Depuis le début de la pandémie de COVID-19, infirmiers, infirmières et médecins sont en première ligne avec souvent des moyens limités. Les reportages et articles sur leur situation se multiplient le plus souvent dans les hôpitaux. Dans ce contexte, les infirmières libérales, tout aussi touchées, sont souvent oubliées et peu représentées dans les médias. Mr Mondialisation a pu recueillir le témoignage de Nina, infirmière libérale qui a détaillé sa lutte quotidienne contre le virus et les difficultés à exercer son métier pendant la pandémie.

Chaque jour, elles se déplacent à domicile pour assister leurs patients, jonglant entre ceux atteints du coronavirus et les autres, la peur au ventre. C’est le cas de Nina, infirmière libérale depuis deux ans sur Nice et Cagnes-sur-mer qui vit depuis plusieurs semaines avec la peur de contaminer ses patients qui ne sont pas atteints du COVID-19 et de ne pas avoir suffisamment de masques pour se protéger correctement. À cela s’ajoutent des journées à rallonge avec près de 50 patients à aller voir chaque jour et une désinfection complète de la voiture après chaque visite.

Nina

Vous êtes infirmière libérale à Nice et Cagnes-sur-Mer, un métier assez peu connu, et, comme tous les autres personnels soignants, vous êtes en première ligne face à cette pandémie de COVID-19 et la crise qui en résulte. Comment vivez-vous la situation ? Comment votre rôle a t-il évolué depuis le début de cette épidémie ?

Nina : Je me suis retrouvée à faire beaucoup de prévention, d’éducation, sur le rappel notamment des gestes barrières c’est-à-dire se laver les mains, garder une distance sociale. Beaucoup d’informations aussi au niveau des personnes âgées aussi qui ne comprennent pas tout le temps la situation. Maintenir aussi le lien social entre les personnes âgées et leur famille alors notamment grâce à des appels vidéos parce que toutes les personnes âgées n’ont plus la visite de leurs enfants et de leurs petits enfants et ne comprennent pas forcément cela. En plus souvent je suis la seule personne qu’ils voient durant la journée alors ils sont de plus en plus demandeurs. Ils ont besoin d’être écoutés. On se transforme en coursière, cuisinière, coiffeuse. Donc on a des journées à rallonge, d’autant plus épuisantes, en comparaison avec d’habitude.

Qu’est-ce que ce virus vous évoque ? Est-ce qu’il vous fait peur ?

Oui, comme tout le monde j’ai peur. J’ai peur parce que je suis en contact avec des patients tous les jours et donc j’ai peur de contaminer notamment mes proches que je ne vois plus d’ailleurs depuis le début du confinement. Mais j’ai aussi peur d’être porteuse saine et de contaminer malgré moi ma tournée. Je me pose beaucoup de questions sur mes tournées où il y a des patients Covid et non Covid. Comment améliorer leur prise en charge ? Comment ne pas contaminer des patients non Covid alors que je suis allée voir des patients atteints du virus ? J’ai peur de ne pas avoir assez de matériel pour tenir jusqu’à la fin parce que pour moi le matériel on en a besoin au delà du 11 mai. J’ai peur parce que j’entends souvent mes collègues qui du jour au lendemain sont tombées malades, et il y en a de plus en plus.

Vous faites de la prévention dans des quartiers populaires auprès des jeunes justement pour éviter ce non-respect du confinement. Comment cela s’organise-t-il ? D’où vous est venue cette idée ?

C’est vrai je travaille aussi dans des quartiers populaires où souvent les conditions de confinement sont plus difficiles à vivre, avec les familles nombreuses et des appartements plus petits. Et naturellement il m’a paru évident de jouer un rôle dans la prévention auprès de ces jeunes en leur rappelant les gestes barrières, l’écoute et surtout en répondant à leurs questions. Je me suis dit que venant d’un personnel soignant et du fait de mon jeune âge, qui se rapproche souvent du leur, que le message passerait peut-être mieux surtout qu’ils ont l’habitude de me voir régulièrement dans leurs quartiers. Je pense avoir sensibilisé une centaine de jeunes à peu près et ça a plutôt bien fonctionné je trouve. Pour moi la prévention auprès de ces jeunes c’est primordial parce qu’on parle beaucoup des forces de l’ordre qui réprimandent mais je pense aussi qu’ils ont besoin qu’on leur explique clairement les choses et qu’ils se rendent compte de l’impact que ça a par exemple directement dans leurs quartiers. Moi je ne leur parle pas d’une autre ville. Quand je vais leur parler je leur parle de leur quartier, de leur ville donc je pense que ça a un rôle à jouer.

Malgré ces actes inconsidérés les Français sont encore nombreux à applaudir leurs soignants, et donc vous, chaque soir à 20 heures sur leur balcon. Qu’est-ce que vous pensez de cet élan de solidarité ? 

