Marina nous a confié son témoignage après son interpellation et la procédure la visant pour exhibition sexuelle. Son tort ? S’être mise torse nu, comme de nombreux hommes, le 23 août, un jour de pleine canicule, durant le Festival d’Aurillac de théâtre de rue… Elle a été la seule a être contrôlée par la police qui lui a demandé de se couvrir, chose qu’elle a refusé. Sa mise en examen a mobilisé plus d’un millier de personnes réunies pour la soutenir et dénoncer cet injustice sexiste. Forte de ce vécu, elle tient à en rappeler le contexte et ce qu’il révèle de l’inégalité entre les femmes et hommes toujours aussi criante. 

Contrairement à la poitrine des hommes, celle des femmes est encore bien trop souvent sexualisée au point que des mères sont encore prises à partie pour avoir eu le « culot » de vouloir allaiter leur enfant en public (ce qui n’est pourtant pas illégal en France).

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir, par de pareils objets, les âmes sont blessées. » disait Tartuffe dans l’œuvre éponyme de Molière. Parfois en effet, on croirait encore vivre au 17e siècle.

L’histoire de Marina s’inscrit sans conteste dans ce continuum patriarcal. Voici son témoignage. 

Une procédure toujours en cours 

« Quatre semaines après mon interpellation suivie de ce magnifique soutien de plusieurs milliers de personnes, je n’ai toujours pas de nouvelles de ma condamnation. Car oui, contrairement à ce qu’ont affirmé le maire et le directeur du festival, l’amende n’est pas « annulée » : les poursuites pour exhibition sexuelle sont maintenues. Une belle promesse dans le vent puisque le maire n’a pas le pouvoir de faire annuler la décision du procureur. Aurait-il été pris d’une soudaine amnésie sur la séparation des pouvoirs en France ? N’a-t-il pas eu le courage de me l’annoncer lui-même au lieu de me laisser le soin de l’apprendre par la presse ? Y avait-il besoin d’aller jusqu’à mentir publiquement pour calmer la situation après la manif, quitte à me donner de faux espoirs ?

Autant de questions sans réponses, et ce ne sont pas les seules. L’ordonnance pénale est toujours entre les mains du procureur, et aucune idée de ce qu’il en fera. Après plusieurs tentatives, j’ai enfin réussi à joindre le tribunal d’Aurillac. Comme je n’ai eu aucune réponse, j’ai demandé à être informée de la suite de la procédure par un simple coup de fil, ce qui m’a été refusé.

Florilège d’arguments ubuesques

Et pendant ce temps, tandis que je reçois des soutiens de toute part, l’encre de la presse et la bave des réacs continuent de couler. Difficile de croire qu’on est en 2023. Petite compilation des pires arguments que j’ai lus :

  • « Dans la rue on ne devrait pas se balader torse nu, même les hommes. »

Pour le coup je suis plutôt d’accord, dans 99% des cas. Le 1% restant, c’est les exceptions : canicule, festival, etc. De toute évidence cette tolérance est appliquée puisque la moitié des gars autour de moi étaient torses nus. Et c’est là tout le problème : si on ne peut pas se balader torse nu même en contexte exceptionnel, alors c’est TOUT LE MONDE qui devrait être concerné. Je n’ai pas à m’excuser d’imiter exactement le même comportement que les hommes sous prétexte que moi je suis une femme. Et je n’ai pas à m’excuser de me sentir suffisamment à l’aise et non jugée par les autres pour le faire.

  • « Un corps d’homme et un corps de femme, c’est pas pareil. »

La composition des seins est identique chez les deux genres : une glande mammaire, un mamelon et une aréole. La taille et la forme dépendent des hormones produites : les œstrogènes font développer la croissance, tandis que la testostérone l’atrophie.

  • « C’est indécent, surtout pour les enfants. »

Les enfants ne sexualisent pas un corps nu. Il n’y a que certains adultes qui sexualisent le corps des femmes à leurs dépens.

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  • « T’as qu’à aller dans un camp de nudiste. »

Être topless ne signifie pas être nu, cela signifie ne pas avoir le torse couvert. Être nu signifie exposer ses organes sexuels. Simple, basique.

  • « La poitrine féminine est une partie intime et sexuelle. »

Les seins ne sont pas un organe sexuel. Ils ne sont pas liés au système reproducteur. La glande mammaire des femmes sert simplement à nourrir les bébés.

