Fin février, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) publiait deux nouveaux rapports accablants concernant la production et la consommation de viande en France. Malgré la diminution de la taille des cheptels depuis le début du millénaire, la consommation de viande est 50% plus élevée qu’en 1970 et continue de croitre, par le biais des importations. À ce rythme, l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 n’aurait aucune chance d’être atteint. Décryptage.
Il n’est plus rare aujourd’hui de croiser, au détour d’une rue, un restaurant « exclusivement végan », d’entendre ses proches parler de « flexitarisme » ou de tomber nez-à-nez avec le rayon végétarien bien rempli de notre supermarché. Cette tendance semble s’être infiltrée dans tous les domaines de notre vie, de la table familiale à la cantine scolaire, en passant par les restaurants entre collègues : près de la moitié des français déclarent aujourd’hui avoir réduit leur consommation de viande et plus d’un tiers d’entre eux assurent être prêts à la réduire davantage. Autant d’éléments qui laissent à penser qu’un véritable mouvement est en marche… Qu’en est-il vraiment ?
Du champs à l’assiette : vers un monde plus vert ?
Parallèlement à cette transition alimentaire, la production de viande se transforme également : les troupeaux français subissent une baisse significative de leur taille depuis plusieurs année. « C’est particulièrement vrai pour le cheptel des vaches laitières, qui a réduit de 17 % entre 2000 et 2020 », assurent les experts qui constatent également des baisses substantielles pour les volailles de chair (de l’ordre de 10% en 2020 par rapport à 2000) et pour la filière porcine (-12 % de truies entre 2010 et 2020 et quasiment 1 million de porcs en moins sur la même période). Le constat est clair : à partir du début du millénaire, la taille des cheptels français s’est considérablement réduite.
Alors que les régimes carnés sont 59 % plus émetteurs de gaz polluants que les régimes végétariens et que l’élevage est responsable de 69 % des émissions de l’agriculture française, ces nouvelles tendances apparaissent plus que prometteuses pour espérer atteindre les objectifs environnementaux et climatiques fixés par la France et l’Union européenne. Non ?
Back to reality
Derrière cette apparente simplicité se cache en réalité un constat bien moins attrayant : « au rythme actuel, aucune des cibles de consommation durable de viande évoquées dans les scénarios de neutralité carbone n’a de chances d’être atteinte d’ici 2050 », assure l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE). Fin février, l’institut de recherche à but non lucratif – qui contribue par ses analyses au débat sur les politiques publiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique – publie deux rapports glaçants sur l’avenir de l’élevage français et la consommation de viande des citoyens du pays.
Bien loin des images surfaites des publicités vantants les mérites d’une agriculture transformée et des consommateurs ravis d’adapter leurs habitudes alimentaires, les chiffres révélés dessinent une toute autre réalité…
Malgré les apparences, la consommation de viande ne cesse d’augmenter !
En fait, la consommation de viande n’a jamais été aussi importante, malgré les affirmations prometteuses des Français. « Depuis 2013, l’augmentation des quantités totales de viandes reprend à nouveau sous l’impulsion des quantités individuelles consommées qui repartent légèrement à la hausse (+2 %), et comme toujours, de la croissance démographique (+3 %) », détaillent les chercheurs.
Et pour cause, si elle a changé de nature, la place de la viande dans les régimes alimentaires des Français n’a pas considérablement évolué et tourne toujours autour de 80 kgec/an/pers (kilogramme équivalent carcasse par habitant et par an). Le changement le plus notable est certainement la substitution opérée des viandes bovines vers la viande de volaille depuis les années 90. « Cette substitution est souvent expliquée dans la littérature par le prix plus faible de la viande de volaille par rapport au bœuf et au porc qui étaient les viandes dominantes dans les années 1960 » explique le rapport.
La volaille ne résoudra pas tous nos problèmes
Si ce choix est également de plus en plus plébiscité dans le discours publique pour des raisons environnementales, il n’est pas aussi imparable qu’il n’y parait. Si elle ne s’accompagne pas avec une baisse totale de la consommation de viande, l’augmentation du nombre de volailles consommées et élevées revient « ainsi soit à réduire encore davantage les surfaces directement dédiées à l’alimentation humaine soit à importer davantage d’alimentation animale souvent associée à la déforestation », détaille le rapport, qui souligne que « plus de la moitié des protéines consommées par les volailles françaises sont importées, et consistent principalement en des tourteaux de soja ».
