La notion de résilience a largement été mutilée voire détournée ces dernières semaines, notamment dans les discours politiques et médiatiques. Pourtant, dans un contexte d’intenses perturbations des écosystèmes écologiques et sociaux, le concept de résilience devient incontournable pour appréhender l’avenir. Pour ce faire, il nous faut comprendre le fonctionnement systémique de la relation entre l’Homme et son environnement pour dessiner le chemin qui mènerai vers une capacité de résilience des territoires face aux basculements probables d’ordres écologiques, économiques, sociaux etc. qui s’annoncent. À cet égard, le Centre de Recherche et Développement et de Transfert en Innovations Sociales Clermont Auvergne nous proposent d’aborder la notion de résilience à l’échelle des territoires à travers une « stratégie 3R » : Repérer, Relier et Résister.

Les transformations naissent de l’expérience. Dès lors, l’expérience de la catastrophe sanitaire aura fait basculer bon nombre de nos certitudes collectives vis-à-vis de notre modèle de société. Toutefois, le temps nous est compté et nous voudrions aujourd’hui insister sur ce que l’équipe de Dennis Meadows décrivait en 1972 (date de la première édition du célèbre rapport qui fait état des ressources finies de la Terre) : notre civilisation industrielle « n’a pas d’avenir » . Dans la préface de la nouvelle édition 2017 de ce rapport, les auteurs soulignent plus précisément « que les limites écologiques planétaires (en matière d’utilisation de ressources et d’émissions de polluants) auraient une influence importante sur le développement mondial durant le XXIe siècle ».

En France, après des mois de confinement, des dizaines de milliers de mort, l’explosion du taux de chômage, l’accroissement des faillites d’entreprises, ou encore la mise au jour de notre vulnérabilité alimentaire nous donnent une idée de ce à quoi ils faisaient référence. En effet, « il fut un temps où les limites à la croissance appartenaient à un futur éloigné. Elles sont bien là, aujourd’hui. Il fut un temps où le concept d’effondrement était inconcevable. Il fait aujourd’hui son apparition dans les discours publics ». Bref, la situation unique que nous affrontons aujourd’hui, met en lumière la réalité quotidienne probable de l’Humanité pour demain si nous n’agissons pas.

Comprendre la relation entre l’Humanité et le système-Terre

Soyons clairs, l’Humanité va devoir affronter des périls inédits par leur intensité, leur répétition et leur surgissements incertains dans les prochains mois, les prochaines années. L’explication tient en un mot : l’exponentielle ! Expliquons nous, l’Humanité a un impact sur le système-Terre en trois dimensions. Tout d’abord, les ressources que nous prélevons (énergies fossiles, minerais, ressources biologiques etc.). Puis les déchets que nous produisons en transformant ces ressources en biens et services de consommation (notamment le CO2). Et enfin, les dégradations que nous infligeons par ce processus (atteinte à l’atmosphère, dégradation de la pédosphère – les sols- , fonte des glaces et du permafrost etc.). Tout cela constitue notre empreinte écologique et cette empreinte est définie aujourd’hui comme exponentielle, c’est à dire qu’elle croît de manière extrêmement rapide (théoriquement, elle double tous les deux ans). Les scientifiques nomment cette empreinte exponentielle la « grande accélération » (Steffen et al., 2015).

Par ailleurs, notre empreinte écologique est à mettre en miroir de la biocapacité de la Terre, c’est-à-dire plus précisément sa capacité à renouveler les ressources que nous prélevons, puis sa capacité à absorber nos déchets, et enfin sa capacité à réparer les dégâts infligés. Le constat est le suivant : l’intensité du prélèvement des ressources et de leur transformation en déchets est bien supérieure à la capacité de la planète à absorber et régénérer. Par conséquent, la capacité productive des sols et des océans, ou la capacité de photosynthèse, se dégradent. La bio-capacité de la Terre est en constante diminution et par conséquent, le déficit se creuse. Nos écosystèmes sont durablement bouleversés par l’activité de l’Homme avec pour conséquence l’avènement d’un nouvel âge du système Terre qu’un nombre croissant de scientifiques propose de nommer « période de l’Anthropocène » ( Gemenne & Rankovic 2019 ).

