Publiées en décembre dernier, les données du Ministère de la Transition écologique sont formelles : les Français émettent encore cinq fois trop de CO2 pour atteindre la tant convoitée « neutralité carbone ». Avec 9 tonnes de CO2 par habitant et par an, le poids écologique de notre vie quotidienne – transport, logement et consommation – est en effet bien trop élevé pour imaginer atteindre les objectifs d’émission plébiscités par les scientifiques. Et pourtant, cette estimation est encore alourdie par les calculs de Carbone 4, un cabinet de conseil indépendant spécialisé dans la stratégie bas carbone et co-fondé par Jean-Marc Jancovici. 0,9 tonne viendrait ainsi s’ajouter à notre empreinte environnementale. Des émissions liées principalement à la destruction de forêts ainsi qu’à certains gaz à effet de serre (HFC, PFC et SF6) et aux traînées de condensation des avions, non pris en compte par le gouvernement. Alors qu’il ne faudrait émettre qu’en moyenne 2 tonnes de CO2 par an et par habitant du globe pour assurer la survie des écosystèmes terrestres tels que nous les connaissons, nous sommes encore bien loin du compte.
Il s’agit des dernières données mesurées avant la crise sanitaire du coronavirus : en 2019, l’empreinte carbone des Français est ainsi estimée au total à 663 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt CO2 éq), un niveau proche de celui de 2016. Alors que les émissions intérieures ont sensiblement diminué entre 1995 et 2019 (-25%) selon le Ministère de la Transition écologique, les émissions associées aux importations se sont nettement accrues (+72%) pour représenter aujourd’hui un peu plus de la moitié d’entre elles (54%). Voici les résultats sans appel de la dernière estimation publique de l’empreinte carbone nationale française publiée au début du mois de décembre 2021.
Viande et voiture : les bêtes noires de la transition écologique
Les transports y sont, de loin, désignés comme le premier poste d’émissions : rien qu’en utilisant sa voiture, un Français émettra en moyenne plus de deux tonnes de CO2 par an. La consommation de viande pèse elle aussi lourd sur la balance (920kg de CO2 par personne et par an), tout comme les boissons (410kg) et les autres produits d’origine animale (390kg). Le logement conserve également une grande part du gâteau des polluants, avec 1 200kg de CO2, notamment à cause du chauffage au gaz et du fioul nécessaire. Il apparait ainsi indéniablement que la rénovation du parc immobilier français et la transition vers une alimentation plus végétale sont des clefs essentielles pour parvenir à un modèle de société plus durable.
Malheureusement, l’addition ne s’arrête pas là. C’est en tout cas ce qu’estime le cabinet d’ingénieurs Carbone 4, qui publie un complément à cette enquête. Co-fondée par Jean-Marc Jancovici, l’agence a par ailleurs récemment lancé un nouveau programme, MyCO2, destiné à évaluer l’empreinte carbone personnelle des participants tout en leur proposant des solutions concrètes à mettre en place, le tout lors de conférences de groupe :
« Une seule chose permet de se débarrasser de cette tétanie qui peut s’emparer de nous [face au défi climatique] : passer à l’action. (…) Et de même que les gens qui veulent s’arrêter de boire le font beaucoup plus efficacement en groupe, passer à l’action quand il s’agit de limiter ses émissions de gaz à effet de serre est aussi beaucoup plus aisé quand on peut le faire en groupe. C’est tout l’esprit de MyCO2. », explique ainsi le célèbre ingénieur et enseignant français dans une vidéo de présentation.
Si notre bilan environnemental se voyait déjà considérablement alourdi par la voiture, la consommation de viande et le chauffage de nos habitations, il atteint désormais près de 10 tonnes par an et par habitant selon cette nouvelle estimation. Les auteurs de l’analyse répartissent ainsi les postes d’émission en 5 catégories (listées de la plus émissive à la moins émissive) : transports, alimentation, logement, achats de biens et de services et services publics.
Déforestation, GES, avions : les oubliés du gouvernement français
Ils y ajoutent ensuite plusieurs éléments qui faisaient défaut dans l’analyse du gouvernement français. « Le premier correspond aux trainées de condensation, c’est-à-dire les nuages observés derrière les avions et créés par la condensation de la vapeur d’eau émise par leurs moteurs », expliquent les experts, qui les jugent responsables de 186 kgCO2eq/an d’émissions de GES par personne.
S’en suit la déforestation importée, grande oubliée du rapport du Ministère, qui occupe pourtant une place de choix sur la scène politique internationale. C’est en effet lors la COP 26 à Glasgow qu’une centaine de dirigeants avaient promis de mettre un terme à ce phénomène d’ici 2030. Ces émissions représentent en effet pas moins de 404/kgCO2eq/an, notamment parce qu’elles sont doubles : « on compte à la fois les émissions liées au brûlage de la forêt (émissions instantanées) et celles associées à la suppression des puits de carbone (émissions futures) », souligne Carbone 4.
Pour terminer, le cabinet spécialisé dans la transition écologique estime que trois autres GES ont été non comptabilisés à ce jour par le ministère, « pour des questions d’homogénéité de méthode et de disponibilité des données : les hydrofluorocarbures (HFC), les perfluorocarbures (PFC) et l’hexafluorure de soufre (SF6) ». Pourtant, ils sont responsables d’environ 293 kgCO2eq/an d’émissions par personne ainsi ajoutées à la balance.
Au final, l’empreinte carbone de chaque Français s’élèverait en moyenne à 9,9 tCO2eq. Compte tenu de l’augmentation de la population, l’évolution de l’empreinte carbone rapportée au nombre d’habitants diminue légèrement (-5%) entre 1995 (10,4 tCO2 éq/personne) et 2019 d’après le gouvernement. Si ce fléchissement de la courbe d’émissions peut sembler encourageant, il est nécessaire de garder en tête que pour respecter les Accords de Paris et donc demeurer en dessous des +1,5°C, nous devrions tous afficher une empreinte carbone équivalente à 2 tonnes de CO2 maximum. De quoi nous donner envie de faire encore quelques efforts pour limiter les conséquences du dérèglement climatique, à deux niveaux complémentaires : sur le plan individuel bien sûr, mais aussi citoyen, en faisant pression sur les institutions également responsables de la direction que prennent nos sociétés.
Concernant la dimension domestique, il existe des calculateurs d’empreinte carbone. Leur utilité est, non pas de culpabiliser, mais de prendre enfin conscience de l’impact de nos modes de vie sur l’environnement, afin de les revoir au mieux en faveur d’un plus grand respect de ce qui nous entoure. Quant à l’action citoyenne, indispensable pour un impact d’envergure, il existe des initiatives inspirantes et efficaces partout en France, dans différents domaines de la vie civile. Le tout, dans une démarche authentique et holistique, peut permettre quelques horizons positifs.
Lou A.
Photo de couverture @ZAC/Unsplash