À l’approche de la rentrée scolaire 2025, il est temps de faire le point sur l’état de l’éducation nationale. Classes surchargées, conditions de travail dégradées, explosion des inégalités, la situation inquiète aussi bien les élèves, que les parents et les enseignants. Des circonstances, à l’image des services publics, dues à des décennies de politiques néolibérales exercées par les gouvernements successifs. Retour sur une politique de destruction massive au service des plus aisés.
Avec une logique de réduction permanente des dépenses de l’État et une vision marchandisée des services publics, la qualité de l’instruction en France n’a eu de cesse de se détériorer et ce malgré des enseignants qui se donnent corps et âmes dans une conjoncture plus que précaire pour bon nombre d’entre eux. En ligne de mire, les partisans du néolibéralisme n’ont pas d’autres buts que la privatisation du système au détriment des plus défavorisés.
À l’autel de l’austérité
Depuis des décennies, en particulier depuis la crise de 2008, tous les gouvernements successifs se sont accordés autour de la question des économies de budget de l’État. Et dans le domaine, l’éducation n’échappe pas à la règle, et ce même si elle est indispensable au bon fonctionnement de notre société et à l’épanouissement de ses citoyens.
Une des conséquences de cette politique est la réduction des effectifs des enseignants qui ne cesse de s’accentuer depuis des années. De fait, alors qu’il y a pourtant de plus en plus d’élèves en France, il y a, à l’inverse, moins de personnel éducatif.
Ainsi, en 2003, il y avait par exemple 12,126 millions d’enfants du premier et second degré pour 894 200 enseignants. L’an passé, le contingent d’élèves est grimpé à 12,737 millions tandis que celui des professeurs est tombé à 853 700. En 20 ans, alors que le nombre d’élèves a progressé de plus de 5 %, celui des professeurs a donc reculé de 4,5 %.
Des classes surchargées
Un cheminement à rebours de tout ce qui avait été mis en place jusqu’à la fin des années 90 et qui a eu comme première conséquence l’augmentation des effectifs dans les classes de France. Avec des moyennes de 22,1 d’élèves par cours en primaire et 25,6 au collège, l’Hexagone a les cours les plus chargés du continent.
Si le nombre moyen d’enfants par classe a légèrement baissé en école primaire (22,5 en 2000 contre 21,6 en 2022), il a en revanche progressé au collège (de 24,3 en 2000 à 25,9 en 2022) et au lycée (de 27,9 en 2000 à 30,3 en 2022).
Il faut également noter que ces chiffres ne sont que des moyennes et qu’ils ne reflètent pas forcément la réalité du terrain de certains établissements. En effet, il peut demeurer de grandes disparités selon les zones, et les effectifs réduits de certaines écoles prioritaires peuvent fausser les statistiques. Il est en réalité tout à fait courant que certaines classes dépassent les 35 élèves, en particulier en cas d’absence d’enseignants non remplacés.
Une étude menée à Harvard confirmait pourtant qu’il existe un lien direct entre la réussite scolaire des enfants et le nombre d’individus par cours, même s’il n’est évidemment pas le seul facteur. La Finlande, qui détient l’un des meilleurs systèmes éducatifs au monde, favorise d’ailleurs des classes à moins de 20 écoliers.
Les zones rurales frappées par les fermetures d’écoles
Si le nombre d’enseignants sur le territoire diminue bien à cause d’une logique austéritaire (processus qui devrait d’ailleurs se poursuivre d’après le budget de Michel Barnier qui prévoit encore 4000 postes en moins en 2025), c’est aussi le résultat de la fermeture d’établissements, en particulier en milieu rural.
Certes, depuis 1970, 34 394 établissements scolaires ont ouvert en France, mais dans le même temps, 42 267 ont fermé leurs portes. Aujourd’hui, environ 21 000 communes sur près de 35 000 du pays disposent au moins d’une école primaire, ce qui signifie que 40 % d’entre elles n’ont tout simplement plus de lieu d’éducation.
Un procédé qui s’inscrit dans la désertification des zones rurales, notamment par l’absence des services publics en leur sein ; la disparition de l’école est ce qui fait en général péricliter un village à vitesse grand V.
Des trajets de plus en plus longs
Une étude de 2018 sur les enfants scolarisés en primaire en milieu rural en Auvergne-Rhône-Alpes montre que 28 % d’entre eux doivent se déplacer dans un établissement situé en dehors de leur commune de résidence, un chiffre plus de deux fois supérieur à ce que connaissent les élèves en agglomération. Ce phénomène engendre d’ailleurs un temps de voyage excédant les 9 minutes dans plus de la moitié des cas.
Pour les collégiens, ce sont 79 % des ruraux de cette région qui doivent se rendre dans un établissement extérieur à leur ville d’habitation. Et pour 50 % d’entre eux, cela équivaut à un trajet supérieur à 11 minutes. Enfin, cette situation concerne 95 % des lycéens ruraux dont la moitié dépasse les 20 minutes de déplacements.
Ces itinéraires ont d’abord des conséquences sur les enfants puisqu’ils rognent sur leur sommeil (et donc leur réussite scolaire), mais également sur leurs loisirs. Pour finir, ces trajets représentent de plus un coût pour la société, à la fois financier, mais aussi écologique.
