Alors que le Rassemblement National (ex FN) se positionne juste derrière LREM en ce qui concerne les intentions de vote aux élections européennes qui se tiendront en mai 2019, beaucoup semblent avoir oublié que le FN représente déjà la France au Parlement européen depuis 5 ans avec un nombre record de sièges. Il est donc possible de tirer un bilan de leur politique passée dès aujourd’hui. On découvre sans peine que le parti s’est distingué depuis cinq ans avec des votes allant à l’encontre des droits des travailleurs, de l’égalité homme-femme et parfois même en faveur des plus grosses entreprises : une politique « traditionnelle » très proche de celle de la majorité actuelle.
Pour toute personne ayant un minimum de culture politique, il est de notoriété que le Front National – et l’extrême droite en général – sert de filet protecteur aux politiques libérales et ce depuis l’aube du capitalisme moderne. Quand il n’est pas utilisé pour effrayer les électeurs d’un entre deux tours, il sert, une fois au pouvoir, à dénoyauter les maquis de résistance sociale, les syndicats et associations, mais surtout à préserver les intérêts des industriels et des élites de la nation, au nom d’un idéal patriotique. Ce schéma éculé est sans doute une nouvelle fois à l’œuvre à en croire les sondages.
Si on en croit les intentions de vote, le FN pourrait bien être le parti politique français le mieux représenté à l’issue des élections du parlement européen qui se tiendront en mai prochain. Surfant sur les frustrations de celles et ceux qui craignent pour leur présent ou leur avenir sur fond d’une ambiance économique morose, le parti n’hésite pas à instrumentaliser, pêle-mêle, les questions migratoires, environnementales et sociales, séduisant une partie croissante de l’électorat dans un contexte social où la majorité déçoit énormément les couches populaires. On pourra d’ailleurs souligner que Marine Le Pen se fait désormais chantre du « localisme », instrumentalisant ainsi à son propre profit les combats militants de terrain et laissant présager une confusion inquiétante entre ses thèses nationalistes et la défense de projets de territoire dans la perspective de repenser les relations économiques et faire décroître la pression exercée sur l’environnement. Son projet politique de fond, industrialiste par nature, est pourtant totalement incompatible avec les valeurs écologistes.
Car une rapide analyse des votes de ce parti au Parlement européen pendant la législature en cours montre un tout autre visage du Rassemblement national, qui défend souvent des positions qui entrent en contradiction avec les intérêts des classes populaires. Pire, l’activité des députés FN se distingue par une multiplication de votes contre l’amélioration des conditions de travail des ouvriers, la lutte contre les traités internationaux ou encore l’évasion fiscale. Certains y verront une absence de cohérence entre les actes et le discours, d’autres y reconnaîtront les conséquences d’une idéologie qui n’entend pas s’attaquer aux intérêts des industriels et des possédants. Pourtant, dans l’opinion publique, le mouvement de Marine Le Pen est associé à la lutte pour les travailleurs français qui seraient, selon la cheffe de partie, les grands perdants de la construction européenne. Pourquoi est-ce à ce point difficile pour l’électorat français de prendre acte des faits ? Peut-être car la politique de l’ex-Front National à l’Europe n’est que peu commentée dans les médias ?
2016 : le FN approuvait la directive sur le secret des affaires contre les lanceurs d’alerte
Le 13 avril 2016, 10 jours après les premières révélations des Panama Papers, le parlement européen est appelé à voter à propos d’une directive sur le secret des affaires. Ses tenants y voient un moyen de défendre les entreprises contre l’espionnage industriel et économique. Mais ce texte a été critiqué parce qu’il menace le travail des journalistes et des lanceurs d’alertes, ce qui laissait présager une véritable régression de leurs droits.
En dépit d’une mobilisation importante contre un texte jugé favorable aux puissances économiques et aux lobbies, les élus européens se prononcent à 77 % en faveur du texte proposé par la Commission européenne. 18 élus français d’extrême droite présents font de même, dont Louis Alliot, Nicolas Bay, Dominique Bilde ou encore Steeve Briois. Marine Le Pen n’avait pas jugé bon de se déplacer. Fermement blâmé et mis à mal pour ce vote (également positif dans les rangs PS et LR), le FN avait ensuite tenté de faire croire qu’il n’avait pas soutenu l’initiative. Tout est donc dans le discours. Très peu prennent la peine de vérifier les actes.
