On accuse souvent les défenseurs de l’environnement de prôner une « écologie punitive » qui sanctionnerait les plus précaires, notamment par de lourdes taxes. Cet argument épouvantail, bien souvent prôné par des climatosceptiques, leur donne à conclure un peu hâtivement que le réchauffement climatique serait forcément un complot pour taxer les populations. Cette théorie se heurte pourtant à la volonté de la plupart des environnementalistes qui est plutôt celle d’une écologie sociale et démocratique, profondément révolutionnaire. Fin d’un quiproquo.
Lorsque l’on parle d’écologie punitive, on fait généralement allusion à ce que subit la majorité citoyenne. Cette relation toxique entre écologie et sentiment d’étouffement financier induit dans l’esprit populaire qu’une politique écologique se fonderait irrémédiablement sur une action injuste allant à l’encontre des intérêts des individus. Avec l’écologie politique, on imagine entrer par nature dans une société d’interdictions, de taxes assommantes et du retour à l’âge des cavernes.
Comme nous avons pu le voir à propos du mythe de la « dictature verte », ces caricatures oublient d’abord bien souvent qu’une politique écologique n’existe a priori que pour préserver l’intérêt commun de l’effondrement de la vie sur Terre. C’est une approche longue-termiste, en opposition au court-termisme dévastateur et mortifère de la croissance qui finira tôt ou tard, en rencontrant les limites de notre planète, par se montrer lui-même bien plus punitif encore.
De fait, pour fonctionner dans cet intérêt commun et à venir, une société a besoin d’être relativement régulée. Afin de préserver un maximum de libertés à l’échelle globale, il est en effet nécessaire de restreindre d’autres libertés individuelles qui vont à l’encontre du bien commun. Toutefois, cette réciprocité, ou Contrat Social, doit effectivement pouvoir être perçue comme juste et légitime par ses contracteurs. Horizon encore possible concernant les restrictions climat, à plusieurs conditions toutefois, dont celle de remettre la véritable écologie, sociale et solidaire, au centre du débat.
Troquons notre méfiance envers les taxes écologiques contre une curiosité pour l’écologie populaire, et non pas en faveur d’un capitalisme débridé, voire assumé.
Les riches polluent le plus
Avant d’aborder plus spécifiquement le sujet des taxes elles-mêmes, il convient de rappeler un fait crucial : les plus gros pollueurs sont les plus riches.
L’économiste Lucas Chancel estime ainsi qu’un milliardaire – parmi les 0,01 % des plus riches – n’émettrait pas moins de 2332 tonnes de CO² par an, alors que la moyenne mondiale s’élève à 6 tonnes. Dans les pays les plus pauvres, le chiffre tombe même à 0,3 tonnes.
Or, selon les prescriptions, pour reprendre une trajectoire climatique soutenable, chacun devrait se limiter à moins de 2 tonnes par an.
Au regard de ces chiffres, il apparaît donc clairement que le capital financier est un facteur crucial dans le niveau de pollution. L’idée de taxer les français en proportion de leur pollution est donc naturellement apparue chez plusieurs responsables politiques. On l’a vu d’abord avec la taxe carbone, déjà mise en place depuis 2014, mais également avec les projets d’ISF climatique.
La taxe carbone est-elle la solution ?
si l’on nuit à la collectivité, alors on lui est redevable.
De nombreux économistes défendent aujourd’hui la taxe carbone comme un outil très efficace pour lutter contre l’émission de gaz à effet de serre. Celle-ci repose sur le principe du pollueur-payeur ; plus on pollue, plus on doit payer.
On pose donc ici un principe de responsabilité et de sanction pour les contrevenants. Le raisonnement parait juste : si l’on nuit à la collectivité, alors on lui est redevable.
La taxe carbone prend ainsi un rôle incitatif. Dans la logique marchande, si une entreprise veut maximiser ses profits, elle devra nécessairement tenir compte du coût de cette taxe et donc redoubler d’imagination pour réduire son empreinte carbone.
Pas de taxes justes dans une société sans dignité
Bien évidemment, pour les citoyens lambda, la situation est plus complexe. De nouvelles taxes ont de quoi être bien mal acceptées dans un pays où 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et où la classe moyenne supporte sur ses épaules l’essentiel de l’impôt tandis que les plus riches maximisent leur profit d’année en année. On l’a d’ailleurs largement constaté avec l’émergence, plus que légitime, des Gilets Jaunes.
