Il faut l’admettre, le champ du débat politique s’est allégrement déplacé ces dernières années depuis les médias traditionnels vers les internets. Et pour cause, nous rendons de moins en moins nos cerveaux disponibles aux grandes chaines de télévisions (qui défendent tous une ligne idéologique à travers leurs choix de programmation) au profit de nos smartphones, tablettes et ordinateurs. Certains groupes politiques soutenant la ligne des détenteurs de capitaux l’ont bien compris et investissent en ce moment même, à votre insu, les actualités des réseaux sociaux. Enquête.
Que les partis politiques et idéologues de droite comme de gauche investissent le web pour défendre leur ligne directrice est de bonne guerre. C’est le jeu démocratique de la confrontation des idées. Mais quand les outils offerts par les réseaux sociaux deviennent des organes de propagande organisée, où la manipulation et le pouvoir de l’argent orientent les idées, il convient d’encourager les acteurs du web à rester vigilant face à la propagande des acteurs de l’économie. Depuis début 2015, tout comme il est possible d’acheter des « fans » en toute discrétion, Facebook propose aux pages professionnelles de payer une certaine somme (généralement importante) pour apparaître en tant que contenu sponsorisé sur les fils d’actualité, sans que les utilisateurs aient au préalable eu a « liker » quelque page que ce soit.
La plupart des communautés internet, comme celle de Mr Mondialisation, se constituent naturellement. Elles sont le fruit de plusieurs années d’implication, d’engagement, d’échange avec les lecteurs et surtout de travail concret : enquêtes, rédactions d’articles, partenariats avec des associations de terrain, interview, productions vidéographiques, etc… Mais voilà, Internet est à l’image d’une société capitaliste où tous les coups sont permis quand on détient de quoi investir dans son image. Ainsi, on voit pulluler des pages commerciales au contenus racoleurs qui distillent discrètement mais surement des idées qui confortent le statuquo et le « système » économique dominant, soit dans un but financier, soit dans un but politique, utilisant les mêmes codes que le marketing publicitaire classique. Parmi ces pages, une d’elle vient de débarquer en plein débat sur la Loi Travail…
Si vous avez récemment participé aux débats sur la Loi Travail ou encore Nuit Debout, vous avez peut-être eu la (mal)chance de tomber sur les publications sponsorisées d’un nouveau réseau nommé : « On ne vous dit pas tout« . On y trouve une communauté naissante qui, l’air de rien, publie de nombreuses caricatures sur un sujet en particulier : le travail. Leur leitmotiv : lutter contre la désinformation. Un nom accrocheur, des codes du « conspirationnisme » sans vraiment y toucher, une volonté déclarée de ré-informer, On ne vous dit pas tout se présente comme un média alternatif citoyen aussi normal que François Hollande. Très vite, on réalise que On ne vous dit pas tout distille toutes les positions du MEDEF à travers ses caricatures, sans pour autant s’en revendiquer, tout en abusant (en plus du financement de ses publications) des hashtags #NuitDebout #LoiTravail. Ainsi, ces images qui soutiennent la Loi Travail du gouvernement (ainsi que toutes formes de déstructuration des droits sociaux) et se moquent ouvertement des manifestants, débarquent discrètement dans les actualités militantes. Opération Confusion ?
Caricature de On ne vous dit pas tout publiée directement par le MEDEF
#FF @ONVDPT pic.twitter.com/6rToiC3IFo
— MEDEF (@medef) March 18, 2016
On appréciera l’effort de séduction mis en place par cette page avec l’utilisation abusive des codes de l’indignation et des mots clés des militants afin que leurs discours soient bien référencés au milieu d’autres tweets abordant ces mouvements de contestations. De plus, comme le loup montrant patte blanche, les propriétaires de cette page essaient de se mettre du coté des jeunes, principaux utilisateurs de ces réseaux sociaux. Ainsi, outre le MEDEF, on trouve dans leurs « pages associées » des communautés racoleuses servant visiblement à rameuter de jeunes utilisateurs un peu naïfs en usant d’humour gras, de vidéos de buzz ou encore potins people… Parmi ces pages aguicheuses on trouve notamment : Hey j’ai une blague, Ta Copine Relou ou encore Histoires de filles. Non seulement l’approche considère l’utilisateur ignorant, mais en plus on l’abreuve de contenus insignifiants qui le confortent dans la société du spectacle où le vide intellectuel remplace l’engagement citoyen.
Ainsi, ce type de page s’acharne à détourner les différents générationnels vers, notamment, une critique systémique des 35h et des normes de sécurité (image ci-dessous), en y amalgamant la destruction progressive de la sécurité sociale et des retraites. Aligné sur les positions du MEDEF et des politiques de l’UMPS/FN, le message sous-entendu est que le recul des conditions de vie des citoyens français serait la conséquence d’un trop plein de droits sociaux et de la fainéantise des travailleurs. Des clichés rabâchés depuis des décennies sans qu’il soit possible de les valider par une réalité sociologique. Les questions de la croissance gargantuesque des profits des actionnaires, au détriment des salaires (donc du pouvoir d’achat) et de l’emploi, de l’évasion fiscale astronomique, de la spoliation des richesses et des marchés par les grandes entreprises, ne sont évidemment pas abordées. On y retrouve donc sans surprise une haine passive des intermittents du spectacle, niant la précarité de la plupart d’entre eux et l’utilité de la culture française dans le rayonnement intellectuel du pays.
« Protéger le travailleur c’est mal m’voyez »
#Pénibilité : un vrai sujet sur le fond, mais la forme imposée est-elle réalisable ?#LoiTravail #Syndicat #ONVDPT pic.twitter.com/y4om1nbNpC
— Onnevousditpastout (@ONVDPT) April 29, 2016
Les dites caricatures du réseau On ne vous dit pas tout sont réalisées par deux artistes : Albert et Marandin. S’il s’agit vraisemblablement de dessins de commande, qui finance un tel travail ? Qui peut se permettre de sponsoriser des partages Facebook quand ceux-ci coutent des centaines d’euros par article, voire bien plus selon l’objectif à atteindre ? Albert ayant déjà travaillé pour un certains nombre d’entreprises du CAC40 (ce dont il parle sur son site avec une certaine ironie), on peut supputer, sous réserve, que les deux artistes sont des professionnels justifiant d’un certain capital financier pour réaliser cette propagande bien organisée (ça, plus le sponsoring Facebook généralement couteux). Une opération séduction désormais débunkée.
Pour récapituler, nous sommes face à un réseau-entreprise en campagne de propagande discrète qui, par une opération séduction vers les jeunes (et moins jeunes), tente de promulguer les idées d’une certaine frange idéologique dont le MEDEF fait partie, se nourrissant du vocabulaire usé jusqu’à la corde par Pierre Gattaz et de son père avant lui et en usant des moyens les plus perfides comme l’achat de visibilité ou la spoliation de hashtags militants. En témoigne, le florilège des abonnés de la page Twitter du même réseau. Dès la première page, on y trouve Laurence Parisot (ancienne présidente du MEDEF), Fanny Favorel-Pige (Secrétaire Générale du Conseil de Commerce de France), Fabien Portes, Directeur de la Franchise chez BUT et président du Medef Béziers, plusieurs groupes du parti Les Républicains, le réseau MEDEF 71, Génération MEDEF, et bien d’autres… Moralité : On ne vous dit effectivement pas tout.
Une dernière pour la route : abolissons les prud’hommes !