Alors que le néolibéralisme et le capitalisme sauvage semblent avoir envahi la quasi-intégralité de la planète, il existe tout de même quelques îlots de résistance à travers le monde. La petite ville espagnole de Marinaleda en fait partie. Découverte. 

Véritable utopie sociale et démocratique, la commune située en Andalousie vit presque en autogestion d’après un modèle proche de l’anarchisme depuis plus 44 ans. Fondée sur une économie agricole coopérative, elle prend toutes ses décisions en concertation avec ses citoyens et citoyennes.

Un chantier démarré à la fin des années 70

C’est en 1979, lors des premières élections municipales de la ville depuis la chute de la dictature franquiste, que va démarrer l’aventure socialiste de Marinaleda. À l’époque, Juan Manuel Sanchez Gordillo est désigné à la tête d’une commune qui croule sous la misère.

La prise de pouvoir du plus jeune maire d’Espagne de l’époque ne plaît pas à tout le monde. Tandis que les rues sont renommées par la nouvelle municipalité, la presse d’alors accuse le « maire d’extrême gauche » de « faire table rase de l’Histoire de l’Espagne. » Dans le même temps, un militant d’extrême droite essaie de l’assassiner avec un pistolet.

« La terre appartient aux travailleurs »

Après l’échec de cette tentative, le jeune maire, accompagné par les habitants de la ville, va lancer une série d’actions pour prendre possession des terres locales. Il faut dire qu’en Andalousie, la majorité des champs sont détenus par de grands exploitants qui les louent à des paysans.

À Marinaleda, on refuse cet état de fait que l’on considère comme un héritage d’une époque révolue. Les citoyens réclament alors la possession foncière des terres qu’ils exploitent eux-mêmes. Grève de la faim, occupation, protestations non violentes : les actions pour atteindre leur objectif sont légion pendant plus de dix ans.

Finalement, en 1991, après plusieurs attaques judiciaires, le duc de l’infantado, qui détenait les champs, est exproprié de 1200 hectares de parcelles cultivables donnés à la municipalité. Aussitôt, la population en fera une grande coopérative agricole à laquelle elle ajoutera bientôt une usine de conditionnement.

Pas de patron

Dans cette exploitation, qui reste encore aujourd’hui le cœur économique de la ville, il n’y a aucun patron. Chacun a le même pouvoir de décision et tout le monde est payé de manière identique, quel que soit son poste. Les bénéfices, eux, sont intégralement réinvestis dans l’entreprise, dans le but de constamment améliorer la condition des travailleurs et de créer le plus d’emplois possible pour les locaux.

Ainsi, Marinaleda a littéralement appliqué l’un des principes fondamentaux du communisme : la socialisation de ses moyens de production. Et cela fonctionne. Alors que la région est connue pour son extrême pauvreté, Marinaleda a toujours surnagé. Également frappée par la crise de 2008, la ville s’en est pourtant beaucoup mieux tirée que les autres, et son taux de chômage reste très faible.

« Il nous a fallu trente ans pour en arriver là. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que ce sont nos solutions qui marchent. La spéculation immobilière, elle, ne pouvait rien donner de bon. C’est la cupidité qui a plongé le monde dans la crise. Les gens sont surpris lorsqu’ils voient qu’ici, il n’y a presque pas de chômeurs et que tout le monde a sa propre maison. Mais c’est pourtant ça qui est normal. Ce qui n’a pas de sens, c’est ce qui se fait ailleurs. Et qu’on ne vienne pas me dire que notre expérience n’est pas transposable : n’importe quelle ville peut faire la même chose si elle le souhaite », explique le maire local.

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Un coût de la vie extrêmement faible

Ici, aucun bénéfice ne va engraisser des actionnaires ou de grands bourgeois ultra-riches. Tout va nourrir la collectivité qui dispose par conséquent de nombreux services publics gratuits ou à bas prix.

Petit à petit, la ville a ainsi pu établir une école, un collège, un lycée, des installations sportives ou encore un parc. À titre indicatif, l’abonnement annuel à la piscine est seulement de 1,80 € et le tarif de la crèche à 12 € par mois. Il existe enfin, des prestations d’accompagnements à domicile aux personnes âgées, réalisés par des agents municipaux.

Pour faire face au problème du logement, les citoyens de la commune se sont lancés eux-mêmes dans la construction d’habitations. Souvent, c’est un groupe de futurs occupants qui travaillent sur toute une rangée de maisons mitoyennes sans savoir à l’avance dans laquelle ils allaient vivre. On attribuait ensuite au hasard un bâtiment à tous en échange de 16 € par mois. Chacun pouvait alors disposer d’un foyer de 90 m² doté de deux salles d’eau et d’un jardin de 100 m². Au bout du compte, chacun devient propriétaire, mais l’édifice ne peut être revendu.

De la même façon, on peut aussi prendre l’exemple de la maison de la culture qui a été en partie construite de manière bénévole par certains habitants. Une solidarité communale qui donne confiance aux gens les uns envers les autres. À tel point qu’il n’y a pas de gendarmes sur place, comme l’expliquait le maire à Reporterre en 2013.

Une réelle démocratie

Dans la ville, les décisions ne sont certainement pas cantonnées au maire, ni même au conseil municipal. Des assemblées avec les habitants sont en effet régulièrement organisées et ceux-ci sont mis à contribution pour discuter de tout.

On évoque donc les impôts, les dépenses publiques, ou encore les choix à faire pour l’avenir de la commune. Dans tous les cas, on cherche, dans la mesure du possible, à se rapprocher au maximum du consensus. Le maire estime ainsi qu’il faut au moins 80 à 90 % d’avis favorables pour trancher.

Seul contre tous

Si cette utopie a pu voir le jour, personne n’est naïf sur le fait qu’elle reste encore extrêmement fragile. On peut par exemple craindre le départ du maire actuel qui demeure malgré tout à l’origine du projet. Réélu en 2019, il est cependant à cet instant âgé de 73 ans et ne sera pas éternel.

L’équilibre est d’autant plus précaire que les jeunes générations de la ville, qui n’ont rien connu d’autre, risquent de moins s’impliquer dans les affaires de la cité, n’ayant pas forcément conscience de cet équilibre friable.

Il est vrai qu’à travers l’Histoire, les poches de résistances au capitalisme ont le plus souvent été matées par la force, la propagande médiatique et l’usure du temps. On le voit d’ailleurs régulièrement en Amérique du Sud où les pays socialistes sont constamment déstabilisés par les États-Unis.

Il ne faudrait surtout pas que l’on puisse prouver qu’un autre monde est possible… Ces exemples fonctionnels risquent en effet de donner envie à de plus en plus de gens de faire tomber notre système indexé sur l’argent et la croissance qui est à bout de souffle. Reste que pour en arriver là, il sera nécessaire de démontrer autant de résistance que les habitantes et habitants de Marinaleda.

– Simon Verdière


Photo d’entête Marinaleda @ Berta Alarcón/Flickr

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