Au delà du glissement observé vers la viande de volaille, l’augmentation de consommation de viande s’explique aussi par de nouvelles habitudes de consommation. D’une part, « sur la période 2009-2018, la part de repas pris en restauration hors domicile est restée relativement stable (15 % environs) tandis que les quantités de viandes consommées lors de ces repas a augmenté de 5 % ».
D’autre part, la quantité de viande consommée dans des plats préparés, snacks et produits transformés (sandwiches, pizzas, cordon bleus, quiches, sauce bolognaise, etc.) a augmenté de 9 %. Selon les chercheurs, cette évolution est ici aussi particulièrement marquée sur les viandes de volailles : « sur la période 2015-2019, les quantités de viandes de poulet vendues au détail ont augmenté de 3 %, celles destinées à la restauration de 14 %, et celles destinées à l’industrie de la transformation de 23 % ».
Un enjeu économique et social sans précédent pour les éleveurs
Cette augmentation de la consommation des volailles ne va pas de paire avec un accroissement de la production française. Au contraire, comme toutes les filières d’élevage, le production des dindes, poulets et autres volatiles s’écroule. Pourtant, une bonne coordination entre la diminution de la production d’un côté et de la consommation de l’autre est primordiale :
« Si la production diminue pour satisfaire des objectifs climatiques et environnementaux, mais que la consommation ne suit pas, alors les importations augmentent, et leurs parts de marché diminuent sans bénéfices climatiques ou environnementaux. Et c’est effectivement ce qui est en train de se produire sur certains marchés, notamment celui de la volaille ».
Un enjeu de plus pour les éleveurs qui voient tout leur système économique s’effondrer : « quand un secteur voit son activité baisser, se pose également la question du devenir de ses outils de production actuellement en place et qui vont perdre de la valeur comparativement à un scénario de maintien de l’activité. On parle ici des « actifs à risque » ».
Crise sociale en perspective ?
Les agriculteurs sont en effet nombreux à espérer s’assurer une retraite décente en pariant sur la session finale de leur exploitation, pour laquelle ils ont investit (et se sont souvent très endettés) durant toute leur carrière (construction de bâtiments, achat de machines, agrandissement du foncier,…). Aujourd’hui, le Recensement Général Agricole 2020 (RGA) indique que la moitié des exploitations françaises, toutes productions confondues, sont dirigées par au moins un exploitant de 55 ans ou plus. Ce phénomène est particulièrement marqué en bovins viande (52 %) mais un peu moins dans les filières avicoles et porcines (41 %). Que se passera-t-il lorsque la perspective d’une bonne valorisation de leurs actifs s’effondrera en même temps que la consommation de viande pour ces futurs retraités ?
Sont ajoutés à cela plus d’un milliard d’euros de subventions d’investissement accordées chaque année aux exploitations d’élevage, qui risquent à leur tour de contribuer à augmenter le stock d’actifs à risque des éleveurs.
Avancer main dans la main
Pour pallier ces nombreux défis auxquels le secteur agroalimentaire français est aujourd’hui confronté, l’I4CE plaide pour un certains nombres de mesures d’accompagnement censées garantir une cohérence bénéfique sur le plan environnementale entre production et consommation de viande. Une chose est certaine : « tous les scénarios de transition misent sur la baisse du cheptel des animaux d’élevage pour atteindre les objectifs climatiques ». Or en France la plupart des cheptels diminuent déjà.
« L’enjeu n’est donc pas seulement de poursuivre cette dynamique, mais aussi de l’accompagner pour assurer une transition juste et acceptable aux éleveurs et aux acteurs des filières d’élevage » tout en assurant en corrélation une baisse de la consommation. Les experts misent d’abord sur un recalibrage des aides publiques destinés aux agriculteurs pour éviter le surinvestissement et favoriser la réorientation des outils de production compatibles avec les objectifs de durabilité.
Ensuite, au niveau des consommateurs, un accompagnement franc et sérieux de la baisse de la consommation de viande doit voir le jour. « Nous identifions trois grands axes : changer l’offre alimentaire (en restauration et en distribution), changer les représentations sociales (via la publicité, les programmes scolaires, télévisés, etc.) ou encore changer la fiscalité et la réglementation (via par exemple une réforme de la TVA sur les produits alimentaires) ».
Pour cela, encore faudra-t-il une fois pour toute oser lever le tabou de la baisse de production dans les filières d’élevage, et peut-être à plus grande échelle celui de la décroissance…
– L.A.
Photo de couverture tirée d’une enquête de L214 dans un élevage des Pays de la Loire produisant du poulet pour l’entreprise Arrivé (marque Maître CoQ), l’une des filiales du géant LDC.