Cette nouvelle période succéderait à l’Holocène, une période qui a débuté il y a 11 700 ans et qui a bénéficié de conditions particulièrement stables et clémentes, c’est-à-dire une relative stabilité des niveaux du dioxyde de carbone et du méthane atmosphériques, du climat mondial, du niveau des mers, des cycles d’azote et du phosphore, etc. C’est ce qui a permis la croissance et le développement de la civilisation humaine. Or, depuis la première Révolution Industrielle, l’activité anthropique (humaine) a progressivement bouleversé la stabilité de ces cycles (carbone, azote, phosphore etc.) provoquant par voie de conséquence le dérèglement climatique, la montée du niveau des mers, l’acidification des océans, la multiplication des zones mortes dans les océans, le changement d’usage des sols, des pertes d’habitats et d’espèces, avec des intensités records. Si, depuis son apparition, l’Homo Sapiens a toujours eu un impact sur la Terre et ses équilibres, ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est la magnitude de ces changements, c’est-à-dire leur intensité (de gros changements dans des laps de temps très courts), leur nombre et leur étendue.

Compte tenu de leur caractère systémique (une relation forte entre l’ensemble des éléments de notre système-Terre et l’ensemble des activités humaines), il est particulièrement difficile de comprendre et d’évaluer le nombre de manifestations de l’Anthropocène et leur magnitude. C’est la raison pour laquelle les scientifiques du GIEC parlent de fourchettes probables, et précisent progressivement leurs travaux (de façon toujours plus alarmante soit dit en passant). Pour autant, ces travaux exposent la corrélation très forte entre les transformations globales de notre écosystème de vie, une extinction de masse du vivant sur Terre, et, par conséquent, les effondrements de la société dite thermo-industrielle, totalement dépendante de ce vivant.

« Éveillés, ils dorment »

Mais nous ne vivons pas dans un film de science-fiction, voilà pourquoi nous parlons d’effondrements au pluriel car nous ne vivrons pas un épisode apocalyptique, mais plutôt une série de déstabilisations plus ou moins intenses et plus ou moins larges. Dès lors, le constat est limpide, nous savons qu’en poursuivant dans cette voie nous allons nous exposer à une vulnérabilité croissante, directement liée à la déstabilisation de l’ensemble de notre système. Pourtant, face à ces défis nous agissons comme des somnambules. Reprenons les termes du philosophe grec Héraclite : « Éveillés, ils dorment » ! En effet, nous sommes plongés dans une inertie mortifère qui nous aveugle, nous marchons vers notre péril tout en campant sur nos certitudes et en refusant l’avènement de l’incertain. De ce triste constat personne n’est épargné.

En effet, si la situation que nous vivons aujourd’hui plonge la majorité des individus dans un abîme d’incompréhension, les spécialistes semblent eux aussi assujettis à cet effroi. En ce sens, Serge Morand, écologue de la santé et parasitologiste de terrain, affirmait lors d’une interview effectuée par téléphone le 6 avril pour France Info : « C’est fou, quand on y pense, en octobre, peut-être même encore en novembre, un virus circulait tranquillement sur une population de chauves-souris, quelque part en Asie du Sud-Est. Cinq mois plus tard, il a contaminé toute la planète. C’est hallucinant. » Ce même spécialiste des épidémies donnait une conférence le 21 janvier 2020, à Paris, auprès d’une quinzaine de spécialistes français de la santé et de la biodiversité, pour souligner le risque d’épidémie d’épidémies, autrement dit l’explosion récente du nombre de maladies infectieuses du fait de la destruction des écosystèmes. Bref, celui qui alertait hier sur le risque est lui-même surpris par l’exponentielle de cette pandémie. Nous vivons donc une triste époque de somnambulisme dans laquelle se projeter dans l’avenir semble impossible à la majorité et périlleuse pour les plus éclairés.

