« Anti-Squat » est le nom du nouveau film de Nicolas Silhol, en salles le 6 septembre prochain. Mais c’est aussi une référence à un dispositif locatif précaire, expérimenté en France depuis quatorze ans dans le plus grand des silences, et adopté discrètement en mars dernier… Éclairages.
Le dispositif « Anti-squat » n’est pas connu du grand public. Pourtant, il est en expérimentation en France depuis 2009 et vient même d’être pérennisé cette année par le gouvernement malgré ses dangers pour la protection locative, ses défaillances graves concernant les plus précaires et son déni des droits fondamentaux d’accès au logement. Le film Anti-Squat de Nicolas Silhol, en salles le 6 septembre, dévoile les effets pervers de cet énième cadeau aux start-up qui, une énième fois, contourne nos droits élémentaires et dédouane l’État de ses devoirs. Retour sur cette mesure signée Renaissance.
Diaboliser la pauvreté est plus rapide que de la traiter
« C’est un très bel amendement qui va permettre de pérenniser une mesure que nous avons décidé de prolonger en commission. Après trois ans ans, on a de bons retours… Donc avis favorable, très favorable, de notre commission ! » se réjouissait récemment Guillaume Kasbarian, député Renaissance à l’initiative du texte Anti-Squat, à propos de l’adoption de son dispositif de logements temporaires par la Commission des affaires économiques dont il est le président. Ce Guillaume Kasbarian est un dogmatique de la propriété privé au détriment des précaires. Usul et Cotentin le dénonçaient récemment dans un épisode d’Ouvrez les guillemets.
Fin 2022, l’ensemble du projet de loi Anti-Squat fait pourtant polémique. En cause ? Deux mesures en particulier : la multiplication par trois de la pénalisation du squat (désormais 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende) et l’accélération des procédures d’expulsion (les contrats de bail posséderont systématiquement une « clause de résiliation de plein droit » sans que le propriétaire n’ait besoin de passer par la justice).
« Plutôt que loger, vous préférez réprimer »
« Plutôt que loger, vous préférez réprimer », dénonçait alors l’écologiste Aurélien Taché. En effet, en diabolisant et criminalisant davantage les plus miséreux d’entre nous, le gouvernement prouve de nouveau qu’il ne cherche pas à régler le problème du mal-logement et de la pauvreté à la source, mais bien à rassurer la part de ses électeurs qui a accès a la propriété.
Les Nations Unies rappellent pourtant qu’au regard du droit universel, l’État doit soigner le mal-logement – et non le punir, en toute logique : « Le droit à un logement convenable est reconnu comme faisant partie du droit à un niveau de vie suffisant dans l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans l’article 11.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 ».
Le 4 avril dernier, l’Assemblée nationale a malgré tout validé une seconde fois la proposition, par 385 voix contre 147 et 8 abstentions. Or, parmi les mesures ainsi adoptées, l’une d’elles est passée totalement inaperçue : l’officialisation du dispositif de logements temporaires, jusque-là en expérimentation…
Une mesure méconnue, adoptée en toute discrétion
Peu d’entre nous en ont entendu parler, mais une partie du projet de loi était en expérimentation depuis 2009 sur le territoire français : un système locatif « Anti-squat ». L’Assemblée nationale vient donc de l’introduire discrètement dans le modèle immobilier français.
A priori, le principe de ce concept importé des Pays-Bas est simple : démarcher les bâtiments collectifs vides, comme d’anciennes écoles, maisons de retraites, bureaux, espaces municipaux… pour y placer des locataires temporaires contre de faibles loyers. De cette façon, les occupants précaires font fuir les éventuels « squatteurs » – qui ne sauraient payer un loyer quel qu’il soit – et rapportent dans le même temps un bénéfice.
De prime abord, l’idée peut paraître séduisante : le compromis idéal pour répondre à la fois aux attentes des propriétaires qui veulent sécuriser leurs bâtiments inhabités et aux besoins des plus pauvres qui peinent à être logés faute de places dans les établissements d’urgence. Effectivement, le 27ème rapport de la Fondation Abbé Pierre estime que la France compterait 4,1 millions de personnes en situation de mal-logement et 330 000 personnes sans domicile. Dans le même temps, le ministère évalue à 3,1 millions le nombre de logements vacants en France (hors Mayotte), soit un taux de 8,3 %.
Personnes sans logement et logements vides : deux véritables enjeux de société qui semblent se faire écho. De là à autoriser des squatteurs illégaux à occuper ces lieux inhabités, l’opinion publique peine à l’envisager. La question est épidermique avec pour preuve la fausse polémique inventée par un couple, et relayée par Le Parisien, qui prétendait être victime de squat au point de faire accepter l’agression d’une famille victime de mal-logement.
Le squat : faux problème mais bon terreau électoral
D’abord, le milieu du squat est profondément méconnu, donnant lieu à de nombreux préjugés sur leurs profils (parasites, criminels, toxicomanes,…). En janvier 2023, pour dépasser les clichés, Radio Parleur y consacrait un podcast en donnant directement la parole aux personnes concernées. Plus récemment encore, le squat de la Baudrière à Montreuil qui accueillait des personnes LGBTQI+ a été expulsé dans un grand ramdam répressif. Et pour cause, les squats sont souvent des lieux de contre-pouvoir politique qui font peur aux tenanciers du capitalisme.
