Alors que les rapports scientifiques nous martèlent depuis des décennies qu’il est impératif de changer radicalement de mode de vie pour minimiser les impacts du changement climatique sur les écosystèmes terrestres, il semble que nous ne soyons toujours pas prêts à nous tourner vers des formes de mobilité plus durables. C’est en tout cas ce que révèlent les chiffres publiés par le Ministère de la Transition écologique français dans le cadre de l’« Enquête mobilité des personnes 2019 » réalisée chaque décennie. Si ces résultats remplacent donc ceux de la précédente étude datant de 2008, peu de choses semblent changer dans le bon sens : la voiture s’impose et parcourt davantage de kilomètres qu’avant, alors que l’avion continue son décollage… Certains résultats contribuent tout de même à tordre le cou à certaines idées reçues. Un rapport en demi-teinte qui ne laisse plus qu’à espérer un tournant majeur imminent pour nos modalités de déplacement.
C’est à la fin du mois dernier que le Ministère de la Transition énergétique a présenté les résultats de son « Enquête mobilité des personnes » portées sur les différentes modalités de déplacement des Français âges de plus de 6 ans sur la période 2018-2019. Résultats discrets et globalement peu commenté. Pourtant, les déplacements sont un enjeu majeur face au changement climatique et à la perspective d’effondrement. Ce rapport succède à l’enquête nationale transport et déplacements (ENTD), conduite en 2007 et en 2008. Grâce à une approche semblable à chaque édition, le Ministère assure une certaine cohérence méthodologique à travers les décennies. De quoi proposer une carte informative claire pour mesurer la mobilité des Français au niveau national et la comparer au cours du temps. Selon Mathieu Chassignet, ingénieur spécialisé sur les questions autour de la ville et des transports durables, mais également auteur d’une analyse sur le sujet, « cette publication est une très bonne nouvelle, puisque les chiffres de 2008 étaient parfois les seuls disponibles pour étudier certains aspects de la mobilité des français, leur ancienneté devenant un problème ».
Cette étude apporte en effet des éclairages précieux sur l’évolution de notre mobilité, notamment sur le parc de véhicules à disposition des ménages (et l’utilisation qui en est faite), les abonnements pour les services de transports collectifs, d’autoroutes, d’autopartages et de vélos en libre-service, la mobilité « locale » de tous les jours des Français, mais aussi leur mobilité à longue distance (qui les conduit à plus de 80 km de leur domicile). Pour l’ingénieur, « les chiffres 2019 sont comme toujours très détaillés et permettent d’effectuer de nombreux croisements : analyse de la mobilité en fonction du lieu d’habitation, des revenus, du genre,… ». Après avoir passé ces données au peigne fin, il dévoile ainsi au fil de son analyse plusieurs enseignements et mises en perspectives par rapport aux chiffres de l’édition précédente.
La voiture toujours aux commandes
Le premier d’entre eux est sans conteste la durable prédominance de la voiture sur les trajets du quotidien (moins de 80km), qui s’impose encore aujourd’hui comme le moyen de déplacement « préféré » des Français. Choisie pour 114 millions d’entre eux, soi près de 63%, elle devance ainsi largement la marche (23,7%) mais surtout les transports en commun (9,2%), minoritaires, sans parler du vélo qui ne représente que 2,7% des déplacements… On notera d’ores et déjà la place qu’occupent les commentaires « anti-vélo » alors que ceux-ci ne sont qu’extrêmement minoritaires.
Si dans les espaces ruraux, la voiture est le mode utilisé pour 4 déplacements sur 5 (comme en 2008), son usage baisse toutefois légèrement dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants. La bonne nouvelle se trouve peut-être ici ! À Paris, l’usage de la voiture ne représente plus que 33% des modes de déplacements, éludée par la marche à pied qui figure à ce jour comme le moyen de déplacement le plus courant (38%) dans la capitale.
Dans son analyse, Mathieu Chassignet pointe cependant que « le taux de motorisation des ménages a très peu évolué entre 2008 et 2019. Il reste proportionnel aux revenus : plus on est riche et plus on possède de voitures ». Il ajoute également que plus un ménage est aisé, plus il aura tendance à utiliser intensément la ou les voitures dont il dispose (pour les voyages plus nombreux notamment). Mais ce n’est pas tout, le citoyen « riche » se déplacera également en moyenne beaucoup plus loin !