Malgré les alertes, malgré les chiffres et malgré les catastrophes déjà nombreuses, nous n’arrivons pas à nous projeter. Dès lors, ce qui est commun à chacun d’entre nous, et cela concerne des milliards d’individus, c’est que nous sommes tout à fait dépassés par la dimension de l’événement. Notre logiciel d’appréhension de la situation tourne à vide, incapable de produire une issue satisfaisante. Nous sommes pris au piège d’un mode de pensée que nous avons fantasmé comme libératoire, celui de la modernité rationaliste issue des Lumières. Un mode de pensée que Edgar Morin juge mutilant et simplificateur et qu’il accuse d’avoir déclassé un mode de pensée complexe, plus proche de la réalité du monde qui nous entoure. En effet, la pensée moderniste a eu ce malheur de découper, cloisonner et séparer afin de faciliter la lecture du monde, tout en nous rendant vulnérables car incapables d’appréhender sérieusement la complexité des systèmes.

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Comprendre la dynamique des systèmes pour comprendre le crépuscule de la civilisation thermo-industrielle

La catastrophe épidémiologique que nous vivons éclaire parfaitement la critique faite par Edgar Morin : un virus émerge dans la population humaine et affecte par effet domino le système sanitaire, puis le système économique, alimentaire, social, politique, etc. De fait, le système de pensée qui prévalait jusqu’ici se trouve invalidé. Nous ne pouvons plus nier les risques de notre modèle de civilisation au risque d’être totalement dépassés demain comme nous l’avons été hier par cette pandémie. Par conséquent, c’est notre appréhension du monde qu’il faut revoir. Pour comprendre cet effet domino, il nous faut sortir d’un système de pensée mutilant pour s’engager, avec humilité, sur les chemins de la pensée systémique, et plus encore, de la pensée complexe (pas celle déclarée aléatoirement par le président Emmanuel Macron).

Pour le dire simplement, penser un système c’est sortir d’une pensée qui sépare pour adopter une pensée qui recherche les liens entres les éléments qui composent ce système. De plus, un système est dit complexe si les interactions qu’il produit génèrent des actions imprévisibles et aléatoires qu’il est difficile d’anticiper mais nécessaire d’appréhender. Penser les systèmes complexes c’est donc penser les inter-relations qui existent entre le méta-système solaire, le méta-système Terre et les sous-systèmes qui l’habitent (anthroposphère, biosphère, atmosphère, lithosphère etc.), eux même habités par des sous-systèmes (culturels, sociaux etc.). Ainsi, les sociétés humaines influencent et sont influencées par différents systèmes. Ces interactions conduisent à des rétroactions[1] (positives ou négatives) qui assurent le maintien de l’équilibre des systèmes et génèrent des variations ponctuelles de la stabilité du méta-système Terre (parfois désastreuses quand les limites de résistance du système sont dépassées).

Ces variations rendent les systèmes socio-écologiques non seulement complexes mais également adaptatifs sur des temps longs. Or, notre civilisation est marquée par une profonde méconnaissance du fonctionnement des systèmes complexes avec pour conséquence une inclinaison des Hommes à vouloir se penser en dehors, voire au dessus, de la Nature. En s’extrayant des systèmes socio-écologiques, l’Homme provoque alors des déséquilibres écosystémiques à une vitesse jamais égalée (moins de 80 ans). Dès lors, le caractère imprévisible des émergences provoquées est renforcé, et devient susceptible d’entraîner des conséquences en cascade non anticipées. C’est ce qui définit l’avènement d’un basculement : des perturbations qui déstabilisent un système et ses sous-systèmes et qui génèrent de l’incertitude quant aux propriétés émergentes.

