Le 20 janvier dernier, 970 « stylos rouges » lyonnais se sont donnés rendez-vous place de la République, dans le 2e arrondissement, pour corriger leurs copies et préparer leurs cours devant tout le monde. Un moyen ludique de rendre visible le « travail invisible » des enseignants eux aussi frappés par l’austérité. (Photographie : Vidooshan)

C’est en constatant « l’oubli » des problématiques liées à l’éducation nationale dans le mouvement des gilets jaunes et lors de l’allocution d’Emmanuel Macron le 10 décembre que Cyril (pseudo Facebook) a eu l’idée de créer sur Facebook le groupe des « crayons rouges ». Le groupe ayant pour objectif de faire valoir les revendications de tous les membres de l’éducation nationale a depuis été renommé (après débat) « Les Stylos Rouges » et comptabilise désormais plus de 65 000 membres.

Ils travaillent tous pour l’Éducation Nationale : ils sont professeurs en collèges/lycées (professionnel ou non), enseignants du supérieur, mais également AVS, CPE, personnels de santé et étudiants en master MEEF. En bref, ce sont « les oubliés du ministère ».

« Ce groupe nous l’avons créé après avoir constaté une chose : l’État nous a encore oubliés ou plus précisément notre patron nous a oubliés. Gèle du point d’indice, souffrance au travail, conditions de travail de plus en plus dégradantes… J’ai été enseignante contractuelle, Assistante d’Éducation – j’ai même cumulé les deux durant un temps – donc la maison Éducation Nationale je la connais plutôt bien. Et peu importe mon poste je me suis rendu compte d’une chose, l’avenir de nos jeunes se dégrade. Il n’y a pas de moyens humains ou matériels. En 5 ans dans la maison je n’ai jamais vu la médecine du travail alors que j’ai souffert de burn-out et de harcèlement au travail. Je ne pense pas que cela soit normal. Je me retrouve à côtoyer des familles qui vivent dans une grande misère sociale et pour moi l’école doit permettre à ces enfants de découvrir de nouvelles choses et à s’instruire pour s’en sortir », témoigne Sam, cofondatrice du mouvement et enseignante en REP+ (Réseau d’éducation prioritaire).

Image : page Facebook « Les Stylos Rouges ».

Le mouvement, faisant suite au #pasdevague dénonçant les violences subies par les professeurs depuis octobre sur Twitter, se veut collectif et participatif. Sur le groupe, des sondages sont mis en place afin de prendre des décisions et de permettre aux membres de s’exprimer tandis que les débats et discussions doivent respecter une charte et des règles prédéfinies. Par exemple, la question de rejoindre le mouvement des Gilets Jaunes a été abordée par sondage et refusée à la majorité, même si l’affinité est manifeste. Comme le rappelle Sam : « Le mouvement « Gilets Jaunes » est un mouvement social, nous sommes un mouvement professionnel. Faire front commun, c’est noyer nos revendications qui sont destinées à construire l’école de demain par le bien-être des enseignants et des élèves. »

De l’intelligence collective du groupe est né le Manifeste des Stylos Rouges rassemblant les revendications du mouvement et permettant aux « oubliés du ministère » d’enfin faire valoir leur parole.

Ces revendications s’articulent autour de 3 piliers :

La revalorisation des métiers de l’enseignement (indexation du salaire sur l’inflation et revalorisation de ces salaires, reconnaissance du travail invisible, annulation de la réforme des retraites annoncée et renégociation des modalités d’avancement)

L’exigence d’une vraie bienveillance de l’État pour ses élèves (limiter le nombre d’élèves par classe, arrêter la suppression de poste, donner plus de moyens aux élèves ayant des besoins particuliers…)

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La reconnaissance de la qualité de leur fonction et de leur travail (retrouver le respect des élèves, des parents, de la hiérarchie, de l’État et des Français. La fin du devoir de réserve, le retrait du jour de carence…)

Capture d’écran depuis le manifeste des « Stylos rouges ».

