Dans un arrêt historique, la Cour constitutionnelle de l’Équateur a récemment jugé que les projets d’exploitation minière de cuivre et d’or dans la réserve protégée de Los Cedros violaient les droits de la nature consacrés dans la Constitution. Présentation d’une victoire inspirante.

Comme le rappelle la Cour, « les droits de la nature, comme tous les droits établis dans la Constitution équatorienne, ont une pleine force normative et ne sont pas de simples idéaux ou déclarations rhétoriques, mais des mandatas juridiques »[1]. Mais bien qu’ils figurent dans la Constitution depuis une dizaine d’années, la jurisprudence équatorienne compte peu de cas où ces dispositions constitutionnelles ont été utilisées avec succès pour assurer la protection de l’environnement et de la biodiversité.

Dès lors, en créant un précédent dans la jurisprudence de la plus haute instance du pays, cet arrêt permettra d’assurer la mise en œuvre effective des droits de la nature dans les prochains litiges impliquant des projets d’exploitation minière en Équateur. Et qui sait, il encouragera peut être le développement des droits de la nature dans le reste du monde…

Réserve de Los Cedros – Flickr

La réserve de Los Cedros, un écosystème unique.

Fondée en 1988, la réserve de Los Cedros, située dans le nord-ouest de l’Équateur, est l’un des habitats les plus diversifiés du monde sur le plan biologique, avec plus de 4 800 hectares de forêt tropicale, dont 85% sont encore des forêts primaires[1]. La réserve abrite également plus de 200 espèces présentant un risque élevé d’extinction, parmi lesquelles cinq sont considérées comme gravement menacées par le gouvernement équatorien.

À titre d’exemples, on peut y observer six espèces de félins, des ours à lunettes, plusieurs espèces de grenouilles, des dizaines d’espèces d’orchidées et le singe araignée à tête brune, l’un des primates les plus rares de la planète.

Mercredi dernier, la plus haute juridiction de l’Équateur a reconnu, dans un arrêt historique, que les autorisations d’exploitation minière accordées par le gouvernement, concernant environ deux tiers de la forêt tropicale de Los Cedros, étaient inconstitutionnelles et violaient les droits de la nature, tels qu’établis dans la Constitution du pays.

Ainsi, le gouvernement équatorien devra révoquer les permis accordés à la société minière d’État, Enami, et à son partenaire canadien, Cornerstone Capital Resources, pour toutes les opérations exploratoires, et futures activités d’extraction, dans la zone protégée de Los Cedros.

Singe araignée à tête brune. En danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’UICN – Flickr

Pour Natalia Greene, membre de la Global Alliance for the Rights of Nature, il s’agit d’une victoire historique pour la défense de la nature. Selon elle, « en déclarant qu’aucune activité menaçant les droits de la nature ne peut être développée dans la réservé protégée de Los Cedros, y compris l’exploitation minière et tout autre activité extractive, la Cour constitutionnelle établit un précédent juridique qui permettra de poursuivre les campagnes de protection dans d’autres forêts menacées »[2].

En effet, cet arrêt pourrait constituer un jalon important pour la protection de l’environnement en Équateur, où plusieurs projets d’exploitation minière et d’extraction sont autorisés dans différentes régions du pays.

 

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Le droit de Los Cedros à exister et évoluer

En 2017, la municipalité de Santa Ana de Cotachi a saisi un tribunal de première instance pour contester la légalité des permis d’exploitation minière accordés à Enami et Cornerstone Capital Resources par le ministère équatorien de l’environnement, sur base de la violation des droits de la nature, du droit fondamental à un environnement sain, de l’accès à une eau propre et de l’absence d’une consultation préalable.

En effet, en 2008, l’Équateur a été le premier pays au monde à inscrire les droits de la nature dans sa Constitution. Ainsi, l’article 71 prévoit que « la Pachamama, Terre Mère, dispose du droit à exister, et à maintenir et régénérer ses cycles, ses structures, ses fonctions et ses processus évolutifs »[3]. Après contestation de la décision du tribunal qui donnait raison à la municipalité, la Cour constitutionnelle équatorienne s’est saisie de l’affaire et a confirmé l’inconstitutionnalité des permis d’exploitation.

