À 24 ans, il a vécu seul en quasi autonomie pendant 7 mois sur un plateau glaciaire, dans les Pyrénées. Cet homme, c’est Jacob Karhu, un jeune français devenu ermite l’espace d’un temps… Un projet mûrement réfléchi, en accord avec la commune : pouvoir occuper un refuge de berger en échange de le rénover intégralement. Entre fuite d’un monde toujours plus stressant et recherche de soi, retour sur un séjour pas vraiment commun, entre débrouille, minimalisme, décroissance et poésie.
Amateur de bushcraft depuis près de 10 ans, Jacob Karhu, breton amoureux des grands espaces et de nature n’en était pas à son coup d’essai. Sur sa chaîne YouTube, le jeune homme partage sa passion régulièrement. Qu’il s’agisse de techniques de base pour allumer un feu ou de construction de cabanes dans les bois, en passant par le tannage de peaux, un seul mot d’ordre : faire autant que possible avec ce que la nature met à sa disposition. Passer du temps en forêt et fabriquer ce dont il a besoin devient une fin en soi : un mode de vie profondément anti-productiviste. Mais surtout le plaisir d’être au grand air et de réaliser quelque-chose avec ses propres mains. Une façon de se réapproprier l’espace, le temps, et la matière dans un monde où le toujours plus et plus vite fait loi.
Entre avril et octobre 2018, Jacob saute le pas et part s’installer dans une cabane dans les Pyrénées avec la ferme intention d’y vivre de la façon la plus autonome possible. Équipé de quelques outils, d’un panneau solaire avec un tableau électrique fait maison ainsi que quelques rations alimentaires de base, il débarque en plein hiver alors que son nouveau foyer est encore recouvert d’une épaisse couche de neige. Mal isolée et pleine de déchets laissés par des randonneurs peu scrupuleux, la cabane doit d’abord être déblayée avant de pouvoir envisager toute rénovation.
Pour mener à bien son projet, Jacob a exercé tous les métiers imaginables dans ce contexte. Tantôt bûcheron pour abattre et débarder des troncs d’arbres pour sa charpente, parfois même avec l’aide d’un cheval ; tantôt maçon pour casser un mur et en remonter un autre. Il lui faudra également devenir menuisier pour fabriquer du mobilier, et plâtrier pour réaliser des enduits à la chaux pour ses murs. Pour sa subsistance, il sera maraîcher et élèvera quelques poules, le tout accompagné de cueillette de plantes sauvages. Derrière cet homme multitâche se cache un vrai désir de débrouille. « J’ai tout appris sur internet, sur des fora ou dans des livres […], l’important est de se jeter à l’eau et de pratiquer encore et encore« , nous confie-t-il. Comme pour compléter son impressionnant tableau de compétences, notre artisan est également artiste. Loin de se laisser obnubiler par des préoccupations de survie, il profite de son séjour pour réaliser de superbes plans aériens filmés au drone, parfois sur fond de textes en vers. Il réalisera même une fresque dans sa cabane, et compose lui-même ses musiques de vidéos.
Malgré son panneau solaire, il lui a fallu imaginer des techniques résilientes pour des choses anodines du quotidien comme la conservation des aliments. Là où nous mettons des aliments au réfrigérateur par automatisme, il opte pour une simple trappe sous le sol de sa cabane, comme il est courant de le faire en Asie, les quelques degrés en moins étant largement suffisants pour la conservation de fruits et légumes frais. « Il faudrait que les gens sortent davantage de chez eux pour qu’ils réalisent le confort qu’ils ont à leur disposition dans leur vie quotidienne. […] Cela leur permettrait d’étendre leur zone de confort et de réaliser qu’il existe des alternatives« .
Étudiant en géologie, Jacob Karhu, voulait prendre le temps de vivre une telle expérience pour apprendre de lui-même, mais sans vraiment s’éloigner du milieu académique. « J’ai fait de longues études, et je voulais faire une pause, prendre du temps pour moi. C’était maintenant ou jamais » dit-il. Après cette expérience, il est d’ailleurs retourné en région parisienne pour finir sa thèse. « Mon but n’était pas de devenir ermite. Je voulais essayer, et j’ai appris que malgré la lassitude des villes, beaucoup de gens me manquent. […] Si je devais réitérer l’expérience, ce ne serait pas nécessairement seul, mais plutôt en petite communauté par exemple. »
Cette expérience est très inspirante dans un contexte de crise écologique globale et à l’heure où l’on consomme les ressources plus vite qu’elles ne se renouvellent. Le mode de vie un minimum autosuffisant et décroissant peut-il permettre de réfréner notre fuite en avant toujours plus effrénée ? Jacob y croit fermement. Prendre le temps d’imaginer, de fabriquer et réutiliser en privilégiant les matériaux durables (bois, métal, pierre…) semble en tous cas une bonne solution pour se préparer aux chocs sociétaux qui s’en viennent et semblent de plus en plus inévitables.
Pour les gens intéressés par la démarche, Jacob prévoit de sortir un livre retraçant toute son expérience aux éditions Flammarion au printemps 2020. « J’ai envie de dire aux gens de réaliser leurs rêves, de se lancer, même si ce n’est qu’une expérience temporaire comme moi. […] Réaliser quelque chose de ses mains et être autonome est très gratifiant, et c’est une bonne occasion pour se reconnecter à des gestes premiers.«