La droite française actuelle, bien souvent, ne défend absolument pas ce qu’elle prétend défendre. Je montrerai ici brièvement qu’elle ne milite pas vraiment en faveur des traditions, ni en faveur de la sécurité, ni en faveur de la croissance économique.
Ainsi, la gauche se trompe si elle attaque systématiquement le traditionalisme, les « politiques sécuritaires » et la croissance, car ce faisant elle nourrit le mensonge selon lequel la droite se préoccupe de tout cela. Il convient plutôt de déconstruire les ambitions affichées de la droite actuelle pour mieux mettre en lumière ses intentions réelles.
La droite ne défend pas les traditions françaises.
La droite ne défend par exemple pas le climat, lequel constituait l’une des constantes les plus anciennes de la France. Le changement climatique nous empêche de faire la même expérience de la France que nos ancêtres, et la droite n’en a que faire. La France est en train de perdre ses paysages enneigés, son ambiance hivernale sur les marchés de Noël, et la droite n’en a que faire. De nombreuses cultures de plantes emblématiques de la France, telles que la lavande de Provence, sont mises en péril par le réchauffement climatique, et la droite ne cesse de faire obstacle à la défense écologique de ces traditions.
Elle prétend aussi défendre les « racines chrétiennes » de la France alors que son programme migratoire s’oppose diamétralement au message de Jésus, lequel prône l’accueil et l’amour du prochain quelle que soit son origine. D’ailleurs, on ne peut qu’être stupéfait par le refus de dénoncer, chez de très nombreux chrétiens français, cette réappropriation calomnieuse de leur religion.
En ce qui concerne plus précisément les catholiques, 42% ont voté pour des listes d’extrême droite aux européennes de l’année dernière, contre 18% en 2019, alors même que leur propre souverain pontife appelait régulièrement à l’accueil des migrants. Ce manque de cohérence et de fidélité sera probablement l’un des traits caractéristiques que retiendra l’histoire de l’église catholique française du début du XXIème siècle.

Il est toutefois vrai que la droite défend certaines traditions. Elle défend notamment celles qui confortent la domination sociale, économique et culturelle à l’égard des humains et du vivant. La France a pour tradition de tuer des animaux sauvages pour le plaisir : elle soutient cette tradition. La France a pour tradition de faire advenir des très riches aux dépens des plus pauvres : elle soutient cette tradition. La France a pour tradition de ne pas accorder autant de droits aux femmes qu’aux hommes : elle soutient cette tradition. La France a pour tradition d’avoir l’une des polices les plus brutales d’Europe : elle soutient cette tradition.
Évidemment, si seuls les membres de la caste qui bénéficie de ces politiques votaient à droite, alors celle-là n’accèderait jamais au pouvoir, puisqu’il s’agit surtout d’une petite minorité d’individus riches et puissants. Le fait à la fois étonnant et habituel est que des millions de gens votent pour des politiques de droite dont ils sont eux-mêmes victimes.
Nombreux sont les sondages récents qui montrent, entre autres, que les femmes et les personnes homosexuelles votent de plus en plus pour les partis qui piétinent leurs propres droits. Nous avons là une expression typique de la « servitude volontaire », concept de La Boétie sur lequel j’ai déjà écrit. Pour lutter contre elle, il importe de révéler l’imposture des partis politiques qui ne défendraient pas ce qu’ils prétendent défendre, qu’ils soient de droite ou de gauche.
Concernant la sécurité, la droite actuelle est loin de la soutenir vraiment.
On pourrait d’abord montrer cela en mobilisant de nouveau l’écologie. La droite s’attaque rarement au problème de la pollution de l’air, laquelle entraîne pourtant, non pas deux fois plus de morts que l’insécurité routière, non pas cinq fois plus, mais quinze fois plus de morts que les accidents de la route. Ainsi, la droite dit défendre la sécurité tout en laissant mourir en masse les citoyens, asphyxiés sous des substances toxiques.
On peut aussi montrer l’inaction de la droite pour la sécurité sous l’angle de l’économie. La droite renforce les inégalités économiques (vote contre le rétablissement de l’ISF, contre l’augmentation du SMIC, contre l’indexation des salaires sur l’inflation…) et, par là, elle entraîne également une hausse de la mortalité précoce, puisque l’on sait que les pauvres en France ne parviennent pas à vivre aussi longtemps que la moyenne et que l’écart peut atteindre 13 ans de vie entre les plus pauvres et les plus riches.
La droite actuelle ne correspond donc en rien au modèle politique de Hobbes où les individus obtiennent, en échange de leur soumission à un souverain, la sécurité. La droite actuelle propose la soumission et la menace constante de la mort : mort de pollution, mort de pauvreté… En demandant à son empire médiatique d’insister sur la peur de mourir agressé dans la rue, elle détourne l’attention des politiques meurtrières bien plus dangereuses qu’elle cautionne.
Car ce que la droite appelle « sécurité », c’est en fait la protection de sa propre classe. Son projet de sécurité est un projet de domination sociale. La sécurité des uns au détriment de la sécurité des autres. Selon les positions à droite, ces « autres » sont déterminés différemment : par l’origine ethnique, religieuse, culturelle ou économique.
Dans tous les cas, il y aurait des plus forts à protéger contre des moins bons, ces plus forts étant déterminés de manière immuable, rigide et sûre, suivant une loi pseudo-naturelle, un darwinisme totalement mal compris (pour commencer, on pourrait noter que, si ces plus forts l’étaient vraiment, ils n’auraient pas besoin d’être protégés, de demander des privilèges). « Coïncidence » : ceux qui embrassent une telle approche se considèrent toujours eux-mêmes comme plus forts. Enfin, ils pensent évidemment mériter ces privilèges, « mérite » qui n’est presque jamais fondé, comme cela a été déjà maintes fois montré.

