Fin juillet 2024, les autorités ont décidé d’éjecter les chaînes NRJ12 et C8 de la TNT. Cette dernière, sanctionnée à de multiples reprises, notamment en raison des dérapages fréquents du programme de Cyril Hanouna, va donc sans doute disparaître d’ici 2025. Deux autres émetteurs devraient remplacer les sortants, dont une proche de la Macronie. À l’inverse, la gauche est toujours boudée puisque la candidature du Média TV a été rejetée.
La suspension de C8 par l’ARCOM, l’arbitre de l’audiovisuel français, a été accueilli comme un grand succès par beaucoup de militants progressistes tant les émissions de Cyril Hanouna y faisaient une véritable propagande pour l’extrême droite. Cependant, il s’agit d’une victoire en trompe-l’œil puisqu’il n’y aura pas plus de pluralisme à la télévision et que l’employé de Vincent Bolloré trouvera facilement un point de chute.
Hanouna bientôt réhabilité ?
Le directeur général de Canal plus, Gérald-Brice Viret, avait déjà prévenu avant même que l’ARCOM ne prenne sa décision : « avec ou sans C8, vous retrouverez Cyril Hanouna sur une autre chaîne du groupe, dès la rentrée ». L’animateur sera d’ailleurs bien encore là en septembre, jusqu’à la suspension définitive de C8 qui devrait intervenir en 2025.
Ceux qui pensaient être débarrassés des diatribes nauséabondes du présentateur ont donc très vite vu leurs espoirs douchés. De plus, malgré la disparition de C8, l’empire Bolloré dispose de plusieurs fréquences sur la TNT. Le programme pourra ainsi être déplacé sur une plage en clair de Canal plus ou encore sur la chaîne CSTAR, voire CNEWS.
Car l’autre enseignement des délibérations de l’ARCOM c’est aussi que la chaîne d’informations en continu largement orientée à l’extrême droite pourra continuer d’émettre. Les outrances racistes de Pascal Praud, les fake news ou encore le prosélytisme pour le catholicisme le plus conservateur, ont donc de beaux jours devant eux.
Deux nouvelles chaînes bientôt sur la TNT
En lieu et place des deux chaînes sortantes, les autorités ont choisi d’offrir les créneaux à « Ouest France TV » et « Réel TV ». La première sera fondée sur le même esprit que le journal libéral éponyme et devrait mettre l’accent sur les régions, notamment avec des partenariats avec les médias locaux.
Mais c’est bien la seconde, détenue par Daniel Kretinsky, un milliardaire tchèque qui possède déjà des titres de presse comme Franc Tireur ou Marianne, qui a de quoi le plus inquiéter. Leur patron n’a d’ailleurs jamais caché sa sympathie pour Emmanuel Macron dont il s’est dit « fan ».
Bientôt pire que Hanouna ?
Pour s’opposer à CNEWS, Réel TV promet de « promouvoir la tolérance, le débat, le pluralisme et la raison », avec « l’ambition de remplacer le combat par le débat et lutter contre les fake news ». Cependant, lorsque l’on voit certaines des personnalités qui ont appuyé le projet et qui seront chargées d’animer la chaîne, on en arriverait presque à regretter Cyril Hanouna.
On y retrouvera ainsi deux polémistes bien connus pour leurs attaques récurrentes contre les gauches : Raphaël Enthoven et Caroline Fourest qui ont d’ailleurs défendu le dossier devant l’ARCOM.
Tous deux s’affichent comme des adversaires « des extrêmes », renvoyant honteusement dos à dos la gauche et les identitaires. Le philosophe autoproclamé Enthoven déclarait même que si on l’obligeait à choisir, il opterait plutôt pour Marine Le Pen que pour Jean-Luc Mélenchon.
Une nouvelle chaîne à la gloire du néolibéralisme
Raphaël Enthoven avait admis sur Europe 1 avoir tenu un poste consistant à « dire du mal » du fondateur de la France Insoumise : « C’était explicitement mon cahier des charges, ce dont je m’acquittais avec grand plaisir, avec sincérité », avait-il expliqué sur son ancien rôle occupé au PS entre 2003 et 2004. Et lorsqu’on lit son compte X (ex-Twitter) encore aujourd’hui, on ne peut que constater qu’il n’a pas perdu cette habitude.
Depuis des années, le polémiste multiplie en outre les sorties désastreuses, affirmant par exemple en 2022 qu’il faut « accepter que dans une société, il y ait une part incompressible de sexisme, de racisme, d’hypocrisie et de mauvais sentiments ».
De quoi s’inquiéter sur la « tolérance » et les débats qui seront organisés sur cette chaîne, d’autant plus quand on examine le profil de Caroline Fourest, connue pour ses multiples dérapages islamophobes, ou encore celui de Christophe Barbier (également membre de franc-tireur) dont le militantisme pour Emmanuel Macron n’est plus à démontrer.
L’ARCOM préfère les milliardaires au pluralisme
Après ces décisions, l’extrême droite sera donc toujours très bien représentée, avec sa chaîne d’informations phare, et un Cyril Hanouna qui devrait très vite retrouver une place. Dans le même temps, de nouveaux pourfendeurs de l’écologie, de la justice et de la solidarité occuperont un canal supplémentaire.
Par là, l’ARCOM a alors choisi une énième fois de ne rien faire face à l’extrême concentration des médias de masse, et elle a encore déroulé le tapis rouge aux grandes fortunes qui les détiennent.
La gauche boudée
Pendant ce temps, la gauche devra une nouvelle fois se contenter des maigres miettes qui seront laissées à ses rares éditorialistes que l’on pourra retrouver de temps à autre sur certaines fréquences.
En effet, la candidature du Média TV, une chaîne connue pour son engagement à gauche et pour l’instant diffusée uniquement sur la box Free, ainsi que sur YouTube, a été déboutée, malgré une grosse campagne de soutien et l’appui de plusieurs médias indépendants. Un recours a d’ailleurs été déposé contre cette décision.
Une situation très peu démocratique
Ce manque de pluralisme, qui ne va donc pas s’arranger, pose, en outre, la question de l’absence de démocratie dans la gestion de l’attribution des canaux de télévision de la TNT. Il serait en effet logique, que chaque citoyen puisse être représenté à travers ces canaux et puisse y trouver de l’intérêt.
Or, force est de constater que c’est bien la droite et l’extrême droite qui se sont aujourd’hui imposées dans le paysage audiovisuel. Et les modes de désignations de l’ARCOM n’y sont sans doute pas étrangers.
En effet, ses membres sont tous choisis par des dirigeants politiques de droite. Sur neuf individus, trois sont déterminés par le président de l’Assemblée nationale (actuellement Renaissance), trois par le président du Sénat (actuellement Les Républicains), un par le vice-président du Conseil d’État (lui-même nommé par Emmanuel Macron), et un par le premier président de la Cour de cassation (sélectionné par le gouvernement). Enfin, le président de cette institution doit également son poste au chef de l’État.
Dans ces conditions, il apparaît clair que la gauche n’a strictement aucune chance d’être représentée dans le paysage audiovisuel de masse tant qu’elle n’accédera pas elle-même au gouvernement et à la présidence de la France.
Une situation qui pose question sur le fonctionnement du système lui-même ; il serait par exemple plus juste que le pouvoir de contrôle des médias soit exercé par les citoyens eux-mêmes, et non par la tête de l’État qui risque de n’avoir aucun scrupule à s’en servir pour se maintenir en place.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Image par Vidmir Raic de Pixabay