Pour la première fois, un rapport révèle l’ampleur mondiale de la répression de l’activisme climatique. Publiée ce 11 décembre 2024 par des scientifiques de l’Université de Bristol, la recherche souligne les risques à travers le monde, et la criminalisation de l’activisme climatique pour tenter de le maintenir sous contrôle. Résumé.
Alors que l’urgence climatique s’accélère, le nombre de manifestations citoyennes augmente drastiquement ces dernières décennies, poussant les gouvernements à agir contre le dérèglement climatique au Nord comme au Sud du globe.
À l’inverse, de nombreux États renforcent la répression de ces activités de protestation et menacent la liberté et la sécurité des défenseurs de l’environnement.
Un rapport inédit sur la répression des activistes climatiques
Pour la première fois, une équipe de chercheurs de l’Université de Bristol, au Royaume-Uni, a examiné en détails les statistiques mondiales sur ces menaces afin d’en identifier les principales tendances.
« plus de 2 000 manifestants pour le climat et l’environnement ont été tués au cours des 12 dernières années »
Publié le 11 décembre, le rapport d’une trentaine de pages révèle que plus de 2 000 manifestants pour le climat et l’environnement ont été tués au cours des 12 dernières années, alors qu’une série de nouvelles lois anti-manifestations ont été promulguées partout dans le monde.
Une “situation inquiétante”, selon l’auteur principal de l’étude, le Dr Oscar Berglund, maître de conférences en politique publique et sociale internationale à la School for Policy Studies de l’université britannique : “Cette recherche jette un éclairage important sur la manière dont l’augmentation du nombre de protestations climatiques et environnementales est gérée à l’échelle mondiale. Nos données montrent clairement une répression globalisée, tant dans les démocraties libérales que dans les autocraties”.
Une mobilisation citoyenne en hausse, des répressions en cascade
En s’appuyant sur les données recueillies par l’Armed Conflict Location, Event Data (ACLED) et Global Witness entre 2012 et 2023, les scientifiques ont sélectionné les pays qui enregistraient plus de 1 000 manifestations de protestation sur la période étudiée. Ils ont ensuite restreint leur champ d’étude à 14 pays, répartis sur les six continents.
Afin de préciser leur sujet de recherche, ils ont ensuite distingué les “protestation environnementales” des “protestations climatiques” :
“les protestations environnementales ont été définies comme celles qui ciblent des projets destructeurs spécifiques, tels que l’exploitation minière ou la construction de barrages, tandis que les protestations climatiques sont un phénomène généralement plus récent, principalement concentré dans les pays du Nord. Elles sont géographiquement distinctes des projets auxquels elles s’opposent et ont des revendications politiques plus larges”.
Pour cette dernière catégorie, on pensera notamment aux marches Friday For Future menées par les jeunes générations, au Sunrise Movement aux États-Unis ou aux actions organisées par Extinction Rebellion partout en Europe.
Les statistiques alarmantes d’une tendance mondiale
Les résultats de leur recherche sont édifiants. Malheureusement, les meurtres et disparitions forcées d’activistes environnementaux se multiplient dans de nombreux pays. “Entre 2012 et 2023, plus de 2 000 défenseurs de l’environnement ont été tués. Parmi eux, 401 cas ont été signalés au Brésil, 298 aux Philippines, 86 en Inde et 58 au Pérou”, précisent les auteurs de l’étude.
« la violence policière s’intensifie face aux activistes : à l’échelle mondiale, 3 % des protestations climatiques et environnementales ont donné lieu à des violences policières »
En parallèle, la violence policière s’intensifie face aux activistes : à l’échelle mondiale, 3 % des protestations climatiques et environnementales ont donné lieu à des violences policières, un chiffre atteignant 6,5 % au Pérou. En outre, en moyenne 6,7 % des manifestations pour le climat et l’environnement se sont soldées par des arrestations.
« les taux d’arrestation les plus élevés sont observés dans les pays occidentaux, non seulement en Australie (20,1%) et au Royaume-Uni (17,2%), mais aussi en Norvège (15,1 %) »
Variant considérablement d’un pays à l’autre, les taux d’arrestation les plus élevés sont observés dans les pays occidentaux, non seulement en Australie (20,1%) et au Royaume-Uni (17,2%), mais aussi en Norvège (15,1 %). S’en suivent parfois de lourdes peines de prison pour les manifestants, allant jusqu’à 4 à 5 ans de prison pour cinq activistes britanniques condamnés en juillet 2024.
