pour le climat et pour les droits humains.
Cette 27ème conférence sur le climat des Nations Unies, présentée comme « COP africaine », a aussi et surtout été marquée par la volonté des pays en développement de demander des dédommagements aux pays riches pour les pertes et préjudices causés par le dérèglement climatique, et l’inscription de cette demande à l’agenda des négociations. Retour sur les coulisses et avancées de cette dernière conférence internationale sur le climat.
Un réchauffement climatique de plus en plus dévastateur
Les catastrophes naturelles deviennent de plus en plus fréquentes et dévastatrices. En septembre, le Pakistan a subi des inondations sans précédents, mettant sous l’eau pas moins d’un tiers du pays, affectant la vie de 33 millions de sinistrés et dont les dégâts sont estimés à 30 milliards de dollars par la Banque mondiale. A la suite d’une visite dans le pays dévasté, Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, rappelait « la responsabilité morale [des pays riches] d’aider les pays en développement comme le Pakistan à se remettre de telles catastrophes« .
Au Sahel, l’une des régions les plus exposées au réchauffement climatique, les sécheresses successives entraînent des conséquences désastreuses pour les populations, entre insécurité alimentaire, migrations et désertification. Tant de phénomènes qui sont, par ailleurs, soupçonnés d’aggraver les tensions et conflits dans ces zones selon International Crisis Group.
Cette année, l’Europe a connu son été le plus chaud jamais enregistré. Les vagues de chaleurs se sont succédé et les températures ont atteint des records, jusqu’à 48,8°C en Sicile. Selon Copernicus, le programme d’observation de la Terre l’Union Européenne, les températures entre juin et août ont été supérieures d’en moyenne 1,34°C par rapport à la moyenne de 1991-2020. Ces chaleurs ont entraîné avec elles des sécheresses et incendies ravageurs.
Rien qu’en Gironde, ce ne sont pas moins de 30.000 hectares de forêt qui sont partis en fumée durant les mois de juillet et d’août. En Espagne, pays européen le plus gravement touché cet été, plus de 280 000 hectares ont brûlé.
En bref, les exemples récents de phénomènes extrêmes causant d’énormes dégâts matériels et humains ne manquent pas. Si ces catastrophes ont eu lieu de tout temps, leur ampleur et leur fréquence ne cesse d’augmenter à cause du dérèglement climatique, notamment dans les zones les plus vulnérables.
Une demande grandissante des pays les plus exposés
Face à ces catastrophes et les dégâts qu’elles entraînent, tous les pays ne disposent pas des mêmes moyens, ni pour s’y préparer ni pour se reconstruire. C’est dans cette optique que, depuis 1991 déjà, les pays les plus vulnérables, avec les pays insulaires comme chefs de file, demandent des fonds de réparation pour les dégâts causés, communément appelés “pertes et préjudices”.
Ceux-ci avaient été reconnus dans l’article 8 de l’Accord de Paris, stipulant la « nécessité d’éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques », mais aucun financement de compensation structurel n’avait alors été prévu.
Concrètement, les pertes et préjudices (loss and damage) désignent les conséquences inévitables et irréversibles du réchauffement climatique causé par l’activité humaine, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles extrêmes (inondations, tempêtes, cyclones, etc.) ou de phénomènes à plus long terme résultant de la hausse des températures (sécheresses extrêmes, élévation du niveau de la mer ou encore fonte des glaciers). Ces pertes et préjudices peuvent être de nature économique (infrastructures, logements, terres, …) ou non-économique (vies humaines ou biodiversité).
Lorsque l’on sait que les pays riches sont responsables de la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre alors que le continent africain, par exemple, est quant à lui responsable d’à peine plus de 3% de ces émissions, on peut comprendre cette volonté des pays du Sud à être aidés financièrement en compensation.
Opposition des pays du Nord
Pourtant, cette demande n’avait jusqu’ici pas fait suffisamment écho jusqu’aux pays concernés, restant réticents à une telle demande. D’une part, les pays du Nord souhaitaient privilégier les investissements consacrés aux mesures d’atténuation du réchauffement climatique et d’adaptation à ses conséquences. D’autre part, accepter ce fonds revenait à un aveu de responsabilité de leur part…
Lors de la COP26 à Glasgow, un groupe de pays en développement avait à nouveau réuni ses forces pour remettre la question au cœur des négociations. Mais ceux-ci s’étaient encore une fois heurtés à la ferme opposition de la majorité des grand pollueurs : les Etats-Unis, l’Union Européenne, ou encore l’Australie, empêchant toute progression sur le sujet.
En 2021, seuls le Danemark, l’Ecosse et la Région Wallonne en Belgique se sont engagés à mettre en place des dédommagements climatiques pour les pays vulnérables.
Cette question de fonds de compensation était donc restée sans suite jusqu’à cette COP27 qui la remet à l’ordre du jour, et ce, notamment grâce à la présidence d’un pays africain portant la voix des pays en développement. Pendant toute la COP, les débats sont restés houleux à ce sujet entre pays pauvres et pays potentiellement contributeurs. Mais à quelques heures de la fin de la COP, c’est l’Union Européenne qui a créé la surprise en se prononçant favorablement pour l’indemnisation des pertes et préjudices.