« L’enquête fournit également des informations sur l’âge et le carburant des voitures utilisées par les ménages. Les chiffres confirment que plus les ménages sont riches et plus ils ont des voitures récentes ». Ainsi, bien qu’utilisant moins fréquemment leur voiture et pour des trajets nettement moins longs, les ménages les moins riches du territoire risquent donc d’être également les plus pénalisés par les futures Zone à Faibles Emissions (ZFE). Une double peine économique.
Vélo, boulot, bobo ?
Si le vélo est quant à lui souvent l’apanage des urbains aisés et intellectuels dans l’imaginaire collectif, les chiffrent battent ce cliché en brèche. En effet, aucune corrélation n’apparaît entre les revenus des ménages et la pratique de la bicyclette ! Au contraire, souligne l’auteur du blog Alternatives économique, « les ménages appartenant aux 10% les plus riches se déplacent moins à vélo que la moyenne ». Le vélo n’est donc pas une affaire de bobo.
Nombreux sont ainsi ceux qui pédalent au quotidien : cadres, chômeurs, étudiants et ouvriers. En revanche, l’utilisation des 2-roues motorisés semble davantage corrélée au revenu, ce qui n’était pas encore le cas lors de la précédente étude nationale. Et si c’était « le vrai mode de transport de « bobo » » questionne l’ingénieur ? Ce qui est sûr, c’est que pédaler plus ne ferait pas de mal, quand on sait que 15% des trajets en voiture sont inférieurs à 2 kilomètres, et 41% d’entre eux en font moins de 5km. Des distances qu’il serait en effet aisé de couvrir à vélo.
L’avion continue son envolée…
Et il mène les Français de plus en plus loin. En 2019, la part des voyages qui conduisent à moins de 200 km du domicile baisse de 5,4 points (186,5 millions de voyages), alors que ceux qui conduisent à plus de 900 km progressent de 3,2 points (29,7 millions de voyages, soit 7,9 % du total). Sur ces longues distances (plus de 80km), l’avion représente désormais à lui seul 43% des distances parcourues, contre 30% en 2008. Il dépasse ainsi largement la voiture (42%), alors que la part du train est notablement en baisse (de 14 à 10%). Mais ces chiffres ne voient pas que « juste avant le Covid, en 2018 et 2019, l’usage du train a augmenté de 10 % en deux ans », confie Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut), à Vert.
Sans surprise, les ménages les plus riches partent bien plus souvent et bien plus loin en voyage, avec une moyenne de 14 900 km par personne et par an pour les français les plus prospères, contre 3 200 km pour les plus pauvres d’entre eux. Au-delà des questions manifestes que cette réalité soulève sur le plan des inégalités sociales et économiques, ces chiffres démontrent également qu’en ce qui concerne les déplacements longue distance, « on se déplace à la fois plus loin et en utilisant de plus en plus les modes de transport les plus carbonés » , relève Mathieu Chassignet. Bref, tout le contraire de ce qu’il convient de faire pour éviter le crash…
Éviter le crash
Alors comment activer la transition vers des moyens de transport plus durables ? Pour le spécialiste, pas besoin de baguette magique : « il faut de la sobriété, s’attaquer au sujet de l’augmentation des distances parcourues, car cela nous emmène dans un mur. Si demain on est obligés de faire 10 kilomètres à chaque fois que l’on se déplace, on ne pourra plus développer les alternatives » confie-t-il à Reporterre. Bref, de quoi nous (re)faire penser notre mobilité en cette période de bonnes résolutions. Et vous, vous vous déplacez comment ?
L.A.
Sources :
- Enquête de mobilité : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/resultats-detailles-de-lenquete-mobilite-des-personnes-de-2019
- Analyse de Mathieu Chassignet : https://blogs.alternatives-economiques.fr/chassignet/2022/01/03/enquete-nationale-sur-la-mobilite-des-francais-quelques-enseignements-de-la-nouvelle-edition-et-evolutions-recentes