Tous les coups sont donc permis. Partagée près de 1000 fois sur Facebook, une vidéo d’Agriculture et Environnement remet en cause les affirmations de la tribune pour un « Lundi vert » qui appelait à diminuer sa consommation de viande et de poisson dans un intérêt écologique. Sous des apparences séduisantes mais trompeuses, la vidéo d’animation devenue virale est en réalité l’œuvre d’une société de conseil spécialisée dans la défense des intérêts de l’agroalimentaire. Explications.
Pour l’internaute peu averti, la dernière vidéo d’Agriculture et environnement pourrait semer le doute sur la responsabilité de l’agro-industrie en matière de pollution. Publiée une première fois en novembre 2015 par la même structure, elle était passée relativement inaperçue à l’époque, puisqu’elle n’a été vue qu’un peu plus de 6300 fois environ sur Youtube à ce jour. Mais repostée sur la page Facebook du même groupe ce 4 janvier en réponse au manifeste « Lundi vert », elle connaît un tout autre succès, puisqu’elle a été partagée près de 3000 fois et visionnée plus de 100.000 fois à cette heure.
Pour rappel, le manifeste critiqué, signé entre autres par Isabelle Adjani, Yann Arthus-Bertrand et Juliette Binoche, propose de se passer de viande et de poisson une fois par semaine afin de réduire l’impact de l’alimentation sur le climat. La proposition intervient alors que les études scientifiques à propos de la hausse globale des températures sont de plus en plus alarmantes et que l’incidence quantitative de notre consommation de viande a été exposée à plusieurs reprises, par des organismes scientifiques variés. L’élevage serait à lui seul responsable d’environ 14 % des émissions globales de gaz à effet de serre selon la FAO, notamment car une large partie de la production agricole mondiale ne sert qu’à nourrir le bétail. En France, des quantités astronomiques de soja OGM sont importées pour alimenter les animaux d’élevage.
https://www.facebook.com/M.Mondialisation/videos/715558528648750/
Arguments fallacieux en cascade
La vidéo publiée par Agriculture et environnement remet directement en cause les chiffres officiels quant aux émissions de gaz à effet de serre liés à l’élevage, les jugeant « faux et gonflés » et estime que ces éléments omettent les effets positifs du secteur qui serait un puits à carbone grâce aux cultures fourragères et aux prairies de pâturage. En termes simples, le lobby y explique que l’élevage industriel est une bonne chose pour la planète ! Aucune source ni étude scientifique n’est citée pour alimenter le propos. Mais l’effet est là, et nombre d’utilisateurs, en particulier ceux en guerre contre les écologistes de tous bords, se laissent prendre au jeu. En réalité, la vidéo fait référence aux capacités de stockage des sols, deuxième plus grand réservoir de carbone après les océans : à l’échelle terrestre, la matière organique des sols renferme près de 1 500 milliards de tonnes de carbone. Et effet, par l’intermédiaire des plantes, il existe un transfert constant du carbone depuis l’atmosphère vers le sol (photosynthèse) et inversement (décomposition).
Mais aujourd’hui, la transformation des sols sous l’effet de l’agriculture intensive est, au contraire, une source d’émissions de CO2. Un phénomène qui inquiète d’ailleurs au plus haut point les scientifiques. Pour cause : « Les sols convertis en terres arables ont tendance à libérer du carbone dans l’atmosphère, en raison du taux de minéralisation accrue des sols labourés et de la quantité plus limitée de matières organiques laissées sur place ou apportées dans les champs comme fumier », expose ainsi une étude de la Commission européenne. La tendance concerne l’ensemble du territoire européen. L’argument selon lequel les cultures de fourrage captent du CO2 est donc volontairement trompeur, puisqu’il omet à dessein de dire que ces nouvelles cultures sont bien moins efficaces pour capter ce même CO2 que les espaces précédemment à l’état naturel. La vidéo ouvertement « pro-élevages » oublie par ailleurs que la dégradation des sols sous l’effet de l’agriculture intensive accentue la libération de C02 dans l’atmosphère. Le bilan du développement de l’élevage et celui de l’expansion des espaces agricoles sont donc négatifs et ce même si l’herbe joue son rôle de captage.
Notons que plusieurs études ont également identifié les leviers à mettre en place pour mieux séquestrer le CO2 en l’agriculture (ce qui ne signifie pas que le bilan global de ces techniques sera positif pour autant, mais éventuellement meilleur). D’après une étude publiée en 2014 dans le magazine Innovations Agronomiques, elles sont de quatre ordres : la réduction du travail du sol, l’implantation de davantage de couverts végétaux dans les systèmes de culture, le développement de l’agroforesterie et des haies et l’optimisation de la gestion des prairies. Non seulement ces pratiques sont marginales à ce jour, mais en plus elles sont fermement dénoncées sur le site à l’origine de la vidéo controversée ! Un comble. Mais surtout une tentative de plonger les consommateurs et producteurs dans la confusion.
La vidéo d’intox anti-écolo :
https://www.facebook.com/Agriculture.Environnement/videos/2321751901378591/
Un lobby à l’origine de la vidéo
Derrière cette vidéo se trouve donc Agriculture et environnement, une structure qui se présente sur son site internet comme « une lettre d’information indépendante des syndicats et des associations professionnelles, qui fait entendre une voix critique et originale sur des sujets sensibles concernant l’agriculture et l’environnement : OGM, pesticides, irrigations, agriculture bio… ». Dans les faits, le site regorge d’articles ouvertement climatosceptiques, niant les recherches les plus récentes à propos de l’empreinte environnementale et critiquant systématiquement l’agriculture biologique et les initiatives écologiques. À sa tête Gil Rivière-Wekstein, auteur de plusieurs ouvrages, dont Abeilles, l’imposture écologique (2006) et Bio Fausses promesse et vrai marketing (2011).
Ces deux ouvrages très peu scientifiques, au ton polémiste, attaquent de front l’agriculture sans intrant chimique ainsi que les travaux des chercheurs faisant le lien entre l’usage des pesticides et la surmortalité des abeilles. Mais le propos n’est étayé que par de très rares études, minoritaires et parfois contestées. En d’autres termes, l’auteur sélectionne à dessin les informations analysées créant un biais de confirmation et instaurant le doute au profit de ses propres thèses. Le tout pour tenter de démontrer les supposés bien-faits de l’agriculture industrielle… Une stratégie bien connue dans les milieux lobbyistes. À la vue de la viralité de ladite vidéo, l’objectif est atteint !
Quelques recherches confirment d’ailleurs que Gil Rivière-Wekstein, qualifié en 2013 dans une interview de Jacques Testart (docteur en sciences et directeur de recherche honoraire à l’Inserm) de « lobbyiste authentique rémunéré par l’industrie pour contre-attaquer systématiquement toute critique de l’agriculture productiviste » a développé une stratégie d’influence afin de défendre les intérêts d’entreprises de l’agroalimentaire. Il ne dirige donc pas simplement une revue spécialisée, Agriculture et environnement n’étant que la partie visible de l’iceberg. Derrière ce nom, on trouve Amos prospective, une société de conseil à caractère commercial créé en 2001 et dont l’objet et le conseil aux entreprises du secteur agricole. La boucle est bouclée.
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