Ensuite, et malheureusement, les faits-divers autour des problématiques de squat font vendre, car ils évoquent en nous des peurs primaires, comme celle de l’intrusion dans l’intimité. Ils nous renvoient qui plus est à la fragilité de nos modèles méritocrates et à la sacralisation de la propriété privée, menacés tous deux par la misère « sans foi ni loi » des classes inférieures à la nôtre. Le squat, c’est en somme l’échec du bon élève qui (sur)vit selon les règles du jeu capitaliste, soudainement piégé par les lois originelles de l’urgence vitale.
Le plus grave étant que, aussi symbolique soit-il de la crise de sens que traversent nos modèles pyramidaux, le squat ne représente qu’une menace infinitésimale du point de vue des chiffres rationnels : en 2021, l’Observatoire des squats admet que le squat n’est pas un phénomène massif en France.
En effet, il recense seulement 170 squats en France en 2021, à savoir 0,0013 % sur les 13 millions de logements locatifs en France. Il devient certain que le sujet est sur-médiatisé car il stimule les audiences. Or, au regard de l’échelle dérisoire des enjeux, il y a lieu de questionner la persistance du gouvernement à instaurer un dispositif qui, pour protéger quelques propriétaires, ferait prendre des risques inconsidérés à l’ensemble du droit locatif.
Les logements temporaires : une fausse bonne idée
Les risques, les voici. Avec ces logements temporaires qui ne s’encombrent pas du cadre législatif habituel, l’État ouvre la voie aux abus en tout genre. D’abord, au lieu de repenser les conditions de vie des populations les plus vulnérables, comme les étudiants, les familles mono-parentales, les personnes porteuses d’un handicap, les personnes retraitées, etc… le gouvernement les murent dans des habitations non-conformes dont ils peuvent être expulsés à tout moment.
Par ce biais, il nivelle par le bas les droits d’accès à un logement digne et élargit les voies de contournement de la loi en faveur de baux précaires, sans compte rendus. Un bon moyen d’enterrer la question du mal-logement sans s’encombrer des considérations législatives fondamentales.
Pire encore, loin de mettre le dispositif « Anti-squat » à profit du bien commun, le gouvernement a subtilement ouvert, une fois de plus, les vannes du secteur privé. Monoma, VPS, Camelot… les acteurs du logement low-cost sont multiples. Or, ce qui aurait pu tenir du service public, sous la surveillance citoyenne, s’est imposé comme l’occasion de créer un nouveau marché privé qui tire ses bénéfices de la misère.
Car la mission, a priori sociale, ainsi refusée à nos institutions, profite essentiellement à ces nouvelles start-up. Zones d’ombre législatives, logements insalubres, caméra-surveillance, visites impromptues et anxiogènes, expulsions hivernales, travail déguisé… le principe échappe totalement au contrôle du droit locatif pour le plus grand bonheur des faiseurs de business et de leurs complices politiques.
Une situation anormale et insidieusement dérogatoire que décortique d’ailleurs l’émission Secrets d’info du 1er avril 2023 sur France Inter. Rats, insalubrité, amiante, clauses douteuses contre le droit de circulation, engagement de confidentialité suspicieux… autant de restriction qu’aucun bas loyer ne doit pouvoir justifier sous peine d’accentuer les inégalités de droits et de traitement, de contraindre le droit au logement aux flux de l’offre et de la demande immobilière et d’ouvrir la voie à une généralisation de ces dérives sur tout le territoire.
Anti-Squat, une fiction pour exposer les dérives
Inès, campée par Louise Bourgoin, est une jeune femme et maman célibataire qui cherche un emploi quand elle se voit proposer un essai chez Anti-Squat. L’entreprise moderne est chargée d’une mission singulière : loger des personnes dans des bureaux inoccupés, et temporairement réaménagés, contre un faible loyer.
Grâce à la présence des « locataires », Anti-Squat vend à ses clients la promesse que leurs biens immobiliers seront « protégés » des véritables squatteurs, tout en récupérant au passage des bénéfices locatifs. La mission d’Inès au sein de cette société est de « recruter les résidents et faire respecter un règlement très strict ». Elle doit sélectionner des profils spécifiques : sans enfants, sans problèmes, qui ne réclameront rien. Sur place, pas de musique, pas d’invités, pas de nourriture dans les chambres, pas d’intimité et l’obligation d’entretenir les parties communes, dont les parties vertes, voire d’y faire quelques travaux de réparation, gratuitement.
Pour sortir de sa propre misère et offrir à Adam un meilleur avenir, elle est prête à tout, y compris à suivre les ordres à la lettre de la start-up. Au fil de ses tensions morales, Anti-Squat révèle un mille-feuille d’oppressions sociales dont la seule gagnante reste la rentabilité. C’est au service de cette dernière et d’entrepreneurs qui en profitent pleinement que Renaissance aura réussi à glisser dans nos protections législatives historiques une exception locative fragilisant les plus mal-lotis, confortant le repli de classes et gavant les marchés.
Anti-Squat de Nicolas Silhol sort au cinéma le 6 septembre. Un film co-écrit avec Fanny Burdino, produit par Kazak Productions et distribué par Diaphana Distribution.
– S.H.
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Photo de couverture : @KazakProductions