“Ces tendances se manifestent à l’échelle mondiale, touchant à la fois les pays du Nord et du Sud, qu’ils soient plus ou moins démocratiques”, expliquent les experts qui s’inquiètent pour le respect des droits des manifestants.
“Les cadres relatifs aux droits de l’homme devraient être au premier plan des considérations et des opérations de police pour garantir que le public puisse exercer son droit de manifester sans entrave ni crainte”.
Démocraties et autocraties : des approches variées, un même résultat
A l’encontre de ces objectifs, les outils de répression et de criminalisation des protestations climatiques et environnementales se développent ces dernières années. Les chercheurs distinguent à ce titre quatre grandes tendances :
- la prolifération des lois anti-manifestations, qui introduisent de nouveaux délits, augmentent les peines ou accroissent les pouvoirs des forces de l’ordre en cas d’utilisation de la violence contre les manifestants ;
- l’intensification des poursuites judiciaires, qui se basent sur des lois existantes (anti-terrorisme ou anti-criminalité organisée) pour réprimer les protestations climatiques et environnementales ;
- une répression policière accrue, exercée soit par des acteurs étatiques (police, armée) ou non étatiques (sécurité privée, milices privées, crime organisé). Cela inclut les fouilles, les arrestations, la violence physique, l’infiltration des mouvements et les menaces ou intimidations à l’encontre des manifestants.
- et une augmentation des meurtres et disparitions forcées : ces actes, fréquents dans certains pays, sont souvent perpétrés par les mêmes acteurs que ceux impliqués dans la répression policière et surviennent après des menaces de mort ou d’autres formes d’intimidation.
Evidemment, il existe des différences claires entre les enjeux des protestations et les stratégies de police, de criminalisation et de répression de ces protestations selon les pays. Par exemple, les Etats qui enregistrent des taux d’arrestations plus élevés tendent à avoir des taux de violence policière plus faibles, et vice versa. “Cependant, de nombreuses tendances et mécanismes de criminalisation et de répression ont une dimension clairement globale, avec des types similaires de criminalisation observés dans le Nord et le Sud global”, relève le Dr Oscar Berglund.
Même au Brésil et en Afrique du Sud, où la législation est relativement favorable aux manifestants, la violence est répandue, tandis que dans des pays comme les Philippines et la Turquie, des lois antiterroristes draconiennes sont utilisées de manière indiscriminée pour réprimer les manifestations. En Australie, en Norvège et au Royaume-Uni, où la population jouit de plus de libertés, “la réponse des gouvernements consiste à introduire une nouvelle législation ciblant spécifiquement ce « nouveau problème »”.
« l’Allemagne ou la France se distinguent notamment par un taux plus élevé de violence policière »
Selon les chercheurs, une voie similaire est illustrée par l’Allemagne ou la France, qui se distingue notamment par un taux plus élevé de violence policière. Un autre phénomène peut être observé au Pérou, en Ouganda et aux Philippines. Dans ces pays, les défenseurs de l’environnement luttent depuis longtemps contre les industries extractives et font face à un niveau élevé de violence, souvent perpétré ou soutenu directement par l’État.
Pour une gouvernance participative et juste
Face à ces constats, les scientifiques appellent les gouvernements, les tribunaux et les forces de police à adopter une présomption générale contre la criminalisation des protestations climatiques et environnementales : “ces protestations devraient être considérées comme une réponse raisonnable face à l’urgence de la crise climatique, et les activistes comme des parties prenantes dans une transition juste”.
Pour ce faire, une approche participative dans la gouvernance des projets contestés devrait être privilégiée. “Pour réduire les conflits, la criminalisation et la répression, ces projets doivent être conditionnés à l’approbation des parties prenantes locales et des instances citoyennes, en prenant en compte les risques climatiques et environnementaux”, conclut l’équipe du Dr Oscar Berglund.
– L. A.
Image d’entête Melbourne, 2021 @Extinction Rebellion/Flickr