L’industrie de la mode est remise en cause un peu plus chaque année en raison du sort des travailleurs du textile et des incidences environnementales importantes de la production des vêtements. Alors qu’au sein de la société civile des voix de plus en plus nombreuses appellent à faire évoluer les règles du secteur, les grandes entreprises sont elles prêtes à faire preuve de plus de transparence ? Nous sommes encore bien loin du compte nous explique Chloé Mikolajczak, coordinatrice du mouvement Fashion Revolution Belgique. Interview.
Mr Mondialisation : Qu’est-ce-que « Fashion Revolution » ?
Chloé Mikolajczak : Fashion Revolution est une campagne internationale créée en 2013 suite à l’effondrement de l’usine Rana Plaza au Bangladesh qui a causé la mort de plus de 1100 ouvriers textiles. Le but de la campagne est de sensibiliser le grand public aux impacts de l’industrie de la mode et de demander aux entreprises du secteur d’avantage de transparence dans leurs chaînes d’approvisionnement grâce au hashtag #Whomademyclothes. En effet, pour Fashion Revolution, il est très difficile de gérer les nombreux problèmes au sein des chaînes de production si on ne sait pas où ils se situent. Or, l’industrie de la mode est souvent très opaque, notamment en raison du nombre important de sous-traitants et de la faible traçabilité des produits.
Originaire d’Angleterre, la campagne a aujourd’hui lieu dans plus de 100 pays à travers le monde lors de la Fashion Revolution Week autour du 24 avril (date de l’effondrement du RP). Elle engage près de 2 millions de personnes, dont 66.000 lors des divers évènements. L’impact sur les réseaux sociaux est également très important, puisque le mot-clé #whomademyclothes a été utilisé près de 113.000 fois en 2017 et a atteint près de 533 millions de personnes.
Mr Mondialisation : L’industrie de la mode s’affiche partout, depuis la publicité dans les rues jusqu’à la télévision. Elle influence la manière dont s’habille une bonne partie de la population. Vous luttez contre sa face obscure, mais quelle est-elle exactement ?
Chloé Mikolajczak : L’industrie de la mode est particulièrement peu transparente. Pour une marque comme H&M ou Primark, il est particulièrement complexe de savoir exactement où leurs vêtements sont fabriqués et par qui. Pour cause, les chaînes d’approvisionnement sont composées d’un nombre important de sous-traitants. Ces derniers font souvent abstraction des codes de bonne conduite des marques de mode.
Pourtant, les enjeux ne peuvent pas être obnubilés : sur le plan social, on parle de problèmes comme le travail des mineurs (en Turquie, de nombreuses usines textiles profitent de la vulnérabilité des réfugiés syriens pour faire travailler des mineurs sans permis de travail et pour des salaires inférieurs au salaire minimum), de l’exploitation de travailleurs pour des salaires ne permettant pas de vivre décemment (60 euros en moyenne par mois pour un travailleur bangladeshi), de l’intimidation physique et psychologique, de l’interdiction de former des syndicats, de l’insécurité des lieux de travail.
Sur le plan environnemental, l’industrie de la mode est une des plus polluantes au monde. Le coton conventionnel (non bio) est la plante qui requiert le plus de pesticides au monde (16 % de l’utilisation d’insecticides au niveau mondial est dédié au coton, selon le Pesticide Action Network). Pour leur part, les fibres synthétiques sont souvent faites à partir de dérivés de plastique ou de pétrole. Les tanneries et autres usines textiles sont responsables d’une majorité de la pollution, parfois irréversible, de nombreux fleuves notamment en Asie de l’Est à cause de leurs rejets de produits toxiques sans système de filtration. La campagne Detox de Greenpeace (lancée en 2011) a mis en lumière des cas de pollutions extrêmes provenant d’usines textiles en Chine liées à un certain nombre de marques bien connues en Occident telles que Nike, Adidas et H&M. Or, ces substances ne sont pas seulement extrêmement nocives pour l’environnement, elles le sont également pour la santé humaine des personnes habitant aux abords de ces fleuves, mais aussi de celles qui cultivent le coton ou appliquent les colorants etc.
Mr Mondialistion : L’accident du Rana Plaza que vous citiez à l’instant reste dans les esprits de tous. Une telle catastrophe est-elle encore possible ou est-ce que les industriels ont fait évoluer leurs pratiques ?