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Les Français sont nombreux à essayer de remercier, de manière originale, leurs soignants. © Nina

C’est très touchant et ça me donne du baume au cœur. Souvent en plus à 20 heures on est en plein dans la fin de la tournée donc on est dans la rue, on est d’ailleurs à peu près les seuls dans la rue parce que les commerces ont déjà fermé. Donc oui c’est un moment émouvant. D’autant plus que souvent on est dans notre quartier donc les gens aux balcons nous connaissent maintenant et ça nous fait plaisir et plus maintenant même dans la journée on nous salue dans la rue, on reçoit des petits dessins sympas des enfants sur la voiture. Ça nous donne du baume au cœur et ça fait du bien, surtout en fin de journée.

Pour vous rendre auprès de vos patients vous devez bien évidemment porter un masque. Mais est-ce que vous avez l’impression que ce masque vous protège totalement du virus ?

Oui, on est, comme pour nos collègues, amenés à porter des masques. Pour moi c’est plutôt une mesure barrière, parce que je suis en contact avec des personnes âgées, vulnérables ou polypathologiques. Cependant je n’ai pas forcément le sentiment que mon masque chirurgical me protège réellement de ce virus. Au début avant que le confinement soit mis en place on a commencé à porter des masques parce qu’on intervenait souvent dans des résidences seniors. Mais bon on a fait face à la moquerie de la population. Le gouvernement ne nous a pas vraiment aidés parce qu’il soulignait que les masques ne servaient à rien, qu’il faisait oublier les mesures barrières et bien d’autres bêtises. D’ailleurs son discours a totalement changé aujourd’hui.

Comment vous approvisionnez-vous en gel hydroalcoolique, en gants et surtout en masques, ces mêmes masques qui font débat depuis des semaines ? 

Au niveau des gels hydroalcooliques, l’offre s’est développée, notamment au niveau de ma ville, une grande solidarité. On a beaucoup de laboratoires cosmétiques qui nous en ont donné ou vendu à prix coûtant. Concernant les surblouses, on n’en a pas. À ce jour, c’est vraiment une denrée très rare, je dois en avoir une ou deux. J’ai même ressorti mes blouses d’étudiantes pour vous dire ! On essaie de s’adapter du mieux qu’on peut. Alors au niveau des masques, c’est toute une polémique. Les dotations d’État on arrive pas à en trouver.

Est-ce que vous rencontrez des difficultés quand vous devez aller récupérer ces masques en pharmacie ?

Tout à fait. Notamment parce qu’il y a un serveur qui a été mis en place, le serveur Gomasques. Alors souvent sur ce serveur, notre numéro professionnel n’est pas reconnu, les stocks sont erronés, ceux qui s’inscrivent en fin de semaine n’ont plus de masques, il n’y a plus de dotations. Plusieurs pharmacies ne reçoivent pas toutes les semaines la dotation de l’État ou bien seulement des masques chirurgicaux. Il m’est arrivé de recevoir trois masques FFP2 alors j’avais le sentiment d’être très chanceuse. Mais bon, on continue à nous mentir et c’est la réalité. On nous a promis des stocks qui n’existent pas, des masques FFP2 que nous ne recevons pas. Et maintenant on voit la grande distribution qui distribue des masques chirurgicaux comme si c’était simple d’en obtenir. Nous on ne voit toujours pas arriver vraiment les masques qui nous protégeraient. Je pense que dans pas mal de villes s’est développé le drive masques. Ça j’y vais quand même dès que je peux et surtout dès qu’il y en a.

Justement pour en revenir à ces drive masques [drive où l’on peut récupérer des masques depuis sa voiture], vous qui vous y êtes déjà rendue, comment cela se déroule-t-il ?

Oui, j’y vais dès que je peux. On reçoit souvent un e-mail de la ville ou de l’ordre infirmier. Il faut savoir qu’il n’a vraiment pas lieu toutes les semaines. Bon après c’est quelque chose de très organisé. Pour récupérer ça nous prend en tout et pour tout, j’ai chronométré la dernière fois, une minute trente chrono. On ne sort pas de notre véhicule ce qui est bien fait pour le coup. Mais ceux qui arrivent en fin de journée ou en milieu de journée, souvent après la tournée du matin, se retrouvent à ne pas avoir de masques FFP2 ou des stocks diminués, enfin des FFP2 bien évidemment quand il y en a. On a eu droit aussi à la distribution de gels hydroalcooliques qu’il a fallu ramener parce qu’il s’est avéré qu’ils étaient non conformes.

On a pu assister aussi ces dernières semaines à la multiplication d’initiatives de fabrication de masques en tissu qui sont par la suite donnés aux soignants ou aux gens dans le besoin. Est-ce que vous en tant qu’infirmière libérale, vous avez pu profiter de ces masques ?

