Assumer un regard critique sur l’Union européenne est souvent tabou. Rien de surprenant puisque cette institution est instrumentalisée pour imposer une politique néolibérale aux populations. Or, la critique permet d’ouvrir des voies de transformations nécessaires au vu des enjeux socio-environnementaux. Analyse.
Voici une liste cinq préjugés sur l’Union européenne qui servent à défendre une alliance économique au service du capitalisme. Savoir les décrypter est le point de départ pour envisager une alliance européenne réellement au service des populations.
1. L’UE est nécessaire à la fraternité des peuples
L’un des arguments massue pour défendre l’Union européenne serait qu’elle serait garante de la paix et que ce serait même grâce à elle si aucun conflit n’avait plus eu lieu sur son territoire depuis 1945. Même s’il ne s’agit pas de guerre stricto sensu, un certain nombre d’épisodes sanglant dans la zone de l’UE ont pu être observé encore récemment. On pense particulièrement aux affrontements s’étant déroulés en Irlande du Nord entre les partisans et les opposants à la réunification de l’île. Depuis 1969, pas moins de 3500 morts ont été enregistrés alors que l’Irlande fait bien partie de l’Union européenne tout comme le Royaume-Uni jusqu’au Brexit.
Cet argument de « la paix » joue énormément sur le traumatisme que représentent les deux guerres mondiales qui ont durement touché le continent. Pour autant, la paix politique entre les pays d’Europe occidentale est en réalité en grande partie due à des intérêts financiers. Et c’est d’ailleurs tout le sens de l’Union européenne : une construction avant tout économique qui n’a rien à voir avec la fraternité des peuples. En effet, cette union arrange surtout les plus fortunés et le grand patronat qui peut en tirer parti.
Ainsi, la libre circulation des marchandises a permis aux industries de se délocaliser, notamment en Europe de l’Est où les conditions sociales sont déplorables. Plutôt que d’organiser une entraide entre les populations, Bruxelles orchestre donc bien au contraire une concurrence féroce. Cette concurrence reste d’ailleurs l’un des credo majeurs de l’UE. Exactement à l’inverse de ce que proposerait une politique progressiste, les prolétaires et les travailleurs ne sont pas unis par ces traités, mais bien sauvagement mis en compétition.
Ce procédé est également utilisé pour massivement privatiser les services publics qui sont désignés comme des « monopoles ». À l’inverse, les intérêts privés qui génèrent des profits sont largement privilégiés.
C’est d’ailleurs dans cette même optique que des politiques d’austérité ont été menées. En incitant les États à réduire leur dépense, l’institution aide les portefeuilles privés à récupérer les secteurs délaissées par les gouvernements pour faire des économies. C’est dans ce cadre que l’âge de départ à la retraite est de plus en plus repoussé parmi les 27 pays de l’UE. En Lituanie, l’UE avait ainsi été jusqu’à préconiser un seuil à 72 ans.
Ce genre de mesures est très loin d’apporter la « paix », tout au moins au niveau social. Depuis des décennies, on observe d’ailleurs de multiples contestations populaires, notamment en France, qui sont très régulièrement réprimées par la force. En outre, cette union n’empêche pas des comportements belliqueux en dehors du continent, des ventes d’armes, ou encore un traitement honteux des migrants par les autorités européennes. Aussi, lors des crises de 2008 et du covid-19, les pays membres ont d’abord pensé à eux et n’ont eu que faire de la fraternité.
2. L’UE permet de rivaliser avec les grandes puissances
Une autre idée reçue est que l’Union européenne permettrait à la France de rivaliser avec les autres grandes puissances du globe. Sans elle, elle n’aurait plus aucun moyen d’exister à l’échelle mondiale. Or l’Hexagone, comparé au reste de la planète, demeure une nation très prospère. En se s’en tenant aux indicateurs traditionnels tel que le PIB, le pays se situe à la septième place mondiale parmi près de deux cents États.
