En avril 2013, un immeuble de Dacca, la capitale du Bangladesh, s’effondre en faisant plus d’un millier de victimes, tous travailleurs du textile. Parmi les clients de ces ateliers insalubres se trouvent des géants français tels que Carrefour, Auchan ou Camaïeu. Un texte qui avait été proposé afin de « responsabiliser » les multinationales afin qu’elles ne puissent plus, en cas de drames, se protéger derrière leurs sous-traitants vient d’être renvoyé en commission par les députés socialistes. Avec un risque pointé par les ONG : que le texte soit vidé de son contenu sur pression du Medef.
Ce drame, qui a fait 1 138 morts et plus de 2 000 blessés, avait provoqué de vives réactions dans la société civile, poussant de nombreux citoyens et associations à demander à ce que les grandes entreprises se fournissant dans des usines insalubres, où les employés, majoritairement de très jeunes femmes travaillent dans des conditions souvent proches de l’esclavage, aient des comptes à rendre en cas d’accident. Un fonds d’indemnisation a été mis en place pour les victimes…sauf que de nombreuses entreprises refusent de verser le moindre centime. Carrefour et Auchan en font partie, alors que leurs marques respectives ont été retrouvées dans les décombres… Non seulement ils nous font consommer de la basse qualité produite dans des conditions épouvantables à l’autre bout du monde pour engendrer des profits colossaux, mais en plus, ils refusent de reconnaitre leur responsabilité pour éviter de devoir venir en aide aux victimes.
En 2013, s’appuyant sur plusieurs textes internationaux, plusieurs groupes parlementaires français déposent des propositions de lois afin de « reconnaître à toute société un devoir de vigilance » , c’est-à-dire rendre « responsables les maisons-mères vis-à-vis des agissements de leurs filiales à l’étranger lorsqu’ils provoquent des dommages environnementaux et sanitaires. » Tous ces textes resteront malheureusement dans les tiroirs. Entre-temps, en juillet 2014, une proposition de loi fixe un objectif de « responsabilité sociétale » des entreprises et évoque des « procédures de gestion des risques »…mais reste, elle aussi, au stade de la déclaration de principe sur pression du Medef et de l’Afep (Association française des entreprises privées).
Plus tard, la loi de 2014 ressort du placard sur proposition des députés Verts. L’UMP s’y oppose en ces termes : « Ce texte n’est pas modéré ! Il s’agit, ni plus ni moins, que de créer une véritable présomption de responsabilité civile et pénale quasi irréfragable. L’entreprise cliente et la maison mère seront automatiquement tenues pour responsables : c’est une véritable inversion de la charge de la preuve ! » Cette opposition est rejointe…par les députés socialistes, qui votent, le 21 janvier dernier, contre leur propre proposition. Les multinationales peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles.
Suite à cette affaire, le gouvernement, sur pression de Bercy, fait une contre-proposition qui amoindrit considérablement le texte, désormais porté par les députés écolos et soutenu par les ONG, supprimant la « reconnaissance de la responsabilité juridique des sociétés mères », qui était proprement la raison d’être du texte proposé en 2014 ! Nous en sommes donc là. Les victimes et familles des victimes elles, attendent toujours réparation.
Notons enfin qu’au Bangladesh, même si l’exploitation salariale reste une réalité, les patrons des ateliers du Rana Plaza, qui avaient commis de graves manquements de sécurité, sont aujourd’hui derrière les barreaux. Les multinationales auront-elles un jour une quelconque responsabilité dans les horreurs engendrées par leur business ? Visiblement pas tant que le monde politique, à gauche comme à droite, fera passer la liberté économique avant l’Humain.
Sources : Rue89 / Rue89 / Bastamag / Crédit photo : A.M. Ahad/AP/SIPA