Une nouvelle forme d’organisation des luttes sociales

Le mouvement se veut détaché de tout parti politique, mais également des syndicats, dont le mode d’action est jugé affaibli par la politique de « sourde oreille » du gouvernement. Pour Laurent Frajerman, chercher à l’Institut de recherches de la FSU et au centre d’histoire sociale de Paris-I, « les enseignants sont à la recherche de la meilleure forme d’action possible. Or, depuis quelques années, ils ont le sentiment que les grèves n’ont pas été très efficaces ». La perte de confiance est d’autant plus importante que le taux de syndicalisation des professeurs est bien supérieur à d’autres professions (29% des enseignants du second degré, 26% des professeurs des écoles contre 11% pour les salariés selon l’INSEE). En revanche, les « stylos rouges » perçoivent leur action comme complémentaire à celle des syndicats. On retrouve d’ailleurs sur le groupe un espace de discussion réservé ayant uniquement pour objectif de donner de la visibilité aux actions syndicales, comme un « mur d’affichage […] dédié en salle des maître/prof ».

L’idée semble être de vouloir créer et développer de nouveaux modes d’actions sociales, dépassant les syndicats, sans s’y opposer.

« Nous sommes à l’ère d’internet, des réseaux sociaux… Même si les actions classiques existent toujours, pour se faire entendre il faut faire du bruit sur Twitter et Facebook. Ce n’est pas pour rien que nous sommes étroitement liés à #pasdevague », poursuit Sam.

La question des modes d’action a d’ailleurs largement été évoquée lors de l’assemblée générale des Stylos Rouges de l’académie de Créteil le 9 janvier. Pour les intervenants, une action doit être assez perturbatrice pour être efficace et en même temps ne pas être pénalisante pour l’opinion publique afin d’avoir son soutien. L’enjeu principal des Stylos Rouges étant de redorer le blason du métier d’enseignant, cela ne se fera pas sans les faveurs de l’opinion publique. Il leur faut donc être inventifs et ludiques. Ainsi, à Lille, certains enseignants ont mis 20/20 à tous les élèves dans le logiciel de notation tout en donnant leurs vraies notes aux élèves afin qu’ils puissent évaluer leur progression. Dans l’Académie de Lyon est née l’action « 1 stylo rouge » consistant à envoyer un stylo rouge complètement usé à l’Élysée afin de montrer que celui-ci a bel et bien servi.

Quelles sont les réponses du Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse ?

Invité des rédactions et des radios les 6 et 7 janvier (RTL, LCI, Le Figaro et France Culture), Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, a d’abord souhaité exprimer son « accord avec le point de départ du mouvement […] j’aime les professeurs, j’en suis un. Je pense que la France entière doit aimer ses professeurs » avant de rappeler notamment les « perspectives d’augmentation du pouvoir d’achat » des professeurs au travers de diverses mesures mises en place depuis le début de son mandat : hausse du salaire des professeurs des écoles (1000€/an en début de carrière), prime annuelle pour les enseignants en REP+ ainsi que la défiscalisation des heures supplémentaires. Pour lui, « le problème ne se situe pas seulement dans le point d’indice, mais aussi dans la vitesse et la nature de l’avancement ». Il souhaite donc mettre en place « un observatoire de la rémunération des professeurs » en début d’année pour mieux étudier la question. L’annonce de la création de cet observatoire avait déjà été faite début septembre, en même temps que l’annonce de la suppression de 2500 postes pour l’année 2018-2019. Une politique qui peut donc paraître contradictoire.

Ces réponses ne semblent d’ailleurs pas calmer la grogne des Stylos Rouges. « C’est bien gentil de dire « Que le constat que nous faisons n’est pas faux », mais quelles sont les solutions proposées par le ministre? » nous rétorque Sam, sous-entendant ici que les mesures proposées par Jean-Michel Blanquer sont insuffisantes. « Il veut nous rencontrer selon la rumeur, où est la demande officielle ? Tant qu’il n’aura pas discuté avec des Stylos Rouges, il n’y aura aucun sentiment de satisfaction.»

Capture d’écran depuis le manifeste des « Stylos rouges ».

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Sources : facebook.com / mediapart.fr / mediapart.fr / stylosrouges-officiel.fr / lefigaro.fr / 20minutes / lyonmag.com / youtube.com

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