Certes, l’Union européenne dans son ensemble parvient à se porter au troisième rang mondial derrière les États-Unis et la Chine. Pour autant, ce type de raisonnement s’inscrit dans une logique de compétition et de productivisme. Car se trouver en haut de ce genre de classement n’apporte rien au peuple français, si ce n’est le fait de permettre à des dirigeants libéraux de se glorifier dans une course au pouvoir.
Dans une certaine mesure, l’Union européenne va même jusqu’à affaiblir la puissance française puisqu’elle place la France dans une situation de dépendance. Or, comme Mr Mondialisation l’expliquait récemment, à la vue des crises qui se multiplient, il devient plus qu’urgent de rester souverain notamment en matière alimentaire, énergétique ou industrielle. Se rendre dépendant d’autres nations, c’est à l’inverse prendre le risque de ne pas pouvoir compter sur elles en cas de coup dur. La priorité devrait donc être à la dignité des conditions d’existence des habitants, dans un contexte où les richesses de la France sont amplement suffisantes pour ce faire, et ce même sans ses voisins.
L’UE ne rivalise d’ailleurs guère avec les États-Unis : Suivant la plupart des principes économiques néolibéraux souhaités par les gouvernements américains successifs, elle soutient également la plupart de ses orientations politiques ou militaires. L’intégralité des pays européens ont ainsi appuyé les mouvements impérialistes étasuniens, notamment en Amérique latine. Ce fut par exemple le cas lorsque les USA avaient défendu Juan Guaido au Venezuela ou Jeanine Áñez en Bolivie.
L’exemple de la Bolivie est d’ailleurs particulièrement illustratif de l’assujettissement de l’institution européenne à la première puissance mondiale. Alors qu’elle avait renversé un gouvernement élu et fait réprimer dans le sang le peuple révolté, elle avait non seulement été légitimée par l’Union européenne, mais elle avait en plus été proposée au prix Sarkharov en 2021, censée honorer les personnes qui ont consacré leur existence aux droits humains.
La récompense avait finalement été attribuée au raciste Alexeï Navalny, là encore pour valoriser l’opposant médiatique de Vladimir Poutine qui semble plaire beaucoup plus à l’UE et aux USA que ses contradicteurs de gauche… Cette inféodation du continent européen aux USA n’a d’ailleurs en réalité rien de très surprenant, puisqu’après la guerre, l’UE s’est largement construite sous influence américaine, en opposition au bloc soviétique.
3. L’UE aide financièrement la France
L’UE n’a rien d’un État où toutes ressources seraient mutualisées dans une caisse collective. Bien au contraire, les fiscalités, tout comme les normes sociales, restent différentes partout sur le continent. Ce qui permet bien évidemment aux entrepreneurs des pays les plus aisés d’exploiter les travailleurs des nations plus pauvres, le tout au détriment des habitants de leurs propres patries.
Dans le cadre actuel, si l’on mettait en commun toutes nos richesses, le peuple français serait largement perdant. C’est même déjà le cas puisque la France donne beaucoup plus d’argent qu’elle n’en reçoit. Dans ce sens, dire que l’Union européenne finance des projets en France n’a aucun sens ; c’est bien le contribuable français qui est à l’origine des sommes que l’UE attribue à l’État français.
Comme expliqué au début de cet article, la destruction des services publics induite par les politiques européennes entraîne aussi de nombreuses privatisations qui finiront toujours par coûter plus cher aux Français. Cela a, par exemple, été constaté avec les télécoms et l’énergie.
Sur le plan économique, la monnaie unique pose également un énorme problème de souveraineté et d’inflation. Un État ne peut en effet disposer de sa pleine indépendance s’il ne frappe pas de son propre argent. Les pays africains utilisant le franc CFA en savent d’ailleurs quelque chose.
Cette absence de contrôle est d’autant plus inquiétante que la banque centrale européenne est fondée sur une idéologie néolibérale. De ce fait, il devient alors très complexe de mener une politique progressiste ou socialiste quand l’économie est ainsi verrouillée.