Chloé Mikolajczak : Le problème reste toujours ce manque de transparence qui rend très difficile une réelle vigilance tout au long de la chaine d’approvisionnement d’une marque. Toutefois, il y a tout de même des avancées. « The Accord on Fire and Building Safety in Bangladesh » par exemple est un accord légalement contraignant entre marques signataires et associations syndicales afin de rendre l’industrie textile plus sûre pour les travailleurs notamment en terme de sécurité des usines. De grands noms comme Inditex, groupe propriétaire de Zara et le groupe H&M ont signé l’accord salué par un certain nombres d’ONG. Malgré tout, les accidents continuent : il n’est pas rare, encore aujourd’hui, d’entendre parler d’un incendie meurtrier ou de l’effondrement d’un bâtiment vétuste. En juillet 2017, une explosion dans une usine textile à Dhaka, au Bangladesh, a tué 13 personnes et blessé une cinquantaine d’autres.
Il y a des progrès donc, mais ils sont très lents et pas assez généralisés.
Mr Mondialisation : Que pensez-vous des diverses tentatives de légiférer dans le secteur ? La loi française sur le devoir de vigilance des multinationales peut-elle être un modèle ?
Chloé Mikolajczak : Tout à fait. La loi sur le devoir de vigilance des multinationales est un excellent exemple, tout comme le Slavery Act au Royaume-Uni. Toutefois, ces initiatives sont récentes et il faudra voir à moyen terme quels sont leurs résultats et si les moyens mis en place pour identifier et faire remonter les dérives sont vraiment efficaces. Car c’est bien là que se trouve tout l’enjeu.
Aujourd’hui, ce sont essentiellement les ONG et les médias qui mettent en lumière les « scandales » liés à l’industrie de la mode (comme pour une majorité d’industrie d’ailleurs). Mais que font les pouvoirs publics lorsque l’entreprise concernée est originaire de leur propre territoire ? Pas grand chose. Il faut espérer que cette loi sera efficace et puisse alors devenir un modèle pour d’autres pays souhaitant légiférer sur le sujet.
Mr Mondialisation : Quelles sont les alternatives, aujourd’hui, pour soutenir une mode plus éthique ?
Chloe Mikolajczak : Heureusement, il y en a beaucoup ! La première, bien sûr, est de consommer moins mais mieux. En effet, un des principaux défis de la « fast fashion » est de réduire la quantité astronomique de déchets liés à cette industrie. Les consommateurs s’étant habitués à acheter un jean 30 euros et un tee-shirt 10 euros, il ne leur accorde que peu de valeur et ces vêtements ont de grandes chances de finir à la poubelle avant d’avoir été portés même 10 fois ! Garder ses vêtements plus longtemps, les faire réparer quand ils sont troués ou abimés est un excellent premier pas qui permet de réduire la demande de nouveaux vêtements et potentiellement de ralentir la production folle qui entraînent un certain nombre des dérives mentionnées plus tôt.
Acheter en seconde main est également une bonne façon de s’habiller éthique. Pour cela, il n’existe pas que les friperies et autres braderies envers lesquelles les « fashionista » sont souvent suspicieuses. Les vide-dressing en ligne sont une excellente alternative pour s’habiller en seconde main tout en restant « à la mode ».
Enfin, si on n’a pas trouvé son bonheur en deuxième main, de plus en plus de marques se lancent dans l’aventure éthique et/ou éco responsable. Les prix sont certes souvent plus élevés mais en consommant moins, on finit par trouver son compte et on soutient des productions respectueuses de l’environnement et des travailleurs.
Mr Mondialisation : Le secteur du textile « bio/éthique » se développe donc. Mais quels sont les freins au développement pour les créateurs et entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans cette branche ?
Chloé Mikolajczak : Un mélange de manque de soutien de la part des pouvoirs publics et un marché souvent encore frileux. C’est assez frustrant, car beaucoup de consommateurs déplorent le manque d’alternatives disponibles mais, dans le même temps, beaucoup de jeunes entrepreneurs se lançant dans la mode éthique ne réussissent pas, faute de clients. Il appartient donc maintenant plus que jamais aux consommateurs souhaitant faire changer les choses de soutenir ces initiatives mais aussi aux médias de leur donner une plus grande visibilité afin d’assurer la pérennité de ces alternatives.
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