Dracula morleyi – espèce d’orchidée présente dans la réserve de Los Cedros – Flickr

La décision de la Cour se base principalement sur l’application du « principe de précaution », qui dispose qu’en cas de preuves scientifiques insuffisantes, il est préférable de s’abstenir de tout risque qui pourrait causer des dommages irréversibles aux écosystèmes et à l’environnement.

Selon la Cour, ni le gouvernement ni les compagnies minières concernées n’ont réalisé ou fourni d’études techniques et scientifiques sur les effets de ces activités d’exploitation et d’extraction sur la forêt tropicale. Au contraire, Enami et son partenaire canadien considéraient qu’en se conformant aux réglementations gouvernementales existantes, ils respecteraient forcément les droits garantis à la réserve de Los Cedros par la Constitution.

Abritant une des dernières forêts tropicales primaires du pays et une riche biodiversité déjà gravement menacée, la Cour a insisté sur l’importance de la réserve sur le plan écologique. « Les écosystèmes de Los Cedros sont complexes. Leur capacité à s’adapter aux dommages devient plus difficile, voire impossible, à chaque fois qu’ils subissent des nouvelles dégradations. Par ailleurs, la perte d’une espèce peut entraîner une « chaine d’extinction » d’autres espèces », a notamment déclaré la Cour dans sa décision[4].

Dès lors, le gouvernement n’ayant pas rapporté de preuves suffisantes sur les effets que de tels permis d’exploitation pourraient avoir sur la sauvegarde de cet écosystème fragile, la plus haute juridiction du pays a considéré qu’ils violaient les droits de la réserve de Los Cedros à exister et à se régénérer.

Los Cedros – Flickr

Enfin, la Cour a également estimé que l’absence d’études environnementales préalables et de consultations des communautés locales par le gouvernement violait les droits de ces communautés à un environnement sain, à l’eau et à la consultation préalable.

 

Un exemple à suivre ?

Les enseignements de cet arrêt sont multiples. Alors que les dégradations environnementales opérées par les activités humaines sont sur le point de nous faire basculer vers un point de non-retour, et ainsi nous priver des services écosystémiques indispensables à la survie de l’humanité, il est essentiel de s’interroger sur l’efficacité des politiques environnementales et des actions de conservation actuelles.

En consacrant les droits de la nature dans sa Constitution, l’Équateur et les juges garants de ce texte fondamental rappellent que toutes les communautés de vie, humaines et non-humaines, s’articulent dans un contexte global, et que l’existence humaine n’est aucunement séparée de l’univers, mais au contraire intrinsèquement liée à la préservation de la nature, de ses écosystèmes et de la biodiversité.

W.D.

[1] Rainforest concern, Ecuador – Los Cedros Reserve, disponible sur: https://rainforestconcern.org/projects/los-cedros

[2] Germanos, A., “High Court delivers “victory” for Rights of Nature movement in Ecuador” in Common Dreams, 2 décembre 2021, disponible sur: https://www.commondreams.org/news/2021/12/02/high-court-delivers-victory-rights-nature-movement-ecuador

[3] Constitution de la République d’Équateur, 2008, disponible sur : https://pdba.georgetown.edu/Constitutions/Ecuador/english08.html

[4] Surma, K., “Ecudaor’s High Court affirms constitutional protections for the rights of nature in a landmark decision” in Inside Climate News, 3 décembre 2021, disponible sur: https://insideclimatenews.org/news/03122021/ecuador-rights-of-nature/

[1] Corte Constitutional del Ecuador, Caso Nro. 1149-19-JP/21 : Revisón de sentencia de acción de protección bosque protector Los Cedros, 1 décembre 2021, disponible sur : https://www.corteconstitucional.gob.ec/index.php/boletines-de-prensa/item/1262-caso-nro-1149-19-jp-21-revisión-de-sentencia-de-acción-de-protección-bosque-protector-los-cedros.html

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