Ainsi, comme le soulignait l’équipe de Meadows en 2017 « Étant donné le temps qu’il faut à une forêt pour repousser, à une population pour vieillir, à des polluants pour infiltrer dans l’écosystème, à des eaux polluées pour redevenir propres, aux machines pour se déprécier, ou aux individus pour s’instruire ou se recycler, le système ne peut changer du jour au lendemain, même après avoir perçu et accepté l’existence d’un problème. Pour se diriger correctement, un système et sa force d’inertie doivent regarder loin devant, du moins aussi loin que sa force d’inertie le lui permet. Plus un bateau met de temps à virer, plus son radar doit porter loin. Les systèmes politiques et économiques de la planète ne regardent pas assez loin devant eux ». Autrement dit, il faut se projeter et anticiper la déstabilisation de nos systèmes complexes en affirmant l’importance d’une véritable vision politique dont l’épine dorsale doit selon nous reposer sur de la résilience des systèmes.

Définir la résilience pour penser la résilience territoriale

À défaut d’être l’unique catalyseur de notre réponse face à la situation, le concept de résilience aura tout du moins un rôle important à jouer dans l’éclaircissement du processus exceptionnel que nous sommes en train de vivre. Soulignons néanmoins que la résilience est un terme qui a une histoire, relativement longue, et multiple. Tout d’abord appliqué à la physique des matériaux, le terme investi le champ de la psychologie dans les années 40 et atteint celui de l’écologie (mais aussi celui de la socio-économie et de l’informatique) dans les années 70. Le concept de résilience est donc complexe, dans la mesure où il recoupe un ensemble d’autres concepts complémentaires. En effet, la résilience peut faire appel à la robustesse en n’incorporant toutefois pas l’idée de transformation et d’adaptation mais plutôt de constantes faces aux pressions.

Appliquée au monde social, l’idée d’adaptation implique une forme de fatalisme tandis que la résistance est un choix. Dès lors, nous mobilisons la résilience pour modéliser le dialogue entre les propriétés de robustesse et d’adaptation des systèmes sociaux et par conséquence, l’activation de potentialités et de ressources qui permettent de résister, de rebondir et de tirer des enseignements de la situation. Plus précisément, il s’agirait, suite à un événement ou un phénomène déséquilibrant pour un/des système(s), de revenir à un équilibre, non pas identique à la situation initiale, mais un nouvel équilibre ayant pris en compte l’expérience pour s’y adapter et limiter sa vulnérabilité.

Tentons maintenant d’adapter ce concept à notre Humanité et son mode de vie. Qu’est ce que cela veut dire ? S’adapter, s’organiser vers un nouvel équilibre ? C’est un exercice qui semble difficile dans nos supers machines métropolisées, centralisées, urbanisées. Alors, la solution passerait-elle par la création de petites communautés autosuffisantes éloignées des grandes aires urbaines ? Il semblerait que ce soit une échelle peu pertinente tant elle est susceptible de mettre au jour ses dépendances extraterritoriales et ainsi trouver ses limites. Il nous faut donc appréhender le territoire de la résilience comme un « territoire vécu » , c’est-à-dire un espace combinant des réalités géographiques, des réalités socio-économiques, des réseaux d’acteurs sociaux et enfin des représentations socio-culturelles.

Selon le systémicien spécialiste de la résilience Arthur Keller, ces « territoires vécus » sont des bassins de vie, soit des territoires généralement les plus petit possibles, sur lesquels les habitants ont accès aux mêmes offres d’équipement et de services courants. Selon la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), le bassin de vie est un territoire présentant une cohérence géographique, sociale, culturelle et économique, exprimant des besoins homogènes en matière d’activités et de services. Autrement dit, le bassin de vie est l’espace territorial dont l’échelle moyenne permet l’accès commun et homogène des ressources et limite la dépendance extra-territoriale à son minimum. Dès lors, la résilience serait avant tout celle des bassins de vie, et en cela nous rejoignons la proposition de Julien Rebotier qui définit la résilience territoriale comme « la capacité d’un système socio-spatial à récupérer d’une perturbation et à diminuer les impacts attendus lors d’une perturbation ultérieure, notamment grâce à l’apprentissage et à l’intégration du retour d’expérience dans les caractéristiques du système » (Rebotier 2008).

Par ailleurs, comme le soulignent André Dauphiné et Damienne Provitolo, « mettre en place une stratégie de résilience, c’est accepter la catastrophe […], mais tout faire pour en réduire les impacts » (2007). Nous employons donc volontairement le terme de catastrophe, à défaut d’utiliser celui de crise. En effet, aujourd’hui, l’emploi du mot s’est généralisé à l’ensemble des secteurs de la société : crises sanitaires, crises politiques, crise de la modernité, crise de la culture, crise médiatique, etc. Force est de constater qu’à trop invoquer le concept de la crise, ce dernier tend à se vider de son sens. En appelant au développement d’une science des crises, une « crisologie » que Edgar Morin (1976) déplorait déjà : « La crise du concept de crise est le début de la théorie de la crise ». En déstabilisant un système, la crise constitue d’abord une rupture et agit comme un révélateur de nouvelles réalités.

Ce processus est donc à distinguer de la catastrophe puisque la crise peut être considérée de manière subjective alors que la catastrophe désigne le constat objectif d’un bilan lourd. Michel Ogrizek (1997) écrit à ce sujet : « Là où la catastrophe offre à l’imaginaire populaire de la certitude que c’est grave, selon la terrible loi du tout ou rien, la crise, elle, génère plutôt du doute, de la suspicion quant à la réalité et au devenir du danger. ». Nous faisons donc le constat que nous sommes bien entrés dans une situation de catastrophe (des millions de morts, des millions d’emplois détruits etc.) Ainsi, dans cette situation catastrophique, dialoguent la certitude de la gravité et l’incertitude de l’issue collective. Dans cette relation complexe nous pensons que la capacité de résilience de nos bassins de vie peut être interrogée et travaillée. Dès lors, en termes systémiques, nous proposons d’aborder la résilience par le prisme de trois types de capacité que nous pourrions nommer : « la stratégie des 3R. »

Penser la résilience territoriale à travers la « stratégie des 3R »

Tout d’abord, le premier principe est celui qui consiste à « Repérer » les bouleversements à venir pour mieux les anticiper. En effet, aucune capacité de résilience n’est envisageable sans avoir développé une forte capacité du système à anticiper les perturbations en conscientisant son niveau de vulnérabilité. Or, si nous connaissons le niveau de vulnérabilité de nos systèmes thermo-industriels depuis plus de 50 années, dorénavant, notamment grâce aux travaux éclairants de Dennis Meadows, ce diagnostic est moins évident à l’échelle de nos bassins de vie. En ce sens, des programmes de recherche sur les changements systémiques, et leurs impacts (sociaux, économiques, climatiques etc.), permettront de produire la connaissance nécessaire à l’anticipation. Toutefois, anticiper signifie aussi corréler les décisions politiques avec les changements futurs décrits par la recherche, et cela non pas uniquement dans une démarche politique prospective, mais bien dans le cadre d’une obligation constitutionnelle[2].

En effet, il est nécessaire d’inscrire dans les plans communaux de sauvegarde (PCS), et les documents d’information communaux sur les risques majeurs (DICRIM), les risques liés à la déstabilisation des systèmes (sanitaire, alimentaire, énergétique etc.). Pour les communes qui ne sont pas soumises au PCS, les administrés doivent être informés des mesures prises pour leur protection conformément à l’article 2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Des obligations d’autant plus importantes à remplir que selon le ministère de la transition écologique et solidaire, seules 8 000 communes en France, soit 3,6 millions d’habitants, seraient épargnés par ces risques. Il s’agit de communes situées en zone rurale et ayant près de quatre fois moins d’habitants et 2,5 fois moins de zones urbanisées que la moyenne nationale.