4. Critiquer l’UE c’est être raciste ou d’extrême droite
La critique de l’Union européenne est régulièrement associée aux mouvements identitaires et d’extrême droite. Remettre en cause cette institution reviendrait ainsi à rejeter les autres peuples par xénophobie ou par nationalisme. C’est notamment le procès qui a été fait aux partisans du Brexit au Royaume-Uni.
Certes, cette vision identitaire du dégoût de l’Europe existe bel et bien. C’est cependant de moins en moins vrai pour plusieurs raisons. D’abord, l’extrême droite continue malgré tout à soutenir le capitalisme et l’intérêt du grand patronat, ce qui est en contradiction avec une rupture avec l’Union européenne. Ensuite, parce que le suprématisme blanc de l’extrême droite a commencé à prendre le pas sur la ferveur patriotique. Cette idéologie ne défend ainsi plus la France contre le reste du globe, mais « l’Europe blanche » face à l’immigration venue du Sud.
De son côté, la gauche, fondée sur l’internationalisme qui invite à l’union des tous les prolétaires du monde, a donc eu beaucoup de mal à se positionner face à une organisation décrite comme une symbiose fraternelle des peuples européens. Une bonne partie de celle-ci est d’ailleurs tombée dans le piège d’une association entre le rejet de l’autre et celui de l’Union européenne.
Pourtant, l’UE telle qu’elle est construite ne permet absolument pas une unité des travailleurs contre la bourgeoisie, bien au contraire. L’institution vante plutôt le libre-échange économique, la concurrence à outrance et surtout un néolibéralisme effréné.
Et si personne à gauche ne renie la fraternité, il paraît cependant inconcevable de soutenir une entité qui prône une politique libérale et fondée sur le marché. D’autant plus lorsque ce procédé détruit les services publics, favorise l’austérité, la délocalisation et défend les lobbys industriels face aux acteurs écologistes. Parmi les voies critiquant l’Union européenne, il en existe donc nécessairement une située à gauche sans aucun rapport avec la xénophobie.
5. L’UE est une belle démocratie
L’Union européenne est encore moins une démocratie que ses pays membres qui reposent déjà pour la plupart sur des systèmes électoraux biaisés et où le pouvoir des citoyens est très faible. En effet, au niveau continental, ce ne sont pas les députés choisis par les populations qui prennent effectivement les décisions, mais bien la Commission européenne qui est composée par les chefs d’État de toutes les nations.
La structure européenne actuelle est fondée sur un traité identique à celui que les Français avaient rejeté par référendum en 2005. Où se situe alors la légitimité démocratique d’une institution qui s’est construite contre les peuples ?
L’Union européenne pose également un problème démocratique de par son immense échelle. En effet, plus un groupe de citoyens est important, plus il est probable qu’il existe en son sein des aspirations différentes. Autrement dit, tous les Européens ne souhaitent pas être régis par les mêmes lois, d’autant plus lorsqu’ils sont dotés de cultures hétérogènes.
Or, dans ce système, un État ayant élu un gouvernement de gauche se verra tout de même imposer des orientations politiques de droite. Même s’il des référendums au niveau européen existaient, les peuples minoritaires devraient se soumettre aux pays qui disposent d’un nombre d’habitants supérieur.
Une stratégie qui reste à déterminer
Il paraît ainsi complexe de défendre l’Union européenne telle qu’elle a été construite. Si personne à gauche ne s’opposerait à une coopération entre les peuples et entre les êtres humains, cette institution profondément néolibérale qui prône la compétition et la concurrence doit pouvoir être remise en question.
Les promesses d’une « Europe sociale » semblent particulièrement complexes à tenir dans ce cadre. Pour autant, il est nécessaire que la gauche se saisisse d’une critique ancrée de l’Union européenne et qu’elle propose une véritable voie de transformation qui puisse aboutir à une alternative désirable.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Commission européenne en 2021. Wikimedia