EDF s’est engagée auprès de l’Arabie saoudite à construire une centrale hydroélectrique pour approvisionner la prochaine métropole de Neom. Cette cité « futuriste » érigée en plein milieu du désert pose cependant de multiples problèmes éthiques, notamment d’un point de vue social et environnemental.

Dévoilé par une enquête de France Info, le « projet Nestor » consiste à bâtir une usine capable d’alimenter une partie d’une gigantesque ville sortie de terre au cœur du désert de la province de Tabuk. Une idée que réprouvent pourtant de nombreux salariés de l’entreprise publique puisqu’ils ne veulent pas être associés à la construction de ce monstre dystopique qu’est Neom.

Wikimedia.

La folie des grandeurs

Souhaitée par Mohammed ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite, et actuel premier ministre, la ville de Neom, devrait s’étendre sur 34 km² au sol, tout en offrant une surface habitable de près de 26 000 km² (soit presque autant que la Bretagne), et ce grâce à un déploiement vertical vertigineux. Le tout pour un coût ahurissant de 500 milliards de dollars.

Parmi les quatre entités principales qui doivent composer la cité, on retrouve « la ligne », une construction de pas moins de 500 mètres de haut, 200 mètres de large et 170 km de long ! Un projet délirant dans lequel les promoteurs prévoient des taxis volants pour se déplacer, une automatisation totale gérée par l’intelligence artificielle ainsi qu’un usage généralisé de la reconnaissance faciale.

En plus de cette idée semblant tout droit sortir d’un film de science-fiction, les architectes ont également présenté Oxagon, un port flottant, ouvert sur la mer rouge, censé devenir la plaque tournante de l’industrie locale.

Du tourisme écocidaire pour super riches

Parmi les aberrations environnementales comprises dans le fantasme du prince héritier, on compte aussi Sindalah, une île artificielle de 840 000 m² créée sur la mer rouge. Sur ce complexe pourront se réunir tous les touristes les plus riches du monde qui auront des installations de luxe à leur disposition.

On y trouvera par exemple des hôtels, des clubs de yachts, un port de plaisance, et même un parcours de golf. Une opulence et une déconnexion du réel de la situation planétaire qui n’est pas sans rappeler la ville émiratie de Dubaï, déjà bien connu pour être une destination privilégiée des plus fortunés.

Une station de ski en plein désert

Pour couronner le tout, une station de ski devrait être créée à Trojena, la partie la plus montagneuse de Neom. Et même si quelques flocons peuvent tomber dans une très courte période de l’année à cet endroit, on y observe néanmoins très peu de neige.

Le projet est en tout cas pris très au sérieux, puisqu’avant même d’être sortie de terre, la zone s’est vue confier l’organisation des jeux asiatiques d’hiver de 2029. On devrait y trouver un lac artificiel d’eau douce, des chalets, des villas et des hôtels de luxe.

Pour donner corps à ce fantasme, il sera évidemment indispensable de fabriquer massivement de la neige et de la glace afin de mettre en place les épreuves. Une aberration dans un désert saoudien où les précipitations sont pratiquement nulles. Un problème auquel les autorités comptent remédier en utilisant une gigantesque usine de désalinisation qui s’alimentera directement dans la mer rouge et qui nécessitera un pipeline titanesque pour acheminer l’eau au sommet d’une montagne de 1500 mètres.

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Des autochtones chassés et condamnés à mort

Même si la région est essentiellement désertique, elle abrite tout de même quelques habitants, notamment une partie de la tribu Howeitat installée ici depuis des siècles. Un problème dont ne s’est pas encombré longtemps le gouvernement saoudien.

En effet, malgré une certaine résistance, les occupants les plus gênants ont été chassés de ces terres. Selon la chaîne qatarienne Al Jazeera, près de 20 000 individus seraient menacés d’être expulsés de ces territoires. Un chiffre qui reste néanmoins à prendre avec des pincettes quand on sait la rivalité qui existe entre le Qatar et l’Arabie saoudite. Pour autant, les opposants les plus virulents ont bel et bien été emprisonnés et même exécutés pour certains.

Un besoin colossal en énergie

En outre, pour subvenir aux besoins d’une telle agglomération qui est censée accueillir à terme pas moins de neuf millions d’habitants, il faudra produire une quantité d’énergie colossale. Les instigateurs du projet affirment d’ailleurs que la ville fonctionnera sans émettre aucun gaz à effet de serre.


Gratuit, sans subvention et indépendant depuis 10 ans, nous avons besoin de vous pour continuer ce travail en 2024. Sens-toi libre d’activer un abonnement volontaire sur ce lien en offrant un thé à l’équipe. Merci infiniment.


Pour ce faire, Neom compte utiliser massivement les énergies renouvelables, notamment des éoliennes et des panneaux solaires. Et pour stocker ces énergies intermittentes, la cité devrait se doter d’une centrale hydroélectrique alimentée par de l’eau de mer désalinisée et acheminée par des pipelines.

Désastre environnemental

C’est à cet instant qu’EDF est entrée dans la danse, puisque c’est bien l’entreprise publique française qui sera chargée de bâtir et mettre en marche cette centrale. Une situation qui ne fait pas que des heureux au sein de la compagnie : certains salariés sont très mal à l’aise avec l’idée de travailler sur un tel projet, comme l’explique France Info.

Il faut dire que les belles promesses de créer une ville écologique apparaissent comme pour le moins fantaisistes. Même si, une fois bâtie, la mégalopole ne dégageait pas de gaz à effet de serre (ce qui reste à démontrer), sa construction en tant que telle sera déjà une catastrophe.

Ainsi, un chercheur australien a estimé que la fondation de la cité pourrait engendrer pas moins 1,8 milliard de tonnes dioxyde de carbone, soit l’équivalent de quatre ans des émissions du Royaume-Uni tout entier ! Et c’est sans évoquer le désastre que représente l’artificialisation des sols, la production de béton, ou encore l’extraction des minerais nécessaires à la fabrication d’acier.

La démocratie aux orties

Malgré ces données, la présidence d’EDF ne semble pas trop intéressée par ces opinions et aurait même informé le personnel que cette décision n’était pas ouverte au débat.

« Notre direction nous a fait comprendre que si on voulait avancer professionnellement et financièrement dans l’entreprise, il valait mieux qu’on accepte de travailler sur Neom » témoigne l’un des salariés auprès de la radio française.

Si le fait que les volontés des employés du groupe ne sont pas respectées est déjà hautement discutable, on peut également s’interroger sur l’absence de consultation citoyenne quant à de tels investissements.

EDF étant, en effet, une société publique, censée avant tout offrir un service aux Français, on peut légitimement se questionner sur sa participation à des opérations internationales, d’autant plus lorsqu’elle concerne un projet aussi contestable, tant d’un point de vue environnemental que des droits humains.

Là encore, la population française n’est nullement entendue sur une entreprise gérée par l’État, alors que c’est pourtant elle qui finance massivement son existence. Un déni de démocratie qui reste malheureusement habituel, et pas seulement dans ce secteur.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Reportage Cellule investigation de Radio France

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation