Depuis quelques semaines, les manifestations se sont multipliées aux Antilles françaises et dans l’Hexagone contre l’impunité face aux impacts sanitaires et environnementaux du chlordécone. Un scandale d’État qui court depuis près de 50 ans, sans que justice n’ait été rendue. Mais connaissez-vous vraiment cette affaire ? Mr Mondialisation fait le point pour vous. 

Le chlordécone est un pesticide organochloré cancérogène, perturbateur endocrinien, spermato-toxique et neurotoxique. Breveté au début des années 1950 aux États-Unis, il est présenté en France en 1968 devant la Commission des toxiques qui le refuse à plusieurs reprises pour sa grande toxicité… jusqu’en 1972, date de sa légalisation, afin de lutter contre le charançon du bananier en Martinique et en Guadeloupe. D’autres solutions agroécologiques étaient envisageables à ce moment-là, déjà développées en Jamaïque ou au Cameroun, mais elles sont moins rentables pour les industriels. Son usage est donc un réel choix de la part de ces derniers.

L’usage et la commercialisation du pesticide sont interdits en 1993. Pourtant, les conséquences de son utilisation sont toujours d’actualité : aujourd’hui, 95% des Guadeloupéens et 92% des Martiniquais sont empoisonnés au chlordécone, soit en moyenne 9 Antillais sur 10.  C’est en Martinique où les taux de cancers de la prostate sont les plus élevés au monde. Quant aux terres, 50 % d’entre elles sont empoisonnées pour des siècles : jusqu’à 700 ans, selon les sols. La contamination est donc globale : après les sols des bananeraies, elle s’est étendue aux cours d’eau de surface et aux nappes phréatiques, puis à la mer. Les végétaux, les animaux terrestres et marins, ainsi que les oiseaux sont touchés. Chez les femmes enceintes, le chlordécone est présent dans leur sang, dans leur graisse, dans leur lait, mais aussi dans le sang du cordon ombilical…

Si les usages de ce pesticide n’ont pas seulement concerné la France, c’est bel et bien aux Antilles que sont nées les premières revendications à son encontre. Parmi les onze revendications de la grève du 14 février 1974 menée par les ouvriers agricoles martiniquais, l’une d’entre elles portait sur la suppression totale des produits toxiques (cf le documentaire Chalvet. La conquête de la dignité, Camille Mauduech). Pourtant, malgré de nombreux rapports, études scientifiques et déclarations politiques, il semble que justice ne soit toujours pas rendue en 2021, soit 47 ans après la grève de 1974. Si l’on compare cette affaire avec d’autres affaires de santé environnementale telle que l’amiante, qui concernait aussi des ouvriers en premier lieu, on observe que la politisation et la judiciarisation de l’affaire chlordécone ont été bien plus lentes. Sans doute faudrait-il creuser le rapport colonial qu’entretient l’Hexagone avec les « départements » d’Outre-Mer pour comprendre cette différence de traitement ? Près de 50 ans après la légalisation du chlordécone en France, Mr Mondialisation fait le point sur ce véritable scandale d’État. Dossier. 

De l’indifférence à une (timide) prise en compte dans la législation d’une menace connue de longue date

Bananiers Antilles @Flickr

Un risque sanitaire et environnemental connu depuis les années 1960 

Dès 1962, des études scientifiques mettent en exergue la dangerosité du chlordécone. Mais c’est surtout l’année 1975 qui est retenue comme date-clé : une usine de production du Kepone (autre nom du chlordécone), en Virginie, ferme suite à une pollution significative de l’usine et aux effets toxiques aigus constatés chez les ouvriers. L’année suivante, les États-Unis interdisent le produit. En France, les ouvriers s’insurgent dès 1974 mais le chlordécone ne sera interdit que vingt ans après, en 1993. Malcolm Ferdinand, chercheur au CNRS, a d’ailleurs démontré dans ses recherches les différences de traitement de l’affaire du chlordécone en France et aux États-Unis.

Au-delà de l’interdiction aux États-Unis, d’où la France tirait la majorité de son chlordécone importé, de nombreux rapports et études n’ont cessé d’alerter quant aux impacts sanitaires et environnementaux de l’utilisation du pesticide

  • 1977 : le rapport Snégaroff, issu d’une mission de l’INRA chargée d’étudier les problèmes de pollution par les pesticides dans les zones bananières du sud de la Grande-Terre, conclut à l’existence d’une pollution des sols des bananeraies et des milieux aquatiques environnants par les organochlorés.
  • 1979 : la classification du chlordécone par le Centre International des cancers comme cancérogène probable.
  • 1980 : le rapport Kermarrec soulignait la bioaccumulation des organochlorés dans l’environnement. Il relevait notamment l’accroissement de la concentration en perchlordécone dans la chaîne alimentaire, et attirait l’attention sur la nécessité d’effectuer des recherches sur une molécule voisine, le chlordécone, afin de cerner avec précision sa présence dans l’environnement.
  • 1999 et 2000 : présence de chlordécone détectée dans l’eau du robinet des Guadeloupéens et des Martiniquais (rapport d’étude menée par la DSDS de Martinique). Puis, en 2002, un rapport met en évidence la contamination des légumes racines de grande consommation, du lait et des poissons d’eau douce.
  • 2004 : la Convention de Stockholm établit une liste de polluants organiques persistants (POP) qui ne doivent plus être produits, importés et exportés. Le chlordécone y est inscrit en 2005.
  • 2005, rapport d’information du député guadeloupéen Joël Beaugendre : la pollution globale des biotopes de Guadeloupe et de Martinique est enfin reconnue publiquement par les hommes politiques locaux et nationaux.

Une réglementation en demi-teinte

Malgré toutes ces alertes, le produit est légalisé de 1972 à 1990 en France. En 1990, suite aux propos tenus par la Commission des toxiques en 1989 en faveur de l’interdiction du chlordécone, considéré comme un insecticide « persistant » et « relativement toxique », le produit est interdit. Or cette interdiction ne concerne que la France hexagonale : sous pression de planteurs, d’industriels et de certaines personnalités politiques, deux dérogations permettent de prolonger l’utilisation des stocks jusqu’en 1993, où il est (enfin) interdit dans les Outre-Mer. Les quantités de chlordécone récupérées lors des premières collectes et la détection de sa présence dans les produits de grande consommation, en 2002, sont telles qu’elles laissent suspecter des achats frauduleux postérieurs à 1993 ainsi que la poursuite de l’utilisation de ces pesticides par les békés (du nom des Blancs créoles, descendants des colons, qui détiennent la majorité des terres agricoles et supermarchés aux Antilles).

Crédits photo : RCI Martinique

Face au nombre croissant d’études et rapports, les autorités françaises aux Antilles françaises décident de prendre des mesures adaptées d’octobre 2003 à septembre 2005 : trois arrêtés préfectoraux mettent en œuvre un principe de précaution absolu (analyses préventives des sols, interdiction de pêche et commercialisation dans plusieurs communes), lequel va être largement dégradé lors de la prise en compte de la problématique dans la législation nationale puis européenne. En effet, suite à la publication du rapport d’information du député J.Beaugendre, l’affaire suit un réel décloisonnement territorial et le problème commence à être publicisée en Hexagone. Sous les conseils de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA), d’octobre 2005 à juin 2008, des limites maximales de résidus (LMR) sont mises en place. Autrement dit, l’AFSSA « donne le feu vert pour la consommation par les Guadeloupéens de produits contaminés au chlordécone » (Philippe Verdol). Leur consommation n’est plus interdite, elle est permise dans une certaine fourchette. Quant à la législation européenne, il n’y a pas vraiment de quoi se réjouir non plus. Philippe Verdol montre cela à travers deux exemples : 

  • Certes, des LMR moins élevées que celles appliquées par le droit français sont mises en place, or cette législation est discriminante à l’égard des consommateurs de produits antillais (donc en majorité les populations antillaises) par la fixation des seuils établis. Le règlement du 29 janv 2008 comporte un vice de forme, dans la mesure où il contrevient au principe d’isonomie (égalité de tous les justiciables devant la loi) : les LMR sont plus élevées pour les catégories d’aliments que l’on sait contaminées, et majoritairement consommées aux Antilles. Par exemple, alors que la LMR est de 10µg/kg pour la betterave sucrière, elle est de 20µg/kg pour la canne à sucre.
  • Quant aux LMR de chlordécone dans l’eau de boisson humaine, la limite maximale est fixée à 0,1 μg/l (AFSSA, 2005). Or la directive 98/83/CE du Conseil du 3 novembre 1998 prévoit que les pesticides considérés isolément ne doivent pas dépasser 0,10 µg/litre ; à l’exception de quatre pesticides organochlorés (l’aldrine, de la dieldrine, de l’heptachlore et de l’heptachloroépoxyde), de la même famille que le chlordécone, pour lesquels la limite est de 0,03 μg/L. Pourtant, la LMR appliquée au chlordécone demeure trois fois supérieure. 

C’est la même année, en 2008, que la France décide de mettre en œuvre le 1er plan chlordécone. Celui-ci met notamment en place le programme Jardins Familiaux (JAFA), qui vise à réduire l’exposition au chlordécone des populations qui vivent en zone contaminée et qui s’alimentent régulièrement à partir de jardins créoles ou de circuits courts de distribution. Alors que les résidus de pesticides atteignent ou excèdent jusqu’à 10 fois le seuil européen, la France continue de recommander, à travers ce programme, à ses ressortissants antillais de poursuivre la consommation de produits contaminés ! 

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A défaut d’une reconnaissance juridique, la reconnaissance politique de la responsabilité de l’État

Vers un non-lieu de l’enquête pénale de 2006 ? 

En 2006, des associations martiniquaises et guadeloupéennes, ont déposé plainte contre X pour « mise en danger d’autrui et administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l’intégrité physique d’autrui » auprès du tribunal de la santé à Paris. L’enjeu de cette enquête pénale ? Déterminer les responsabilités. De cette plainte et notamment de l’argumentaire des avocats qui accompagnent les associations, il ressort que la responsabilité est imputée à trois types d’acteurs : 

  • l’État français, dans l’attribution des dérogations successives qui ont conduit à l’utilisation de la molécule, jusqu’en 1993, en Guadeloupe et en Martinique, et ce, contre l’avis de toutes les autorités sanitaires de l’époque et alors même qu’il était interdit en France hexagonale.
  • les donneurs d’ordre privés : importateurs, distributeurs, revendeurs et les groupements de planteurs, c’est-à-dire les békés.
  • les fonctionnaires et décideurs politiques, pour inaction.
Crédits photo : RCI Martinique

Pourtant, quinze ans plus tard, l’enquête n’a toujours pas abouti. Ce 20 janvier 2021, les parties civiles ont été auditionnées par la Cour d’appel de Paris, afin de préciser le fondement juridique et la cible de la plainte (i.e. établir les responsabilités, désigner les coupables, réparer le préjudice subi et indemniser les victimes). Or les juges d’instruction ont laissé entendre la très forte probabilité que l’affaire se solde par… un non-lieu, c’est-à-dire l’abandon de toute action judiciaire. Et ce pour deux raisons. D’une part, la disparition des preuves : une partie des archives du ministère de l’agriculture a disparu en 2005, peu après le décloisonnement de l’affaire au niveau national, notamment les comptes rendus de réunion de la Commission des toxiques. D’autre part, le délai de prescription. Les faits remontent à 1993, date de la suppression de l’autorisation de mise sur le marché du Curlone (Chlordécone). Le délai de prescription pour un crime étant de 10 ans au moment de la réalisation de l’infraction, les faits seraient donc prescrits à compter de 2003 or la plainte a été déposée en 2006. Cependant, les avocats des parties civiles contestent fermement cette hypothèse puisque plusieurs faits qui révèlent des infractions occultes, viennent interrompre ladite période de prescription, notamment des infractions ayant fait l’objet de procès-verbaux dont la justice ne retrouverait plus les traces :

« En droit français, lorsque les faits sont dissimulés, le délai de prescription ne court qu’à compter de la révélation des faits. Or, on nous dit que les recherches continuent pour établir de façon indiscutable le lien entre cancer de la prostate et chlordécone », explique Me Durimel.

Le président du Crefom ajoute également qu’ « il n’y a pas de prescription pour les crimes contre l’humanité. »

Une responsabilité étatique reconnue sur le plan politique

Bien que les responsabilités ne soient pas encore établies au niveau juridique, il y a tout de même des avancées sur le plan politique. En septembre 2018, Emmanuel Macron a reconnu symboliquement la responsabilité de l’Etat français dans ce qu’il nomme un « scandale environnemental ». L’année suivante, une importante commission d’enquête parlementaire est mise en œuvre : 

Aperçu de la page dédiée à la Commission d’enquête sur le site de l’Assemblée nationale

Après six mois d’auditions et 150 personnes interrogées, le rapport de la Commission établit début décembre 2019 que l’État est le « premier responsable » du scandale du chlordécone aux Antilles. Il évoque également la nécessité de prendre des mesures quant aux conséquences économiques, sociales et environnementales du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe. Certaines d’entre elles ont vu le jour récemment : 

  • l’amélioration de la prévention et la recherche scientifique pour mieux connaître les impacts sur la santé et trouver des solutions pour dépolluer les sols.
  • un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides : créé par la Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 (article 70), le fonds est pleinement opérationnel depuis le 30 novembre 2020. Il vient indemniser les retraités agricoles exposés, exploitants agricoles, et enfants exposés pendant la période prénatale et qui ont développé une pathologie. Or ce fonds n’est pas accessible à tous. Pour en bénéficier, il faut un certificat médical attestant que la maladie est due à la profession exercée. Tout le monde n’en a pas. De plus, il est possible de déclencher une pathologie sans avoir exercé (en mangeant ou buvant du contaminé, par exemple), ou de vivre dans l’angoisse de déclencher une pathologie quand on sait que 9 Antillais sur 10 ont du chlordécone dans le sang… 
  • la gratuité du dépistage de taux de chlordécone dans le sang  en Martinique : annoncée le 2 mars 2021 par l’ARS de Martinique, cette mesure concerne d’abord 1000 personnes prioritaires (ouvriers agricoles et les femmes enceintes ou en âge de procréer) et s’élargira ensuite au reste de la population martiniquaise. Une réelle avancée, qui n’est pourtant pas sans limites : qu’en est-il de la détection des autres pesticides, tel que l’asulame, pesticide interdit en Hexagone mais qui bénéficie de dérogations pour la culture de canne à sucre aux Antilles françaises ? Et ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. 
  • le 4e plan chlordécone (2021-2027), lancé le 24 février 2021 après une consultation en ligne : avec un budget de 92 millions d’euros, il doit permettre de poursuivre « les mesures déjà engagées pour réduire l’exposition des populations à la pollution par le chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, ainsi qu’à déployer des mesures d’accompagnement », selon un communiqué interministériel. Les associations dénoncent le montant alloué, encore trop faible pour réparer c’est-à-dire décontaminer, dépolluer et soigner l’ensemble des personnes touchées.

Face à l’insuffisance des mesures prises par l’État, les populations martiniquaise et guadeloupéenne s’organisent 

Lancement d’une action collective pour préjudice moral d’anxiété

Compte tenu de la lenteur de l’enquête pénale de 2006, de l’impossibilité d’obtenir des informations en raison du secret de l’instruction et du fait que les personnes exposées (soit 9 Antillais sur 10) craignent pour leur santé et celles de leurs proches sans nécessairement avoir développé une pathologie, deux avocats ont eu l’idée de mettre en place une action collective aux côtés de deux associations et d’un collectif. 

« Je ne connaissais pas le dossier CHLORDÉCONE. Après des recherches en France et aux USA, il est apparu que nous avions affaire à un cas d’école pour une action collective : 92 % de la population des Antilles ont été exposés à un pesticide dont la dangerosité est connue au moins depuis 1960. », C.Leguevaques, avocat toulousain spécialisé dans les actions collectives

Déposée en juillet 2019, cette action collective – qui s’adresse à toute personne ayant résidé plus de 12 mois aux Antilles depuis 1972 (date d’autorisation légale du chlordécone) – a rassemblé 2330 participants. L’objectif ? Que la justice française reconnaisse les carences de l’État dans son utilisation de son pouvoir de police et que ce dernier soit condamné à verser 15 000 euros, à chaque requérant au titre du préjudice moral d’anxiété. Alors que le fonds d’indemnisation mis en place en novembre dernier n’est accessible qu’à un groupe de personnes particulier, indemniser ce préjudice moral permettrait de prendre en compte l’ensemble des populations martiniquaise et guadeloupéenne. Celles-ci sont dans une situation d’anxiété permanente, accentuée par les messages anxiogènes et contradictoires des autorités, et c’est à ce titre qu’elles pourraient obtenir une indemnisation. Si elles sont malades, elles pourraient, dans une seconde procédure, réclamer l’indemnisation de leur préjudice corporel. L’un n’exclut pas l’autre. L’indemnisation pour préjudice moral d’anxiété n’est pas nouvelle en droit français : elle a été mise en place en 2016 (CE 9 nov. 2016, n° 393108) et en 2017 (CE 3 mars 2017, n° 401395), respectivement dans les affaires du Mediator et de l’amiante. 

Cette action collective ne se substitue ni ne perturbe l’enquête pénale en cours, qui a pour but de sanctionner les coupables. Elle vise à répondre aux attentes des populations : autrement dit, obtenir réparation. 

Crédits photo : AFP

Des recherches juridiques et scientifiques à la nécessité  de penser l’après-chlordécone à travers le rapport entretenu par l’Hexagone avec les « départements » d’Outre-Mer

Si la possible prescription de l’affaire est très mal reçue en Martinique et en Guadeloupe, c’est moins le fait de savoir qui sera condamné que qui va réparer qui préoccupe les populations. Qui va décontaminer ? Dépolluer ? Prendre en charge les soins ? 

A propos de la dépollution des sols, les recherches scientifiques n’ont cessé de progresser. Mais concrètement, comment la mettre en place ? Sur le plan juridique, bien que de nombreuses personnes évoquent un « écocide » ou un « préjudice écologique », aucune procédure n’a été mise en œuvre. Pourtant, si l’existence d’un préjudice écologique était reconnue, cela permettrait aux populations d’obtenir une réparation autre que celle attribuée par le préjudice d’anxiété. Le préjudice écologique permet à toute personne physique ou morale de demander une réparation pour des dommages causés aux ressources naturelles et au vivant non commercial, indépendamment des préjudices individuels matériels ou moraux causés aux personnes. Quant à l’écocide, s’il était reconnu comme un crime relevant de la Cour Pénale Internationale – ce qui n’est pas le cas -, il serait imprescriptible. Si le chlordécone était reconnu comme un écocide par la suite, cela permettrait donc de surmonter l’argument du délai de prescription avancé par les juges d’instruction ! Argument que l’on peut également dépasser via la reconnaissance d’un crime contre l’humanité, ce qui n’est pas impossible quand on sait que plus de 90% des populations vivant aux Antilles françaises sont contaminées au chlordécone. Ces réflexions, en droit prospectif notamment, montrent que la reconnaissance du préjudice écologique et du crime d’écocide seraient bel et bien complémentaires pour obtenir réparation.

Néanmoins, le droit n’est qu’un des outils à disposition pour obtenir réparation. Penser l’après-chlordécone, notamment les questions de résilience et d’autonomie alimentaire, de participation des citoyens aux processus de décision, de réappropriation des terres suppose de remettre en question « l’habiter colonial » (Malcolm Ferdinand, Une écologie décoloniale – Penser l’écologie depuis le monde caribéen). Autrement dit, une occupation des terres sous la forme de monocultures d’exportation qui n’ont pas vocation à nourrir les habitants des îles qui, pourtant, en subissent les violences. Pour enrayer cette « constitution coloniale » (i.e., une économie  qui n’est pas capable de nourrir ses habitants aux Antilles, car basée à 90% sur l’exportation), les solutions techniciennes ne suffisent pas. La crise du chlordécone est avant tout sociale. C’est pourquoi le chercheur invoque la nécessité de mener des recherches, en parallèle de celles engagées aux niveaux scientifique et juridique, sur le plan social et anthropologique. L’objectif ? Cerner les problèmes qui sont à la racine des comportements, y compris de production, et trouver des solutions. Selon lui, une commission mixte avec pouvoir décisionnaire, associant des sociologues, des philosophes, des dirigeants d’associations, des responsables politiques est indispensable pour formuler un projet viable pour l’après-chlordécone. Point totalement éludé par les précédents plans chlordécone … à moins que le plan IV se saisisse de cette problématique.

-Enquête menée par Camille Bouko-levy

Si le sujet vous intéresse, nous vous recommandons la lecture de la bande-dessinée Tropiques Toxiques ainsi que l’ouvrage Une écologie décoloniale – Penser l’écologie depuis le monde caribéen :

 

 

 

 

 

 

 

 


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