Quand le FN votre CONTRE la lutte contre l’évasion fiscale
Votée en décembre 2015, la résolution en vue de favoriser la transparence, la coordination et la convergence des politiques en matière d’impôt sur les sociétés au sein de l’Union était un premier pas pour mettre fin aux pratiques qui ont pour objet de se soustraire à l’impôt. Cette mesure, très attendue dans le débat public pour des raisons démocratiques et de justice fiscale, a obtenu le soutien des parlementaires. Alors même qu’elle permet de défendre les intérêts nationaux, la résolution n’a pas obtenu de soutien de la part des élus frontistes qui, obsédés par leur phobie européenne, y voyaient le risque d’une « union fiscale ». C’est pourtant ce manque de coordination internationale en matière de déplacements des capitaux qui facilite l’évasion fiscale. On comprend aisément en quoi la logique frontiste de division internationale profite à cette évasion fiscale.
Vote sur le TAFTA et les accords de libre-échange : le FN peu engagé
Quand il s’agit de critiquer les effets néfastes des traités de libre-échange pour les économies nationales et les travailleurs, le FN est en première ligne. Mais le parti est beaucoup moins actif quand ce combat doit être porté devant les instances législatives de l’Union européenne. Une fois encore, le gouffre entre la parole et les actes est saisissant.
Déjà en 2014, Marine Le Pen s’était distinguée en s’abstenant (ainsi que ses collègues) lors du vote sur les travailleurs détachés. En 2015, lors d’une commission sur le TAFTA dont elle est pourtant membre, Marine Le Pen ne fait pas le déplacement. Idem pour le Ceta en 2017 en commission Commerce international. Si lors du vote définitif de ce dernier texte en plénière, l’élue frontiste se prononce finalement contre, sa détermination à encourager un véritable débat sur le sujet au niveau européen pose question, alors même que la société civile s’est fermement engagée pendant de longs mois, multipliant les actions militantes et les pétitions pour faire entendre une autre voix.
Le FN s’oppose à l’égalité hommes-femmes
Dernière illustration des positions défendues par le FN au niveau européen, celui concernant les droits des femmes. En la matière, le parti s’oppose de manière systématique aux rapports ayant pour objectif de défendre une amélioration de leurs droits. Dans le détail, les élus se prononcent contre des salaires égaux à compétences égales ou une plus grande sécurité en ce qui concerne les congés maternité, souvent en reléguant le rôle des femmes à celui de mères au foyer. Pourtant, en France Marine Le Pen n’hésite à se présenter comme animée par la défense des droits des femmes, notamment pendant la campagne présidentielle de 2017.
Renforcer le pouvoir des salariés ? le FN vote aussi contre
On entend souvent les parleurs de front national séduire les classes populaires avec des discours engagés sur le niveau de vie ou les conditions de travail. On sait pourtant que l’extrême droite est profondément attachée à la défense des intérêts du patronat sous couvert de la fameuse « valeur travail ». C’est d’ailleurs un élément fondamental d’une politique globalement de droite, ici, encore plus à droite : le productivisme. Malgré leur rhétorique, les eurodéputés frontistes s’attaquent volontiers aux syndicats qui défendent concrètement ces droits. Lors du vote de la résolution du Parlement européen sur les affaires Alstom et Caterpillar, par exemple, les députés RN ont massivement rejeté une série d’amendements visant à renforcer les droits des salariés et de leurs représentants face aux restructurations et aux licenciements boursiers. Une fois encore, dans les actes, l’ex-front démontre combien l’économie passera toujours avant l’humain dans leur logique.
Au regard de ces nombreux éléments, l’engouement national pour la perpétuation de cette politique au niveau européen reste un mystère. Ou peut-être pas tant que ça ?
Un discours enrobé de miel, largement médiatisé par les mainstreams, sera toujours plus efficace pour haranguer les masses que de dire la vérité. Tout comme l’est le marketing lui-même, à travers la publicité, rares sont les individus à prendre le recul sur les messages politiques ou économiques qu’ils reçoivent. Coca-cola, Mcdonald’s, Starbucks n‘ont jamais été autant critiqués à travers le monde, mais leur « business model » fonctionne toujours aussi bien. Le clan Le Pen fonctionne tel un produit politique clé-sur-porte : utiliser les frustrations sociales des citoyens pour leur vendre une réponse séduisante mais fausse. Doublement fausse tant la politique menée par l’extrême droite loin des regards, à l’Europe comme dans les communes, a pour conséquence directe de reproduire les inégalités et maintenir l’oppression à l’origine desdites frustrations. La boucle est bouclée.
Nos travaux sont gratuits et indépendants grâce à vous. Afin de perpétuer ce travail,soutenez-nous aujourd’hui par un simple thé ?☕