Géante polaire, migratrice, chanteuse hors pair à la longévité hors norme, la baleine boréale n’a seulement que quelques prédateurs dans le règne animal : L’orque… et l’humain. Quelques études se sont penchées sur l’impact du dérèglement climatique sur les baleines boréales. Synthèse.

Quels sont les impacts du dérèglement climatique – et donc de l’être humain – sur la baleines boréales ? Outre l’influence sur les schémas migratoires, la disparition des glaces de mer induit un danger pour les milieux polaires délicats dont dépendent nombre d’espèces.

L’humain, un des prédateurs des baleines boréales. (1876) Treasures of the Deep : a Descriptive Account of the Great Fisheries and Their Products, London: Nelson and Sons, p. 389. Wikicommons.

Migration modifiée chez les baleines « Béring- Tchoucktches- Beaufort »

Grâce à diverses méthodes de mesure (marquage satellite, surveillance acoustique, …) les schémas migratoires de ces baleines ont été établis : Après un hiver au Nord-Ouest de la mer du Béring, les cétacés remontent au début du printemps en mer des Tchouktches et à l’Ouest de la mer de Beaufort par le détroit de Béring.

En mai et juin, elles continuent leur chemin à l’Est de la mer de Beaufort, dans sa version canadienne, pour y passer l’été. Les mois d’août à octobre sont consacrés à se diriger de nouveau vers la péninsule de Tchoukotka (Russie), avant de migrer plus au Sud, à travers le détroit pour hiverner en mer de Béring.

Représentation cartographique de la migration normale des baleines boréales « BCB ». Source : International Whaling Commission

Au cours d’un suivi acoustique réalisé entre 2009 et 2021, plus de 22 000 heures de chants de baleines ont été enregistrés au Nord du détroit de Béring, en mer des Tchouktches, permettant de déterminer la présence ou l’absence des individus aux alentours de ce couloir migratoire classiquement emprunté pour les passages vers le Nord (printemps) et vers le Sud (automne).

Ces mesures réaffirment la corrélation entre l’étendue de glace et la migration des baleines boréales.  Une glaciation plus importante en mer des Tchouktches pousse les grands cétacés à migrer plus tôt vers le Sud, et, inversement, lorsque la glaciation est faible, les rend susceptibles de rester plus longtemps dans leurs lieux de nourrissage estivaux au Nord.

En hiver, l’absence plus ou moins longue des cétacés à proximité du détroit de Béring signifie qu’ils ont dû migrer plus au Sud en raison d’une glaciation plus étendue. Dans ce contexte, le suivi réalisé ne laisse aucun doute : depuis 2011, les durées d’absence des baleines en hiver ont décru significativement, laissant entrevoir la diminution des étendues de glace en mer de Béring.

La migration suit donc la glaciation à travers le détroit, car leur alimentation dépend des écosystèmes liés à la glace de mer.

Evolution de la durée d’absence des baleines au Nord du détroit de Béring. Plus il y a de glace dans leurs lieux d’hivernage (mer de Béring), plus loin au Sud elles doivent migrer, plus longtemps elles seront absentes au niveau du détroit. La diminution significative montrée sur la courbe est témoin de la fonte des glaces source : Movement Ecology

Bien que familières des milieux glacés (sa tête est capable de casser 60 à 80 cm de glace), la baleine boréale évite généralement les régions complètement recouvertes de glace, souvent très épaisse et consolidée, afin de pouvoir respirer. Alors qu’en temps « normal », le détroit se referme, lorsqu’en hiver, une couche de glace épaisse et consolidée se forme en mer des Tchouktches, la fonte des glaces changent la donne, et la baleine doit s’adapter.

L’hiver 2017-2018 a vu les migrations vers le Nord se terminer dès le 23 avril (ces migrations se terminent normalement à la fin du mois de mai, un décalage de 1 mois a donc été observé). L’année suivante, des preuves acoustiques ont montré que certaines baleines avaient hiverné dans le golfe d’Amundsen et à l’Est de la mer de Beaufort. Soit leur habitat d’été.

 » LES BALEINES MIGRERONT ENCORE, MAIS PLUS AU NORD. POUR L’INSTANT, ELLES SE NOURRISSENT BIEN DANS CES CONDITIONS,  MAIS NOUS NE SAVONS PAS SI CELA DURERA. LES CHOSES CHANGENT SI RAPIDEMENT QUE NOUS N’AVONS PAS DE POINT DE COMPARAISON. CHAQUE ANNÉE EST DIFFÉRENTE.  » KAthleen Stafford, professeure associée à l’institut des mammifères marins de l’université Oregon State University

Évolution des étendues de glace en mer de Béring au mois d’avril depuis 2013 – source : NOAA

Les conséquences multiples de la déglaciation

La fonte des glaces permet la chasse des baleines boréales par les orques, qui se sont vu offrir de nouveaux territoires de chasse, et de nouvelles proies. Les premières photographies de carcasses de ces cétacés datent de 2012, alors que les enquêtes visuelles durent depuis 30 ans. Ce phénomène est donc lié au recul de la banquise, lui-même lié au dérèglement climatique d’origine anthropique.

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La fonte des glace permet également l’arrivée de bateaux (trafic maritime, pêche commerciale) sur les mers habitées par les baleines boréales, d’ordinaire largement inaccessibles en raison des glaces. Lorsque les cétacés et les bateaux naviguent les mêmes routes, les risques de collision s’accroissent, ainsi que le piégeage dans des filets de pêches et l’exposition aux nuisances sonores. Le chant des baleines, essentiel à la communication, à la stratégie reproductive et à l’orientation, sera alors perturbé.

 

La déglaciation menace également les baleines boréales sur le plan alimentaire. Selon une étude, « la présence de la glace de mer entraîne une forte activité biologique dans les régions polaires »Le zooplancton, essentiel aux écosystèmes de la région, constitue l’alimentation de base des baleines boréales. Petits invertébrés de quelques centimètres, il se nourrissent du phytoplancton présent en sous-face de la banquise arctique, qui, absente, entraînera les écosystèmes dépendants dans sa disparition.

Meganyctiphanes norvegica, espèce de zooplancton (krill) endémique des mers arctiques, 6 à 7 cm de long, 2g, se nourrit de phytoplancton – Wikimedia

À l’origine, le dérèglement climatique

L’impact climatique d’Homo Sapiens n’est plus à prouver mais à constater. Depuis 1979, les étendues minimales de glaces arctiques ont diminué de 13% par décennie. Si l’on se décale un peu, on apprend que 40 milliards de tonnes de glace sont perdues chaque année en Antarctique.

Selon d’autres études, 28 trillions de tonnes de glace ont disparu en moins de 30 ans. Bien que la fonte des glace soit observée partout dans le monde, la rapidité spectaculaire de ce phénomène aux pôles peut s’expliquer en partie par l’« amplification polaire », phénomène par lequel les températures augmentent plus vite aux pôles que dans le reste du monde.

La fonte des glaces n’est pas le seul témoin de notre violence envers le monde vivant. Alors que sont régulièrement trouvés sur des plages des cétacés morts avec des kilos de plastique dans l’estomac, alors que la pêche outrancière continue, que les espaces sont « utilisés » et les habitats souillés, les océans sont de moins en moins sûrs pour la vie qui l’habite.

– Claire d’Abzac


Photo de couverture de Rod Long sur Unsplash

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