Ensuite, nous avançons que la résilience territoriale doit s’appuyer sur la nécessité de « Relier » pour limiter les déstabilisations à venir. En d’autres termes, il s’agit de permettre aux acteurs territoriaux de créer de la confiance et d’élaborer des réponses collectives adaptées aux réalités de terrain afin de faire face collectivement et refuser les replis individuels. Il est donc nécessaire de développer des espaces de dialogue à l’échelle des bassins de risques. En effet, limiter les effets d’une catastrophe souligne la nécessaire capacité du système à ingérer une perturbation, s’adapter à l’irréversible et récupérer un équilibre dynamique qui caractérisait son architecture essentielle avant l’occurrence de cette perturbation (Aschan Leygonie, 2000). Néanmoins, il reste ici à définir ce qui est essentiel, et apprendre à renoncer à ce qui est futile, inutile, voire mortifère. La reliance fait appel ici à cette capacité que doit avoir un système territorial à redonner un nouvel élan à la participation démocratique et plurielle, à l’échange, au débat. Il s’agit donc de mettre sur l’ouvrage la question essentielle de la construction collective du sens que nous donnons à notre humanité. Nous entrerons alors dans un exercice communicationnel d’une grande finesse dans lequel tout l’enjeu se situera dans notre capacité collective à mettre en dialogue nos imaginaires et les lignes de fractures qui les habitent aujourd’hui.

Dans ce cadre, nous postulons qu’il existe aujourd’hui un imaginaire institué, qui assure la production d’un ensemble de règles communes nous permettant de vivre en société (les institutions sociales). Cet imaginaire collectif institué repose principalement sur une pensée dite « illimitiste » . Autrement dit, l’idéologie libérale, qui soutient le système thermo-industriel, est habitée par un imaginaire collectif qui fait de la croissance illimitée dans un monde limité une projection qui sous-tend l’ensemble de nos actions collectives. Or, cet imaginaire est depuis longtemps en tension avec deux autres types d’imaginaires. Ces imaginaires regroupent d’un côté les tenants d’une pensée dite « décroissante » , qui affirment que dans un monde fini il nous faut décroître afin que notre empreinte écologique passe sous la limite de la biocapacité de la terre; et de l’autre, les tenants, de plus en plus nombreux, d’une pensée dite « soutenabiliste » qui affirment quant à eux qu’il nous faut rendre notre croissance durable en modifiant ces règles afin de monter le niveau de biocapacité de la Terre et limiter notre empreinte écologique (l’un et l’autre permis grâce au progrès technique…).

Enfin, il existe une quatrième forme d’imaginaire, très minoritaire jusque là, mais qui se propage indéniablement avec la mise à jour de nos vulnérabilités systémiques, et qui soutient que nous n’éviterons pas certains effondrements. Autrement dit, cet imaginaire postule notre incapacité à ralentir l’inertie de la machine thermo-industrielle ce qui nous exposera à d’inévitables catastrophes (dévissages) comme nous le connaissons aujourd’hui même. Dès lors, si le premier imaginaire, illimististe, est institué dans notre idéologie moderne, l’effondrisme, la décroissance et le soutenabilisme doivent tous participer à la construction instituante d’un nouvel imaginaire.

Il est donc nécessaire de faire appel à l’ingénierie sociale et culturelle pour faciliter ce dialogue accompagnant l’émergence d’un nouvel imaginaire inévitablement coconstruit et validé collectivement comme souhaitable et réalisable. Bref, nous sommes aujourd’hui en tension entre l’urgence systémique de la situation et notre incapacité à produire une réponse autrement que par un processus social incrémental de discussion démocratique. Nous postulons que ce processus sera pourtant la seule voie à la hauteur des enjeux, alors ne traînons pas en chemin…

Enfin, selon nous la « Résistance » est le troisième facteur essentiel de la résilience d’un territoire. Ainsi, nous poursuivons l’idée que « la résilience s’intéresse fondamentalement à la capacité d’un système à supporter une perturbation, voire à l’intégrer dans son fonctionnement » (Aschan Leygonie, 2000 : 76). De fait, le retour à l’équilibre après la perturbation n’est pas forcément le retour « au même », mais doit au contraire faciliter un “pas de côté” salvateur. Dès lors, c’est l’intégration d’évolutions qui constitue l’originalité de la résilience. Il est donc nécessaire, pour le système socio-territoriale qui subit un choc de résister, non pas à la perturbation, mais plutôt à un retour au stade initial. En effet, afin de ne pas se trouver à nouveau dans une situation de vulnérabilité, nos bassins de vie doivent être capables de résister au principe homéostasique (phénomène qui consiste à stabiliser un système et le pousser à revenir constamment à son stade initial), c’est à dire ce mécanisme consistant à lutter pour rester en vie, et qui peut amener un système territorial à fléchir face à la tentation du « retour à la normale » . La résilience de nos bassins de vie passe donc par leur capacité de résistance à ce retour à l’état initial et doit fournir les éléments afin de mettre en sécurité ses systèmes socio-territoriaux dans ce « pas de côté » nécessaire.

Se prémunir du conservatisme technocratique et penser la co-construction

Dans cette perspective de résilience territoriale, nous repérons un type d’acteurs qui joue un rôle tout à fait central dans l’inflexion vers une forme de résilience : les institutions politiques. Plus précisément, ces dernières vont jouer un rôle primordial par leur capacité symbolique et technique à infléchir la dynamique territoriale vers une action plus ou moins résiliente. Ainsi, quand certains mobilisent les aspects institutionnels et politico-administratif liés à la législation et à l’autorité pour définir la vulnérabilité d’un espace urbain, (Thouret et D’Ercole, 1996), nous soulignons l’importance d’autres facteurs. De manière non exhaustive, nous insistons notamment sur le risque de fragmentation du territoire qui limite la réflexion en “bassins de vie” pour privilégier un découpage administratif parfois incohérent dans une perspective de résilience. Nous mettons également en relief les dysfonctionnements partiels et parfois même la faillite généralisée des politiques publiques qui souffriraient d’une absence de vision homogène.

Enfin, nous alertons sur la propension que peuvent avoir les institutions politiques à susciter des aléas, des résistances, d’origine endogène. Nous pointons ici la place des techniciens des collectivités dans l’exercice de la résilience. En effet, il est acquis que les institutions publiques garantissent un fonctionnement stable de l’exercice du pouvoir au-delà de l’alternance politique (continuité et opérationnalité de la force publique). Cependant, nous constatons la grande difficulté des agents de collectivités territoriales à appréhender une culture de la résilience qui pourrait accompagner le positionnement des élus. En effet, il est admis que le rôle de l’administration publique consiste à concevoir puis mettre en œuvre la volonté politique des élus, à travers des plans d’action, des schémas ou des programmes de politiques publiques, Comme le souligne Julien Rebotier (2007), il s’agit alors de mettre l’institution au service de la politique. Or, force est de constater que l’administration a eu tendance, lors des dernières décennies, à se politiser elle même, devenant garante d’un certain conservatisme idéologique favorisant généralement un logiciel durabiliste voire illimististe. Et nous pourrions aller plus loin en soulignant qu’une autre forme de politisation des administrations viserait à les mettre au service de « l’art de faire de la politique » , en tant qu’activité de conquête et conservation du pouvoir. Ainsi, lorsque l’enjeu politique passe avant la fonction de l’institution, celle-ci perd sa raison d’être et joue même un rôle contre-productif dans la construction de la résilience territoriale.

Toutefois, nous terminerons en soulignant qu’il faut se garder d’accabler systématiquement l’appareillage institutionnel et de sous estimer l’importance et la détermination des politiques publiques territoriales dans la promotion de la résilience. Aussi, la précarité structurelle des institutions, de leur modèle d’organisation, n’est qu’une des variables déterminant la vulnérabilité des territoires, car le relais des politiques résilientes doit également se faire par l’intermédiaire d’autres acteurs que le seul acteur public. Il est donc nécessaire, selon nous, d’accompagner le territoire en favorisant la mise en dialogue de ses ressources (les acteurs de la recherche, des collectivités, du tissu associatif, du tissu économique etc.). Pour l’exprimer clairement, la résilience territoriale met au jour la nécessaire émergence massive d’une ingénierie sociale innovante. En effet, si l’on maîtrise aujourd’hui les modélisations, les perspectives d’actions et les différents scénarios favorables à la réalisation d’un territoire résilient, nous restons dans l’expectative de la mise en œuvre de cette stratégie soumise à la résistance du facteur humain. Ainsi, nous soulignons l’importance de mettre en œuvre une ingénierie s’appuyant sur le couplage de deux dynamiques.

Tout d’abord, la mise en œuvre d’une ingénierie socio-territoriale favorisant la traduction entre les acteurs du territoire et favorisant ainsi les espaces de dialogue constructifs mettant au jours les frontières et les désaccords. Puis, dans une second temps, nous appuyons l’idée que l’ingéniérie socio-territoriale doit faciliter la mise en œuvre de dynamiques praxéologiques favorisant la transformation des acteurs dans un processus de co-construction fécond. Bref, stratégiquement la faculté de résilience d’un territoire se joue dorénavant dans le champ des sciences humaines car les sciences naturelles et leurs constats butent, depuis plus de 50 ans, sur les facteurs psychologique, sociologique, culturel et historique de l’Humanité.

Conclusion

Le Covid-19 est incontestablement une maladie des temps modernes, une maladie de la mondialisation, de notre système thermo-industriel et libéral mortifère. Ainsi, comme le souligne Serge Morand, quand le virus sera enfin maîtrisé et la tempête passée, il faudra prendre acte de cette « crise de l’écologie qui a entraîné une crise sanitaire, sociale et économique » et passer « dans le nouveau monde ». Notre mission est donc là, et elle est passionnante. Dès lors, il nous faut éclairer le présent pour laisser apparaître les reliefs d’un futur souhaitable car l’état du monde présent contient en puissance les états du monde futur. Mais il contient aussi des germes microscopiques, qui se développeront, et qui sont encore invisibles à nos yeux.

Bref, comme le souligne Edgar Morin, le futur se forgera alors dans un cocktail inconnu entre le prévisible et l’imprévisible. Ainsi, durant les prochains mois, les territoires devront trouver des solutions aux problèmes prévisibles, tout en acceptant le surgissement de catastrophes imprévisibles qui mettront à l’épreuve leurs facultés de résilience. Et il n’y aura pas de solutions à chercher dans le fantasme des miracles technologiques. La résilience territoriale sera un processus construit socialement qui mettra à jour le logiciel démocratique pour plus de reliance, et qui poussera les élus à devoir entrer en résistance face au risque d’un « retour à la normale ».

Notes

[1] Le principe de rétroaction et un principe systémique suivant lequel les effets agissent sur les causes, les renforcent ou les inhibent.

[2]« Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » (Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005). « La politique de sécurité civile doit permettre de s’attaquer résolument aux risques en les anticipant davantage, de refonder la protection des populations et de mobiliser tous les moyens encourageant les solidarités.» (Loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile)

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Woodcock A., Davis M., 1984, La théorie des catastrophes, L’âge d’homme, Lausanne, 162p

Texte écrit par les membres de l’équipe du Centre de R&D et Transfert en Innovations Sociales Clermont-Auvergne (CISCA) et plus particulièrement Pierre Friedrich, Lancelot Fumery et Nicolas Duracka, avec Geoffrey Volat, doctorant en sciences de la communication à l’Université Clermont Auvergne, laboratoire Communication et Sociétés.

Publication originale : resiliencecommune.fr


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