Ainsi, les policiers qui votent massivement à droite ou à l’extrême droite, croyant accomplir leur volonté de sécurité et d’ordre, tombent dans le piège qui leur est tendu. Certes, la droite va souvent accroître les effectifs de police, augmenter la sévérité des peines, mais elle va aussi, de par ses politiques sociales et économiques, aggraver les causes de la délinquance (misère, déscolarisation, disparition des assistants sociaux…) et ainsi donner toujours plus de travail aux policiers. À l’issue de telles politiques, le rapport de force entre délinquants et policiers ne peut que rester globalement le même.
En effet, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer au premier abord, la répression est loin d’apporter systématiquement la sécurité. Comme l’explique le sociologue et criminologue Sebastian Roché : « Les États qui durcissent les lois ne connaissent pas de diminution de la délinquance plus importante que les autres États, et les personnes qui sont soumises à des peines plus sévères, et particulièrement les jeunes, ne sont pas moins délinquants après avoir été plus sévèrement condamnés, mais ils sont plutôt plus délinquants et plus récidivistes. Souvent, les personnes veulent entendre un discours de sévérité parce qu’elles croient que ça équivaut à de la protection. Mais le problème, c’est que cette sévérité ne va pas leur apporter de protection dans les faits. »
Ce n’est pas étonnant. Cela fait plus de 120 ans que les sociologues ont montré, notamment avec les travaux de Durkheim, que les comportements antisociaux sont dus à l’isolement social ou, au contraire, à l’appartenance à un milieu social déjà délinquant et dans lequel règne une forte pression de conformité. La vérité de la sécurité, c’est le social, et non pas la répression. Vouloir résoudre l’insécurité en privilégiant la répression, c’est, à bien des égards, comme vouloir sortir d’une épidémie en augmentant la production d’aspirine. La douleur reviendra.
Certes, on pourrait penser au contre-exemple du Salvador et à Nayib Bukele, ce « dictateur cool » qui aurait fait drastiquement diminuer le taux d’homicides en faisant la guerre aux gangs. Toutefois, premièrement, plusieurs journaux d’investigation ont indiqué que le gang le plus puissant du pays aurait simplement promis de commettre moins d’homicides en échange de bons et loyaux services du gouvernement.
D’ailleurs, lorsque cette complicité a été rompue en mars 2022, 87 assassinats ont été commis en trois jours. Il faut aussi noter que le gouvernement a changé sa façon de compter les homicides afin d’exagérer ses résultats en matière de sécurité, et que le taux d’homicides était déjà en forte baisse avant l’arrivée du dictateur au pouvoir.
Deuxièmement, le fait même d’avoir instauré une dictature pour « améliorer la sécurité » est contradictoire, étant donné que la dictature crée elle-même de l’insécurité. Dans une dictature, on peut être torturé, emprisonné ou tué par la police à tout moment et même parfois sans aucune raison. Personne n’est en sécurité et personne ne doit se sentir en sécurité. On se souvient de Vladimir Poutine qui, en 2019, affirmait fièrement qu’en Russie il n’y aurait pas les vitres cassées par les « Gilets jaunes » – sous-entendu, la Russie garantit la sécurité. Mais il n’y a évidemment pas la sécurité en Russie : il y a la mafia, la peur, le climat d’insécurité constant, du fait de l’État lui-même.

L’idée que la droite actuelle défendrait la croissance est loin d’être exacte.
La droite vote contre la quasi-totalité des mesures pour le climat, ce qui ralentit la croissance puisqu’il est prouvé que l’action climatique (avec l’isolation des bâtiments notamment) coûte moins cher que l’inaction climatique (frais liés aux inondations extrêmes, aux fissures des maisons causées par la sécheresse…).
La droite se montre en faveur de l’augmentation des jours de carence pour les arrêts maladie, alors même qu’il est prouvé que cela incite les salariés à venir au travail malades, diffusant ainsi le virus dans toute l’entreprise, ce qui fait diminuer la productivité générale. Tout compte fait, on calcule que l’entreprise perdrait moins d’argent en payant les arrêts maladie.
De deux choses l’une : ou la droite n’arrive pas à être fidèle à son désir de prospérité financière, ou ce « ratage » est en fait voulu. Selon cette seconde interprétation, pour la droite, le désir de croissance économique générale serait surpassé par un autre : le désir d’exploiter la classe populaire. La violence de classe avant tout. Car, en effet, face à la maladie, la classe dirigeante peut aisément se payer ses propres jours de congé et, face à la crise climatique, la classe dirigeante peut aisément s’offrir un déménagement au frais.
Comme je l’annonçais, la déconstruction des ambitions affichées par un parti politique permet de repenser ses intentions réelles. Ici, la droite est finalement fidèle à son acte de naissance historique, qui était le vote en faveur d’un droit de veto illimité pour le roi : son projet est le maintien et le renforcement de l’inégalité – en étant ou en espérant être toujours, évidemment, du côté privilégié de l’inégalité.
Cette analyse ne signifie évidemment pas que les partis de gauche sont, eux, toujours transparents et cohérents dans leurs projets. Mais elle pourrait leur inspirer une façon efficace de critiquer les discours de leurs opposants et de s’en différencier vraiment.
– Léonor Franc
Photo de couverture : La ministre de l’Intérieur UK Yvette Cooper et le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau se rencontrent pour annoncer une nouvelle action franco-britannique contre l’immigration. Wikimedia