Le 20 novembre, au terme d’une prolongation des négociations faute d’accord à l’unanimité, les 200 pays de la COP27 se sont finalement alignés sur la création d’un fonds spécifique dédié aux pertes et dommages. L’accord final prévoit la formation d’un comité chargé de définir les modalités de ce mécanisme de financement, et de le rendre opérationnel d’ici 2 ans.
La décision de l’existence d’un fonds pertes et préjudices a donc été actée, mais certains points sensibles restent encore à négocier : quels montants ? quels bénéficiaires ? et surtout, qui va payer?
Les pollueurs historiques depuis la révolution industrielle, à savoir l’Europe et l’Amérique du Nord, ou les pays ayant les capacités financières de participer ? La participation de la Chine en tant que pays contributeur au fonds, par exemple, n’est pas encore résolue. En effet, les autorités chinoises refusent pour l’heure d’y prendre part officiellement, le pays étant toujours classifié par l’ONU comme « pays en développement », alors qu’il est actuellement le plus gros émetteur de gaz à effets de serre de la planète, représentant à lui seul 27% des émissions mondiales. Toutefois, il reste bon de noter que les autres pays développés exportent énormément de leur propre pollution : notre consommation provenant souvent de Chine et nos déchets y retournant ensuite…
Dédommager les dégâts du réchauffement climatique c’est bien, les prévenir c’est mieux…
Si la création du fonds pertes et préjudices représente une belle avancée en termes de justice climatique, cela n’enlève rien à la déception (à nouveau) des faibles engagements pris par les Etats lors de la COP27 pour ralentir le dérèglement climatique. Sans oublier les violations de droits humains en marge de cette COP en Egypte réprimant les activistes…
Le volet « atténuation » du réchauffement climatique a été bâclé dans l’accord qui ne fait que réaffirmer l’objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. Or, dans l’état actuel des choses, il est estimé que les températures moyennes augmenteront de 2,6°C (et jusqu’à 6°C dans les pays les plus vulnérables) d’ici 2100.
Le texte de la COP27 n’impose aucun engagement climatique supplémentaire pour les pays signataires par rapport aux accords précédents, et toujours aucune sanction en cas de non-respect de ceux-ci.
La question des énergies fossiles, et plus particulièrement du pétrole et du gaz, à laquelle il est indispensable de s’attaquer pour une politique environnementale crédible, est elle-aussi restée intouchable. Plusieurs pays ont plaidé pour que le texte final prévoit une sortie des énergies fossiles, mais les pays exportateurs de pétrole tels que l’Arabie Saoudite, l’Iran ou encore la Russie, ainsi que pas moins de 656 lobbyistes du secteur présents selon une analyse de Global Witness, ont empêché toute avancée à ce sujet.
Finalement, seule une mention de la nécessité de développer les énergies renouvelables (industrielles…) se retrouve dans le texte final de la COP, et aucune nouveauté sur les combustibles fossiles par rapport au texte de Glasgow qui prévoyait seulement une réduction progressive du charbon.
Les perspectives ne sont pas plus réjouissantes concernant la prochaine COP lorsque l’on sait qu’elle se déroulera aux Emirats Arabes Unis…
Bilan à nouveau mitigé pour cette COP27
Si ce fonds « perte et préjudices », réclamé par les pays les plus vulnérables depuis des années – et finalement accepté par les pays occidentaux – représente une avancée vers plus de justice climatique, le bilan de la COP27 reste tout de fois plutôt négatif.
Comme souvent, cette COP ne s’est pas révélée à la hauteur de l’urgence climatique actuelle et, au contraire, s’avère être une nouvelle déception en termes d’objectifs et d’engagements pour limiter le réchauffement climatique, surtout de la part des grands pollueurs.
Il est indispensable de sortir progressivement des énergies fossiles, et cette nécessité reste malheureusement bloquée par les intérêts de certains Etats au détriment du futur de la planète. Enfin, les pays signataires n’ont que très peu de contraintes pour respecter les ambitions de l’accord de Paris et des autres précédentes COP. Certains ont d’ailleurs admis que l’accord de la COP était très décevant et pas assez ambitieux, mais c’est loin d’être gagné partout.
– Delphine de H.
Sources
« COP27 : que sont les « pertes et dommages », l’un des sujets les plus brûlants des négociations climatiques ? », Thomas Baïetto, franceinfo, 8/11/2022, https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/cop27-on-vous-explique-les-pertes-et-dommages-l-un-des-sujets-brulants-des-negociations-climatiques_5457337.html
« Au Pakistan, les pires inondations de l’histoire du pays ont eu l’effet d’un électrochoc sur la population », Carole Dieterich, Le Monde, 9/11/2022, https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/11/09/dereglement-climatique-au-pakistan-les-inondations-marquent-un-tournant-dans-l-opinion-publique_6149138_3244.html
« COP27 : au cœur des enjeux climatiques, le Sahel tente d’enrayer les effets du réchauffement », David Rich, France 24, 11/11/2022, https://www.france24.com/fr/afrique/20221111-cop27-particuli%C3%A8rement-expos%C3%A9-le-sahel-tente-d-enrayer-les-effets-du-r%C3%A9chauffement-climatique
« Who emits the most CO2 today? », Hannah Ritchie, Our World in Data, Octobre 2019, https://ourworldindata.org/annual-co2-emissions
Source photo de couverture 2022.11.13_Nhattan_COP27_p159 @Indigenous Climate Action / Flickr