Après deux longues années d’enquête, huit militants antispécistes sont appelés à comparaître devant le tribunal correctionnel de Mans pour des faits de diffamation et de dégradation de fermes d’élevage dans plusieurs départements français. À travers la publication d’un communiqué de presse, le collectif Animal1st dénonce un acharnement répressif à l’encontre de ses membres. Plus alarmant, sur fond de crise climatique globale, les moyens mobilisés dans le cadre de ce dossier apparaissent comme un soutien indéfectible des pouvoirs politiques au secteur agroalimentaire, alors même que l’élevage industriel joue un rôle prépondérant dans la déforestation, l’effondrement de la biodiversité et la maltraitance animale. Le modèle industriel mortifère devient de plus en plus violent face à un monde qui ne le supporte plus et ceux qui souhaitent le changer.
Ce vendredi 28 janvier, huit activistes antispécistes et membres du collectif Animal1st devront se présenter au tribunal correctionnel du Mans pour donner suite à des accusations de dégradations menés dans plusieurs fermes d’élevage en Bretagne, en Sarthe, en Mayenne et dans le département de Maine-et-Loire. Parmi les infractions qui leur sont reprochées, les huit activistes seront notamment jugés pour des actes de diffamation et des dégradations et détériorations mineures de biens matériels, le tout organisé en « association de malfaiteurs » selon les termes du tribunal.
Originaire de Mayenne, la jeune activiste Alizée Denis, qui fait partie du banc des prévenus, avait participé fin 2019 à des actions visant à taguer des fermes avec des inscriptions appelant à l’abolition de l’élevage. Dans une interview accordée au journal Actu Le Mans, Alizée annonce vouloir faire de sa comparution une tribune politique pour défendre la cause animale et promouvoir la reconnaissance de ceux-ci comme être vivant à part entière, et non comme vulgaire bien de consommation. « Ils font naître pour assassiner. La violence n’est pas de dénoncer ces violences mais ces violences en elles-mêmes »[1], s’indigne-t-elle.
Un acharnement répressif disproportionné
Après deux ans d’enquête, le premier procès Demeter, cellule de la gendarmerie nationale française créée en 2019 pour « protéger » les agriculteurs des agressions et intrusions sur leurs exploitations agricoles, se présente bel et bien comme le début d’une croisade pour mater les mouvements de lutte pour le bien-être animal au profit de l’industrie agroalimentaire. Beaucoup perçoivent cet outil comme un instrument répressif au service de l’agro-industrie. Pour cause, les militants ne s’attaquent généralement pas à des petits producteurs locaux mais bien à des hyper-structures industrielles pratiquant des violences insoutenables sur les animaux.
Le collectif Animal1st dénonce un acharnement répressif à l’encontre de ses membres mené à des fins éminemment politiques. En effet, le maire de la ville de Mans n’est autre que Stéphane le Foll, ancien ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. Dès lors, la gendarmerie, sous l’égide d’Arnaud Marie, vice-procureur de la République au tribunal judiciaire de Mans, a disposé de moyens considérables pour démanteler le collectif antispéciste, aussi insignifiant soit-il.
À cet égard, dans un communiqué de presse, l’association animaliste dénonce également les mesures disproportionnées qui ont été prises à l’occasion de la réalisation de l’enquête. Parmi celles-ci, Animal1st révèle avoir fait l’objet de neuf perquisitions qui ont abouties à la saisie de leur merchandising, de dizaines de notes, cahiers, documents, plus de 10 000 € en liquide, du matériel électronique et numérique (téléphones, ordinateurs, tablettes), un drone et un de leur véhicule. « La plupart des objets saisis n’ont AUCUN rapport avec les faits qui nous sont reprochés. Ces perquisitions ne sont ni plus ni moins que des cambriolages légalisés »[2], s’insurge le collectif.