  • « Il faut respecter la loi. »

Depuis 1994, se promener torse nu n’est plus un outrage à la pudeur. Le code pénal ne spécifie pas que cela ne concerne pas les femmes. Et quand bien même la jurisprudence pencherait en faveur d’une interdiction, ce qui est légal est parfois loin d’être légitime. Pour info, la loi interdisant le pantalon pour les femmes, qui était toujours en vigueur depuis 1800, a été abrogée en… 2013.

Photo de Annie Spratt sur Unsplash
  • « C’est comme ça et ça l’a toujours été. »

Justement non, pas du tout. Déjà, le topless était beaucoup plus répandu il y a 50 ans (presque la moitié des femmes le pratiquaient contre seulement un quart maintenant). De plus, dans l’art et dans la culture occidentale, la poitrine féminine a longtemps été montrée sans censure. Ce n’est que depuis récemment à l’échelle de l’Histoire que la poitrine féminine a été sexualisée et donc rendue impudique : tétons féminins censurés sur les réseaux sociaux (mais pas masculins), femmes sommées de se rhabiller même sur des plages (mais pas les hommes), et j’en passe.

  • « Mais quand même, un minimum de pudeur et de respect ! »

J’espère que, par souci de cohérence, les gens qui se permettent de donner ces leçons de morale le font à chaque fois qu’ils voient un homme torse nu. Ou bien c’est que pour les femmes la pudeur et le respect ? Et d’ailleurs ce sont des notions extrêmement mouvantes. Pour rappel, les épaules et les jambes étaient naguère considérées comme intimes et c’était un outrage de les montrer.

  • « Faut pas venir se plaindre si tu te fais violer. »

C’est aux agresseurs de cesser leur prédation sexuelle, pas aux femmes de se couvrir. C’est aux hommes d’être mieux éduqués, pas aux femmes de se couvrir. C’est aux député·es de légiférer pour une égalité de traitement entre les genres, pas aux femmes de se couvrir. C’est aux juges de condamner systématiquement les violeurs, pas aux femmes de se couvrir. C’est à l’État d’avoir une réelle politique de lutte contre la culture du viol et les violences faites aux femmes. PAS AUX FEMMES DE SE COUVRIR !

Photo de Pablo Heimplatz sur Unsplash

La culture du viol

Tous ces arguments montrent que les seins nus dérangent non pas parce qu’ils sont choquants en eux-mêmes, mais parce qu’ils bousculent toutes nos croyances sexistes intériorisées depuis notre naissance, croyances elles-mêmes ancrées dans les sociétés occidentales depuis des siècles.

Pourtant, quand il s’agit de vendre tout et n’importe quoi, ça ne pose aucun problème d’étaler des nichons partout. Ce slogan féministe en Argentine résume bien l’hypocrisie de nos sociétés : “Les seins qui dérangent ne sont pas ceux qui vendent”. En illustration, un petit top des pubs (bien sexistes) où l’on montre des nichons alors que ça n’a rien à voir avec la choucroute.

Cette banalisation du sexisme a des conséquences directes sur la vie des femmes. Outre les discriminations et violences quotidiennes, elles osent de moins en moins porter les vêtements qui leur conviennent à cause du jugement d’autrui.

Quant au traitement médiatique de cette affaire, les grands médias ont fait le choix d’invisibiliser le fond du débat en se focalisant uniquement sur des dégradations survenues lors de la manifestation de soutien. La revendication du droit à l’égalité, qui était le but premier de la manif, est traitée de manière anecdotique, presque triviale.

Rien d’étonnant à cela quand l’État lui-même est complice, à l’instar de son ministre de la justice et de ses propos choquants en pleine conférence de presse. Quand on pense que c’est sur ces gens-là que doivent compter les 250 femmes par jour victimes de viol ou tentatives de viol en France, c’est flippant.

Bref, il est grand temps que les mentalités évoluent. Une bonne fois pour toutes, lâchez-nous le sein. Et n’oubliez pas que la tête, c’est comme la chambre : faut aérer de temps en temps sinon ça pue le renfermé. »

– Marina


Pour aller plus loin sur le sujet, on vous recommande la lecture de cet excellent article de Dieses.

Photo de couverture de Fernand De Canne sur Unsplash

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