Travailler plus pour gagner moins
Non contents d’avoir les classes les plus surchargées, les enseignants français sont également parmi ceux qui travaillent le plus. Ainsi, en primaire, ceux-ci passent pas moins de 900 heures par an devant leurs élèves, contre 740 en moyenne dans l’UE. Au collège, le total est à 720 heures contre seulement 659 sur le continent.
Loin des préjugés selon lesquels ces derniers seraient « toujours en vacances », ils exercent en réalité entre 44 et 52 h par semaine (préparation des cours, corrections, documentation, tâches administratives, réunions, etc.).
Pire, en plus de ces conditions dégradées, les professeurs français sont beaucoup moins bien payés que dans la plupart des autres pays riches. Ainsi, pour un enseignant du secondaire avec quinze ans d’expérience, le salaire moyen dans l’OCDE est 16 % supérieur à celui d’un Français. Dans le primaire, l’écart grimpe même jusqu’à 19 %.
Dans ces conditions, il n’est donc pas étonnant que l’éducation nationale peine de plus en plus à recruter. À tel point que les concours ne sont plus suffisants pour pourvoir tous les postes disponibles. Plutôt que d’améliorer les conditions de travail des enseignants, l’État préfère avoir massivement recours à l’engagement de contractuels qui sont pourtant bien moins qualifiés, ce qui là encore dévalorise les professeurs ayant réalisé le parcours classique d’accès au métier. Comble du ridicule, on avait même assisté à des embauches via du job dating dans certaines académies difficiles.
De fortes inégalités territoriales
Car c’est là aussi l’un des problèmes fondamentaux de l’éducation nationale, qui fait sans aucun doute partie d’un sujet beaucoup plus large : celui des déséquilibres territoriaux. Si sur le papier l’école promeut l’égalité des chances et l’illusoire méritocratie, dans les faits, un élève ne disposera évidemment pas des mêmes possibilités selon l’établissement dans lequel il a étudié.
De fait, dans la logique de l’aménagement de notre pays, les élèves qui habitent dans des quartiers pauvres iront dans des classes avec d’autres enfants de zones précaires et leur instruction en sera nécessairement affectée. De même, la progéniture des parents les plus riches sera quant à elle envoyée dans des institutions liées à son milieu social, maximisant son taux de réussite.
Vers un séparatisme des plus riches
Des milliards injectés dans écoles privées élitistes où ne peut entrer qu’une catégorie sociale privilégiée. Ce phénomène est un véritable « séparatisme » où les plus riches font sécession avec le reste de la population.
L’austérité budgétaire que subit l’éducation nationale (mais aussi les autres services publics, et notamment la santé) s’inscrit de fait dans une institutionnalisation de cette ségrégation sociale. La mise en place de Parcoursup, machine à inégalités, est en outre l’un des rouages essentiels de la dynamique néolibérale, qui va à l’inverse même des tous les idéaux républicains français.
En route vers la privatisation massive ?
Bien qu’ils s’en défendent, les dirigeants actuels œuvrent en réalité toujours vers la privatisation massive de tous nos services publics, et l’école n’y échappe pas. Et même s’ils tentent de justifier que l’austérité budgétaire serait nécessaire au prétexte que la population française vivrait « au-dessus de ses moyens » (alors que la France n’a pourtant jamais été aussi riche dans son Histoire), il ne s’agit pourtant que d’une vieille recette libérale.
Ainsi, en dégradant sciemment les services publics, les dirigeants installent dans l’esprit populaire l’idée que les services publics ne seraient pas performants et que peut-être que le privé pourrait mieux faire. Un processus qui profite évidemment aux plus aisés qui ont les capacités de mettre énormément d’argent dans des prestations privées de qualité, mais qui se ferait au détriment du plus grand nombre qui n’aurait pas les ressources pour se l’offrir.
Le privé déjà arrosé par l’argent public
Ce cheminement peut d’ailleurs s’observer aux États-Unis depuis de nombreuses années et il est à craindre qu’il finisse par s’installer en France. À l’heure où le gouvernement réclame des économies à la classe moyenne française, il n’hésite pas à subventionner massivement l’école privée qui reçoit pas moins de 8 milliards d’euros d’argent public par an. Un chiffre qui grimpe même à 12.825 milliards, si on y ajoute les financements des collectivités territoriales et autres administrations.
En outre, parmi celles-ci, beaucoup d’établissements privés n’ont pas besoin de revenus supplémentaires puisqu’ils sont déjà généreusement financés par des familles très riches, comme le tristement célèbre lycée Stanislas qui a fait largement les gros titres. Ainsi que l’explique le média Contre-attaque, s’y trouvent « 7 gymnases et deux piscines, 21 laboratoires, 3 amphis, 2 murs d’escalade, une cantine haut de gamme, le tout sur 3 hectares dans un beau quartier ». Ce qui n’a pas empêché la région de le subventionner à près de 2,3 millions d’euros en 2023.
À l’heure où les établissements scolaires publics périclitent, faute de moyens accordés par les gouvernements néolibéraux, et où les enfants des plus riches s’enferment dans un séparatisme bourgeois, la question de cesser d’alimenter aussi fortement l’école privé d’argent public devrait être une priorité.
– Simon Verdière