Pour être accepté de toutes et tous, l’impôt doit donc être juste et proportionnel au niveau de richesse. Dans le cas d’un impôt climatique, le mécanisme est d’autant plus évident que les ultra-riches sont les plus grands responsables du problème et qu’ils s’en sortent encore trop souvent à bon compte dans leur rapport pollution/sanction. En effet, beaucoup parviennent tout de même à maintenir leurs activités polluantes sans sourciller, à l’image de Total, les quelques redevances dont ils doivent s’acquitter étant insignifiantes au regard de leurs bénéfices. Taxer massivement ces derniers permettrait ainsi de subventionner l’investissement dans une véritable bifurcation écologique, tout en relâchant la pression sur les classes les plus précaires.
D’autant que dans le cas de la taxe carbone, son rôle incitatif ne peut pas toujours être rempli. Si l’on prend l’exemple d’un citoyen rural qui habite un village sans aucun commerce et situé à 30km de son lieu de travail, il est évident qu’augmenter le prix de l’essence ne lui fera pas utiliser moins sa voiture. La situation n’est donc absolument pas équitable par rapport à un citadin qui dispose de nombreux transports en commun et de commerces de proximité.
Des alternatives nécessaires
Si l’on souhaite malgré tout adopter cette tactique globale pour encourager les citoyens à réduire leur empreinte carbone, il est nécessaire d’offrir d’autres solutions à ceux qui n’auraient actuellement aucune alternative. Sur le long terme, on peut par exemple imaginer proposer des politiques de revitalisation des campagnes, notamment par une relance des moyens de transports en commun ou non polluants, en partie tués par les lobbies de l’automobile durant l’entre-deux guerres.
Sur le court terme, il s’agira nécessairement d’apporter une compensation financière par le biais d’une politique sociale de redistribution des richesses. Car il est de toute évidence injuste de sanctionner un citoyen pour un comportement que celui-ci n’a pas d’autres choix d’adopter, ou encore trop difficilement.
Informer pour mieux accepter
En outre, pour qu’une taxe soit bien acceptée, il est crucial que les contribuables soient clairement informés, d’une part de la raison d’être de la taxe et d’autre part sur son utilisation future, ses perspectives.
Si certains parlent de « dictature verte », c’est bien par manque d’information. Il faut dire que le sujet de l’écologie est largement ignoré, voire moqué par de nombreux médias de masse. On a pourtant constaté lors de la convention citoyenne pour le climat que, bien informés, les citoyens pouvaient accepter, et même proposer des mesures plus ambitieuses. Plusieurs membres du groupe auraient même radicalement changé d’avis à la lumière des explications des experts.
Si on leur en donne les moyens, la plupart des citoyennes et citoyens agiront dans l’intérêt général, à condition de disposer préalablement de conditions de vie individuelles dignes.
Dans l’idéal, si les multinationales et les plus riches ont une lourde responsabilité dans la destruction de l’habitat naturel des êtres humains qui s’avère légitimement répréhensible – nous ne devrions pas avoir besoin de taxer les populations les moins favorisées. Au contraire, c’est par un changement de mentalité profond et par un niveau de conscience suffisant que les citoyennes et citoyens pourraient modifier leur comportement eux-mêmes. Qui serait assez fou pour sciemment détruire les conditions propres à son existence ?
Mais pour en arriver là, notre société doit mener des campagnes de communication très importantes, notamment dans les médias, mais aussi inscrire de manière bien plus marquée ces problématiques dans les programmes de l’éducation nationale.
Toutefois, affronter la désinformation menée par des lobbies industriels ultrapuissants qui poussent toujours plus au consumérisme, parfois même en trompant les citoyens les mieux intentionnés par du greenwashing, n’est pas aisé. Les campagnes d’information et d’éducation sont d’autant plus cruciales qu’il est terriblement difficile pour un être humain de renoncer à ses habitudes, qui plus est si elles existent depuis des décennies.
À ce titre, la consommation de viande illustre parfaitement ce phénomène, tandis qu’un seul jour sans viande par semaine a plus d’effets sur le réchauffement climatique que de manger 100% local tous les jours, les géants de l’élevage intensif persistent à promouvoir une consommation excessive d’animal.
Pour une écologie populaire
L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage
Ce qui est certain, c’est qu’une politique écologique trop dirigiste risque de ne jamais être acceptée par la population et d’intenter à la réputation de l’écologie, pourtant vitale. Les contraintes les plus fortes doivent en priorité s’exercer sur les minorités les plus polluantes. Et si nos institutions mettent d’abord en place cette véritable politique écologique anticapitaliste et sociale défendue par la plupart des activistes dans le domaine – en opposition à une écologie de surface -, il ne reste aucune raison pour qu’une humanité bien informée n’œuvre pas d’elle-même en faveur de la sobriété nécessaire à sa survie, loin de toute réticence envers la lutte climatique qui, par principe, l’émanciperait du joug capitaliste.
– Simon Verdière
Photo de couverture @mika-baumeister/Unsplash