Oui, j’en ai reçu pas mal et notamment de mes patients qui m’en ont fabriqué avec ce qu’ils avaient : des torchons, des coques de soutien-gorge, ça m’a fait bien rire. Mais après, en tant que soignante, je ne me sens pas protégée par ces masques là mais bon c’est toujours mieux que rien.

Il a été observé que les gens ont peur de se rendre aux urgences car ils craignent d’être contaminés. Comment cette situation affecte-t-elle votre profession ?

C’est vrai que les patients souvent ne disent rien. J’ai des patients qui vont me cacher quelque chose, un mal être que je vois au niveau de la tension ou reculer leur rendez-vous avec leur cardiologue. Parce que je pense qu’ils ont peur d’être contaminés, enfin c’est le retour que j’ai. Ils ont peur d’engorger les urgences et les hôpitaux, au détriment de leur santé. Au niveau de ma profession, il faut que je redouble de vigilance. Souvent, je suis arrêtée dans la rue, on me demande des conseils pour éviter au maximum d’aller aux urgences. Je dois faire face et j’ai beaucoup plus d’appels qu’avant, c’est vrai. Les gens nous appellent, viennent nous voir. Ils savent à peu près quand nous sommes dans tel ou tel quartier et nous attendent pour nous poser des questions du style “Vous pensez que je dois aller voir tel médecin ?, “Est-ce urgent ? ”, “Puis-je attendre ?”

Comment vos patients réagissent-ils face à cette épidémie ?

Moi je suis beaucoup en contact avec des personnes âgées. Ils en ont marre et ils s’inquiètent beaucoup pour nous quand ils nous voient arriver avec nos masques, nos blouses et tout notre équipement. Ils en ont marre aussi de ne pas pouvoir voir leur famille. Mais aussi, ils ne comprennent pas forcément pourquoi le confinement n’est plus aussi bien respecté parce que souvent ce sont des personnes âgées qui ont fait la guerre donc moi la phrase que j’entends souvent c’est “heureusement qu’ils n’ont pas vécu la guerre parce que rester chez eux ce n’est pas grand chose qu’on leur demande”.

Comment vous vous organisez pour les épauler en ces temps difficiles ?

J’essaie déjà de toujours être de bonne humeur, de garder le sourire mais bon derrière nos masques c’est un peu compliqué. J’essaie de leur parler, de les écouter, de maintenir un lien avec leur famille qui souvent n’habite pas dans la même ville qu’eux. J’essaie aussi de les rassurer, de les tenir informés. Mais je vous avoue aussi que ça fait du bien, même pour un seul instant, de ne pas parler du Covid et de parler de la vie en général, du soleil, vraiment essayer de penser à autre chose.

Comment les personnes proches de vos patients réagissent-elles quand on leur dit qu’elles ne peuvent pas voir ces membres de leur famille qui sont plus vulnérables face au coronavirus ?

Bien, en tout cas au niveau de ma tournée les familles ont compris que c’était pour le bien-être de leurs aînés. Ils ont compris, ils ont eux-même limité leurs déplacements. Souvent, il n’y a plus qu’une seule personne qui vient pour déposer les courses. On est aussi en contact régulièrement parce que je vois leurs aînés donc ça leur fait plaisir d’avoir des nouvelles, étant donné que les personnes âgées ne sont pas encore très à l’aise avec l’informatique donc j’essaie de faire des « visio-conférences » quand je suis sur place. Mais globalement, ils comprennent et ils sont plutôt contents qu’on leur dise.

Malheureusement, on a pu voir que de nombreuses familles ont perdu un ou plusieurs proches des suites du coronavirus. On compte pus de 28.000 décès en France à ce jour. Est-ce que vous aussi vous avez dû faire face à des décès chez vos patients ou dans leurs familles ?

J’ai dû faire face à cela. C’est un moment très délicat parce que les familles se sentent perdues car elles n’ont pas forcément le droit d’aller voir le défunt une dernière fois dû au Covid. J’ai beaucoup de questions vis-à-vis de ça. Quelles sont les procédures ? Je ne peux pas aller voir ma maman avant qu’elle décède. Je ne peux pas lui dire au revoir. Donc c’est vraiment une partie de notre travail en plus de les accompagner dans ces moments difficiles.

Et comment est-ce que vous en tant qu’infirmière vous gérez cette situation ?

C’est dur, on encaisse beaucoup, c’est très éprouvant émotionnellement, surtout en tant que infirmiers libéraux où on a pas d’équipe, on est seuls. Moi personnellement, grâce aux réseaux sociaux on a pu assister à pas mal de solidarité entre soignants, entre libéraux, entre tout soignant confondu. Ce sont des lieux où on peut partager nos ressentis et j’avoue que cela m’aide beaucoup.

 Analena Dazinieras


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