Alors que l’impact environnemental de la consommation de viande n’est plus à démontrer. Frédéric Mesguich, auteur du blog Les questions décomposent, nous a fait parvenir une tribune dénonçant la condamnation d’une militante antispéciste et alertant sur une propagande spéciste au sein des écoles.

Il y a bien une propagande spéciste dans les écoles

Un tribunal vient de condamner la militante antispéciste Tiphaine Lagarde pour avoir prétendument diffamé Interbev, l’interprofession des métiers de la viande. Alors que ce représentant d’intérêt économique menait en 2016 une campagne auprès de 200 000 écoliers, elle avait affirmé que ce lobby faisait de la « propagande spéciste dans les écoles ». Or, il n’y a guère de doute que sa promotion de la viande relève bien de l’idéologie spéciste et que sa communication dans les écoles est bien de la propagande.

Rappelons d’abord qu’à l’instar du racisme et du sexisme, le spécisme désigne des notions un peu différentes :

– la discrimination basée sur l’espèce, en particulier en faveur des humains ;

– l’idéologie spéciste, c’est-à-dire l’ensemble d’idées ou de croyances soutenant cette discrimination ;

– l’organisation sociale interdépendante de cette idéologie, menant à défavoriser les individus d’autres espèces.

Le spécisme est très largement étudié dans le monde universitaire, à la fois par des psychologues au travers des biais cognitifs qui le soutiennent, par les sociologues pour ses liens avec d’autres systèmes de dominance (sexisme, xénophobie…) et surtout par les philosophes éthiciens. Spéciste n’est donc pas une insulte mais un qualificatif approprié, entre autres, pour toute action ou idée qui participe à la domination exercée par des humains sur des individus d’autres espèces, induisant notamment la croyance qu’il est légitime de faire tuer un non-humain pour nos préférences alimentaires.

Comment la discrimination en faveur des individus de notre propre espèce, immémorielle et si banale, peut-elle relever d’une idéologie ? En fait, nous avons bien le choix de notre alimentation, et qui dit choix dit aussi ensemble de raisons d’opter pour l’une ou l’autre des options qui s’offrent à nous.

Une grande force des idéologies dominantes est précisément qu’elles semblent tellement « aller de soi » que les idées qui les sous-tendent nous sont invisibles, effaçant la possibilité de faire un autre choix que celui qu’elles nous dictent. Ainsi, dans des salles de classe, Interbev tente de convaincre les enfants qu’« il faut manger de tout », comme a voulu encore le faire croire notre ministre de l’Agriculture l’été dernier, non sans provoquer quelques correctifs dans la presse et dans son propre camp. Les grandes études de la santé des populations montrent pourtant que la consommation de viande n’est en rien nécessaire puisque, toutes choses étant égales par ailleurs, les végétariens vivent au moins aussi longtemps que les autres.

Portrait de Tiphaine Lagarde. Source : https://www.vegemag.fr/animaux/tiphaine-lagarde-quand-on-occupe-un-abattoir-on-vise-le-systeme-pas-les-employes-10112/

Plus récemment, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (l’ANSES) a publié un avis affirmant que l’instauration quotidienne de repas végétariens dans les cantines n’aura pas d’effet particulier sur la santé des enfants. Le lobby de la viande abuse donc de la confiance des enfants (et des professeurs) pour leur faire avaler que nous n’avons pas d’autre choix que de faire naître, enfermer et égorger des centaines d’animaux dans notre vie, et donc de participer à leur domination par notre consommation.

L’idéologie spéciste est particulièrement bien ancrée chez les adultes à travers la pression sociale, l’idée que la virilité découlerait de la consommation de viande, la sous-estimation systématique des capacités cognitives des animaux de rente, la revendication identitaire d’une certaine gastronomie et de nombreux autres mécanismes. Les enfants, en revanche, n’utilisent pas autant de stratégies pour atténuer le malaise généré par la dissonance entre leur bienveillance envers les animaux et les comportements zoophages.

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Dans une étude publiée au Journal of Environmental Psychology, une équipe de psychologues a demandé à 176 jeunes américains âgés de quatre à sept ans de classer des aliments dans les catégories « comestible » ou « non comestible ». Ils se sont aperçus que la majorité des enfants pensent que les vaches (77 %), les porcs (73 %) et les poulets (65 %) ne doivent pas être mangés. En France, des livres éducatifs donnent divers conseils pour manipuler un enfant afin qu’il accepte de manger des animaux en prétextant comme Interbev que la zoophagie est une nécessité, mais aussi en dissimulant l’origine animale via des hachis, nuggets, poissons panés…

C’est d’ailleurs une seconde stratégie déployée par Interbev pour propager le spécisme à l’école : l’invisibilisation des victimes. En effet, pourquoi se passer du bon goût et des nutriments de la viande si aucun mal n’est fait pour les obtenir ?

Interbev s’appuie sur les outils « La Famille Jolipré », qui mettent en scène et en dessin animé une fermette gentillette, telle une image d’Epinal, avec très peu d’animaux. Bien que les moutons et vaches représentent moins de 1% des animaux terrestres abattus chaque année en France, la « communication pédagogique » du lobby économique se concentre sur ces animaux élevés dans les prairies. Ils produisent tout naturellement ce pour quoi « ils sont faits » : de la viande, des œufs ou du lait. Le veau « boit du lait ou un complément adapté », la vache n’est pas séparée de son petit, le bétail est heureux et aucune mention ne sera faite de l’abattage : tout baigne dans le Disneyland fermier d’Interbev.

Pour défendre la viande et la mise à mort systémique des animaux, l’argent coule à flot.

Si le cœur même de son activité de communication relève du spécisme, il devient difficilement contestable que son opération « pédagogique » dans les écoles relève aussi de la propagande, c’est-à-dire de la diffusion d’une idéologie visant à susciter une décision (ici celle de manger des animaux). Plusieurs médias et associations s’en sont d’ailleurs déjà fait l’écho en ces termes sans que quiconque ne soit traîné devant les tribunaux. Les animalistes ne sont en outre pas les seuls à s’en offusquer. Un rapport de Greenpeace pointe du doigt les errements des filières viande et les mensonges ou les manipulations de ses publicités – dont ceux d’Interbev.

La condamnation de Tiphaine Lagarde est donc totalement infondée et à ce titre proprement scandaleuse. Il n’y a pas de diffamation lorsque les faits affirmés sont avérés. Bien plus, cette condamnation arbitraire fait planer sur tous les militants antispécistes l’ombre de condamnations similaires pour des propos qui relèvent de la liberté de penser et d’exprimer ses opinions. Sans eux, le spécisme resterait cette idéologie invisible alors qu’il fait des centaines de millions de victimes chaque année.

Frédéric Mesguich, administrateur de la Blogothèque Animaliste et auteur du blog Les questions décomposent


Nos travaux sont gratuits et indépendants grâce à vous. Afin de perpétuer ce travail, soutenez-nous aujourd’hui par un simple thé 😉

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation