Renouer avec le rythme et les capacités du vivant, réintroduire des temporalités longues pour des cultures saines et viables, collaborer avec la nature… Voilà autant de valeurs élémentaires pourtant bafouées par notre système agro-alimentaire mortifère. Heureusement, elles sont réanimées, haut et fort, par quelques acteurs conscients de la nocivité du modèle actuel. C’est dans ce désir de réhabilitation d’un mode agricole vertueux que Perma G’Rennes est née : une micro-ferme bretonne créée par Mikaël Hardy, ancien naturaliste, selon des principes de biomimétique et de permaculture. Mais que se passe-t-il quand des mastodontes économiques usent d’une voix qui porte davantage ? C’est ce que vit aujourd’hui la petite équipe maraîchère, et les jardins ouvriers des alentours, puisque le programme d’extension du Stade Rennais menace actuellement une partie de leur terrain, ainsi que la tranquillité de leurs microcosmes. Retour sur leur(s) combat(s) toujours d’actualité.
« Le pessimisme est un luxe qu’on ne peut pas se permettre. On peut juste se permettre de se retrousser les manches » cite Perma G’Rennes pour se présenter. Et le mantra leur va si bien. En effet, Mikaël Hardy, anciennement naturaliste et photographe, décide un jour de devenir un acteur direct de ses principes en se rapprochant plus encore de la terre, en contact immédiat avec elle. Avec son projet Perma G’Rennes, il souhaite plaider pour une manière durable de cultiver son jardin. Mais quel jardin ? Il lui a d’abord fallu trouver un terrain… Présentation :
L’aventure commence en 2013. Mikaël profite d’une belle occasion : l’association citoyenne « Les Ami(e)s de la Prévalaye » souhaite, avec l’aide de la municipalité, rendre à cette région sa fertilité d’autrefois. En effet, jusque dans les années 80, ces 450 hectares rennais de bocages et terres inondables, propices à de nombreuses activités agricoles, accueillent une vie agricole forte. La zone naturelle est relativement préservée de l’urbanisation grâce à sa forme enclavée et jouit ainsi d’une prospérité maraîchère, la hissant rapidement en vivier de la région. Y abondent petites fermes fructueuses, quelques élevages et des productions de beurre, mets cher aux bretons.
Dans ce sens, l’association citoyenne et les services municipaux, ouvertement désireux de redonner à ce paysage sa force agricole, avaient déjà appuyé la création du Jardin des Milles Pas. Et bonne nouvelle : ils soutiendront, également, le projet de Mikaël, que ce dernier baptise « Perma G’Rennes ».
Une création éthique et collaborative de bout en bout
En juin 2016, donc, tout est enfin possible. Notamment grâce à une trentaine d’habitants rennais, engagés ou curieux de permaculture, qui aident à dessiner le projet au sein d’un chantier participatif. Leur super travail permet, quelques mois plus tard, d’entreprendre les opérations d’aménagement du terrain. À nouveau, l’ex-naturaliste est aidé par les citoyens de la région. Perma G’Rennes commence ainsi à récolter les fruits de ses semences dès l’hiver suivant : le travail d’équipe a payé et les ventes sur les marchés financent les prochaines étapes !
Aujourd’hui, la micro-ferme remplit des saisons complètes et a gagné en surface avec près de 4000 m² de terrain cultivable, dont 1000 en cours de défrichage. Un accomplissement bienheureux et relativement rapide, né d’entraides et de revalorisation des forces citoyennes dans un but commun : un avenir serein et une agriculture pérenne. Mais les micro-fermes comme celle de Mikaël doivent aussi leur viabilité à ceux qui s’y fournissent…
En effet, Perma G’Rennes est la preuve vivante (et même organique !) que les individus et les structures ont soif d’authenticité, de meilleurs produits, à prix digne, d’une chaîne de production respectueuse de notre environnement et de notre santé, ainsi que de rapports à échelle humaine. Pour soutenir ces valeurs d’échanges et de consommation éthiques, les petites mains maraîchères peuvent ainsi compter sur : les acheteurs qui viennent se fournir sur place ou au marché, les restaurateurs qui – en dehors des confinements – s’y approvisionnent et sur les ventes de paniers hebdomadaires, de plus en plus populaires, assurant au consommateur une alimentation de saison, propre et locale.
Ainsi, de mains en mains, depuis sa création jusqu’à ses distributions : Perma G’Rennes s’assure de partager des valeurs concrètes d’écologie tout en prouvant qu’elles sont durablement réalisables. Sur place, ça donne quoi ? Petit tour du propriétaire.
Équilibre et transmission : les missions quotidiennes de Perma G’Rennes
Parmi les valeurs portées par la micro-ferme ? Un équilibre des cultures inspiré de la nature et la transmission de ces alternatives agricoles.
Pour convenir à sa première mission, Mikaël s’est inspiré des principes de permaculture reposant sur une observation du vivant et une reproduction de son fonctionnement, le biomimétisme : « Nous cherchons ainsi à recréer du lien et de l’interdépendance entre les êtres vivants végétaux, animaux et humains » complète le maraîcher sur son site. Sur le terrain, cette philosophie prend la forme d’un écosystème autonome, global, dont fait partie l’humain à bon escient.
Sur place, pour conserver cette harmonie, on se limite donc d’abord à une surface décente – une auto-régulation spatiale aux antipodes du « toujours plus » industriel – tout en y concentrant une grande diversité de cultures de manière intelligente. Chaque plantation complète sa voisine dans une relation vertueuse. Ce faisant, le lieu devient très peu gourmand en énergie et les membres de Perma G’Rennes peuvent tout faire à la main. Complémentarité des espèces, utilisation économe de l’eau – 250 L/jour au lieu des habituels 25 000 pour une surface équivalente – zéro déchets et compostage : le respect du milieu naturel est un tout qui ne s’arrête pas à l’imbrication efficace des espèces végétales et se poursuit à tous les niveaux.
Sur le plan économique, l’objectif est à nouveau régulé pour s’en tenir à l’essentiel et ne pas exiger des sols les récoltes de trop qui épuiseraient définitivement leurs ressources. Le choix de la sobriété pour un monde plus riche c’est : « Atteindre l’autosuffisance alimentaire, puis dégager une petite production de qualité, à forte valeur ajoutée permettant un revenu correct pour un temps plein » explique, humblement, Mikaël Hardy dans son édito.
Si construire sa vie à l’image du monde qu’on aimerait habiter est une belle entrée en matière, en transmettre les codes pour répandre les bonnes pratiques et encourager de nouvelles initiatives ouvre des champs de possibles inestimables. Comme la ferme biologique du Bec Hellouin sur laquelle il a largement pris exemple, Mikaël assure ainsi des lendemains plus sereins à de nombreux futurs maraîchers en accueillant les amateurs d’agro-écologie au sein de sa ferme : pépinière, animations, visites, sensibilisation et école de permaculture sont ainsi proposés par la ferme. Y sont délivrés des « apprentissages théoriques et pratiques de jardinage, écologie, naturalisme et création de systèmes nourriciers productifs et régénératifs« . Autant de petits pas supplémentaires vers des lendemains plus sereins. Enfin… pas si sûr ! Car, bien que soutenu par la municipalité à ses débuts, le monde engagé et harmonieux de Perma G’Rennes est en passe d’être grignoté par son voisin, le Stade Rennais.
Réalité d’échelles : un microcosme sain au cœur d’un monde délétère peut-il survivre ?
Pris en étau par le projet d’agrandissement du titanesque Stade de foot, Perma G’Rennes incarne parfaitement la récurrence d’une situation de frottement entre deux modèles dichotomiques : résilience écologique, d’un côté, et expansionnisme aveugle, de l’autre. L’un tentant de se faire une petite place au sein d’un paysage sclérosé et le second n’ayant jamais assez de tout. Un exemple de prédation immobilière sur attenant qui s’éloigne bien tristement de la complémentarité inter-espèces en action au sein de la micro-ferme…
Le projet semble superflu et, pourtant, la puissance des machines économiques qui rapportent de l’argent semble autoriser un tel parasitage. Mikaël redoute alors pour ses collègues voisins, pour la bâtisse en pierre limitrophe qu’il espérait voir rénovée plutôt qu’abattue et pour sa propre biodiversité. Encore récemment, la situation de Perma G’Rennes était d’autant plus incertaine que le renouvellement de son bail précaire en bail agricole lui avait été refusé. Une décision contestée par la ville dont l’arbitrage a été rendu ce mardi : finalement, sera sûrement cédé à la ferme un bail rural environnemental.
Bonne nouvelle ? Pas vraiment, car comme le rappelle le maraîcher : ce n’est d’abord absolument pas l’assurance d’être protégé de l’agrandissement du stade, puisqu’une loi indique que si la Mairie considère cette extension comme d’utilité publique (servant aux habitants, jeunes, vie locale), le bail pourrait être rompu en faveur du projet. Ce n’est, ensuite, pas non plus un engagement global qui épargnerait les autres jardins ouvriers directement menacés et avec lesquels Mikaël entretient une profonde solidarité. Et ce n’est, enfin, pas non plus un vœu clair des élus en faveur de l’écologie et de l’urgence à valoriser les travaux agricoles sains – luttes que porte Mikaël quotidiennement à travers un engagement local à toute épreuve.
Un tel bail, en somme, n’est pas un signe de soutien et de protection assez fort de la part d’une région à l’appel de laquelle l’agriculteur avait pourtant répondu positivement des années plus tôt lorsqu’il a fallu revitaliser l’espace agricole et la notoriété de l’enclave. Dans un monde qui manque d’horizon à échelle collective, faire peser l’incertitude des lendemains sur une micro-ferme est d’autant plus grave que celle-ci dépend des saisons et d’un rythme maraîcher précis pour avancer : peuvent-ils commencer à préparer leurs terres, à planter, à prendre des engagements, à se fournir, s’ils ne sont même pas sûr d’être encore là demain ?
Dans l’espoir de faire bouger encore quelques lignes et de pouvoir encore croire en La Prévalaye au sein de ce combat pour un monde plus juste et respectueux qu’il porte à bout de bras, Mikaël Hardy a écrit une lettre à la Maire de Rennes. Il nous prévient à ce propos qu’il préférera, si les réponses de la Mairie ne sont pas assez explicites et loyales -notamment envers leurs promesses de campagnes vis-à-vis de l’avenir agricole de la région – « démissionner de son poste à La Prévalaye, pour reconstruire ailleurs, que de démissionner de ses engagements citoyens et de ses valeurs écologiques« . Des aveux plein de force et d’une intégrité rare, pour autant tristes à entendre à l’heure où de tels initiatives citoyennes devraient être préservées et priorisées. On lui laisse la parole à travers cette dernière action en date à l’attention de la municipalité, affaire à suivre :
« Lettre à Mme la Maire de Rennes :
Mme La Maire,
J’ai bien pris lecture de votre courrier du 17 décembre dernier et je vous en remercie. Vous clarifiez l’attention que porte la Ville de Rennes sur le projet que je mène depuis 2016 avec la ferme PERMA G’Rennes.
Aussi vous m’annoncez le projet de la Ville de Rennes de me proposer rapidement la signature d’un bail rural environnemental, signe du soutien que vous apportez à mon projet.
Je vous rappelle que le bail rural n’est pas une disposition totale de sécurisation d’un projet agricole. En effet, selon l’article L415-11 alinéa 3 du code rural, le bail rural passé par une collectivité avec un tiers, peut être résilié dans le cadre d’un projet d’utilité publique. Il sera de votre compétence en tant que Maire de décider ou non de la déclaration d’utilité publique d’un projet.
Mais vous avez toute ma confiance pour que nous n’en arrivions pas là.
Perma G’Rennes a fait le choix de s’implanter sur la Prévalaye pour répondre à une envie citoyenne large de répondre à un besoin de résilience. Aussi je suis certain que vous partagez avec nous la problématique de résilience climatique, de l’action locale en faveur de la biodiversité, et du développement d’une meilleur autonomie vivrière pour Rennes et sa métropole.
Aussi, vous comprendrez que j’ai besoin de toutes les garanties pour garder confiance et la raison d’être du projet Perma G’Rennes, qui est devenu un outil rassurant sur le potentiel de l’agriculture urbaine et vivrière.
Le projet d’extension du parc d’entrainement du Stade Rennais Football Club peut ne pas être un obstacle aux initiatives de résilience souhaitées par tous. Mais il doit se faire en intelligence considérant les grands enjeux de notre société cités précédemment.
Aussi, vous avez reçu l’expression de besoin du SRFC lundi 14 décembre dernier quant à leur projet d’extension.
Aussi, vous êtes dans la mesure aujourd’hui de nous présenter cette expression de besoin pour que nous puissions être rassurés quant à la préservation des terres de qualité agricole et des zones de biodiversité qui sont nécessaires pour la bonne résilience des activités agricoles qu’elles soient de loisir ou professionnelles, et pour répondre aux enjeux climatiques et de biodiversité.
J’ai exprimé un besoin d’être rassuré avant la fin d’année civile. C’est vrai que les délais pour votre retour peuvent paraitre exagérés. Sachez que je dois m’engager et me projeter aussi bien pour des raisons administratives que pour des raisons agricoles saisonnières en ces périodes de début d’hiver. Et sans retour rassurant de votre part je ne peux m’engager pleinement dans mon activité agricole qui est liée au cycle des saisons de la nature mais aussi à un cadre contraint par l’administration du monde de l’entreprise, et les deux doivent jouer en parfait accord.
Les activités agricoles telles les jardins ouvriers avec qui je suis aussi solidaire (comme avec tous les acteurs de la Prévalaye) sont aussi en questionnement sur leur avenir. Et je ne me sens pas plus légitime qu’eux à recevoir des garanties par la Ville de Rennes.
L’Heure COVID n’est pas non plus un contexte rassurant pour l’ensemble des citoyens. Ni pour les décideurs. Mais nous devons encore plus vite avancer vers la solidarité face aux enjeux Climat, Biodiversité et Autonomie Vivrière.
Aussi je souhaite être rassuré que toute parcelle agricole ou vivrière et que tout espace de biodiversité seront préservés sur le site de la Prévalaye comme je l’espère sur les autres grands espaces à potentiel vivrier qui font la richesse et l’histoire de notre métropole.
Les choix d’urbanisation doivent aujourd’hui être minimisés et je suis certain que le Stade Rennais Football Club peut entendre ce raisonnement et s’adapter.
Je compte sur vous et l’ensemble des élus, pour avancer très rapidement vers une prise de décision qui nous permettrait d’avancer sereinement et ensemble vers un avenir que l’on espère tous meilleur.
Avec tous mes sentiments respectueux, veuillez recevoir, Mme la Maire, l’expression de toute ma bienveillance.
Mikael Hardy, le 22/12/20 à Perma G’Rennes »
Voir plus sur leur page Facebook.
– Sharon Houri
Sources complémentaires : https://www.goutsdouest.fr/goutsdouest/actualites/perma-grennes-ferme-a-defendre/