Force est de constater qu’en fonction de la personne concernée, l’action répressive de la gendarmerie et du parquet est drastiquement différente. En effet, alors que les plaintes des membres de l’association pour menaces de mort restent lettres mortes, des dizaines de gendarmes sont mobilisés pour quelques graffitis qui dénoncent le non-respect de l’intégrité physique et morale de plusieurs dizaines de millions d’êtres vivants. Malgré qu’il s’agisse d’un coup dur pour l’association, les membres du collectif n’entendent pas renoncer à ce combat pour le bien-être animal. D’ailleurs, cette lutte n’est plus déterminée à un seul mouvement aujourd’hui. « C’est précisément parce que nos cibles et nos discours sont justes que la répression est si forte »[3], a notamment déclaré Animal1st dans son communiqué de presse.
Des actions nécessaires face à l’inaction politique
Conscients des risques encourus, les activistes ne comptent cependant pas fléchir face aux menaces de répression. « Nous ne sommes pas les victimes directes du spécisme. Les animaux subissent l’oppression, nous subissons la répression », défendent les membres du collectif pour leurs actes de désobéissance. En effet, bien que les faits reprochés aux huit militants antispécistes soient effectivement punissables par la loi, les actes de désobéissance civile font intrinsèquement partie des mouvements de luttes sociales et environnementales, et sont malheureusement parfois nécessaires en réponse à l’inaction politique confondante devant l’effondrement en cours, dont l’industrie de l’élevage est une cause majeure.
À titre d’exemple, lors de la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron s’était engagé à interdire d’ici 2022 l’élevage en batterie des poules pondeuses. Or, deux semaines avant cette échéance, l’association L214 partageait une vidéo glaçante montrant les conditions déplorables dans lesquelles les poules issues de l’élevage intensif sont traitées[4]. Sans surprise, cette promesse n’était qu’une vaste mascarade et un coup de comm’ pour attirer de potentiels électeurs sensibles aux questions relatives à l’éthique animale. Plusieurs années après, rien n’a véritablement changé dans les élevages. Pire encore, le monde découvrait une crise sanitaire mondiale intrinsèquement liée à notre rapport au monde animal.
Enfin, le non-respect de l’intégrité physique et morale des animaux d’élevage n’est pas la seule conséquence de l’industrialisation de ce secteur. L’élevage intensif est directement responsable de l’augmentation de la production mondiale de soja, composante alimentaire largement présente dans la nourriture des animaux d’élevage. Hélas, pour répondre à cette demande croissante, de nombreux pays sud-américain, dont le Brésil, rasent d’immense surface de l’Amazonie pour y développer des champs de soja OGM, arrosés abondamment de divers pesticides[5]. Soja qui sera exporté notamment en France pour nourrir les animaux d’élevage.
Face à ce triste constat, difficile de considérer ces activistes antispécistes et leurs graffitis comme des criminels agissant en bande organisée. La teneur politique du procès est donc manifeste. Alors que le secteur de l’élevage exerce une pression considérable sur les forêts tropicales, participe directement à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, et provoque quotidiennement des souffrances physiques et morales à des centaines de millions d’animaux à travers le monde, on ne peut qu’inciter les consommateurs à revoir leur rapport à leur alimentation et soutenir les rares combats militants de terrain plus que jamais nécessaires pour changer de modèle avant qu’il ne soit trop tard pour nous tous, agriculteurs compris.
W.D.
[1] Jouvet, F., « Le Mans. Des militants animalistes bientôt jugés pour avoir dégradé des lieux d’élevage » in Actu Le Mans, 4 janvier 2022, disponible sur : https://actu.fr/pays-de-la-loire/le-mans_72181/le-mans-des-militants-animalistes-bientot-juges-pour-avoir-degrade-des-lieux-d-elevage_47667809.html
[2] Collectif Animal1st, La répression des animalistes s’intensifie comme jamais, 30 juin 2021, disponible sur : https://www.animal1st.fr/repression
[3] Ibid., https://www.animal1st.fr/repression
[4] L214, Poules en cage : violences dans un élevage du groupe Pampr’œuf, 16 décembre 2021, disponible sur :https://www.l214.com/communiques/2021/12/16-enquete-poules-pamproeuf/
[5] Greenpeace, Élevage et déforestation, quel est le lien ?, disponible sur : https://www.greenpeace.fr/lien-elevage-deforestation/