Ce samedi 25 mars 2023 à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, ce sont 30 000 personnes – selon les organisations – qui ont manifesté contre les immenses bassines de rétention d’eau destinées à l’agriculture intensive, au détriment des petits agriculteurs locaux et des écosystèmes naturels. Retour sur une journée révélatrice de l’intensification du rapport de force entre un pouvoir prêt à en découdre et une résistance écologiste qui s’aguerrit. Immersion sur place.
La contestation, menée par Bassines Non Merci, les Soulèvements de la Terre et la Confédération Paysanne, revendique un juste partage des ressources en eau et la valorisation des pratiques paysannes face à une agro-industrie écocidaire dans un contexte de crise climatique où la responsabilité d’agir est une urgence absolue.
Pour mieux comprendre les enjeux, nous vous embarquions déjà dans les coulisses du conflit en mars 2022, à l’occasion de notre reportage Dans le Marais Poitevin la guerre de l’eau fait rage faisant la lumière sur les tenants et aboutissants de cette lutte contre l’accaparement d’une ressource vitale, au cœur du terrain.
La réponse de l’État fut la répression policière. Par l’intensité et la nature guerrière de ses frappes, il a démontré le temps d’une journée toute la violence que les dirigeants sont prêts à déployer contre le peuple.
Il est temps de nommer ceux qui sont les réels terroristes, non pas au nom de la protection de l’environnement, mais au nom de sa destruction. Placés à la tête de l’État ou de l’échelle sociale, ceux-ci défendent et accentuent les systèmes de domination sur le vivant. Ils détruisent progressivement nos conditions d’existence, appauvrissant à l’extrême leurs premières victimes : la population paysanne, de plus en plus démunie face à la concurrence déloyale de l’agro-industrie, l’intensification des épisodes de sécheresse et l’effondrement de la biodiversité.
Le phénomène de projection psychologique
En utilisant le terme d’écoterroriste pour qualifier celleux qui au contraire sacrifient leur énergie voire s’épuisent pour défendre le vivant, Gérald Darmanin montre des signes de « projection psychologique ». Selon la psychanalyste Annelise Yvars, « on “projette” sur quelqu’un quand on lui attribue des qualités, des défauts, des intentions qu’il n’a pas en réalité. » En somme, la déclaration de G. Darmanin relève du fantasme, ou plutôt de la manipulation et de la censure d’une expression démocratique. Celui-ci s’est d’ailleurs engagé à dissoudre le collectif Les Soulèvements de la Terre.
Violences répétées, attaques contre les forces de l’ordre, appels à l’insurrection… les « Soulèvements de la terre » ont encore montré à #SainteSoline la menace qu’ils représentent. En responsabilité, je lance la procédure de dissolution de ce groupement de fait. pic.twitter.com/zqUzvrUBCc
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) March 28, 2023
Le blog Nos Pensées identifie quatre manifestations de ce phénomène psychanalytique – toutes cochées par G. Darmanin – :
1 – « Ignorer le problème (ndlr : ici le modèle agro-industriel qui court à sa perte) et rejeter la faute sur les autres » : Pire, ces « autres » cherchent justement à résoudre le problème. Nos dirigeants sont de vrais « parasites » pour reprendre le terme de Nicolas Framont, en réprimant celleux qui se montrent ambitieux·ses dans la planification de sortie de crise climatique.
2 – « Se libérer de ce poids intérieur et le faire sortir » : en heurtant mentalement et physiquement les manifestant·es, G. Darmanin utiliserait-il les menaces, les attaques verbales et les grenades pour se libérer de sa culpabilité certaine – ainsi que celle du gouvernement – ?
3- « Susciter la culpabilité chez les autres, pour prouver une nette position de pouvoir » : Après tout, nos gouvernants sont des êtres fragiles qui ont besoin de prouver leur supériorité pour soulager leurs souffrances.
4 – « En interprétant que ce sont les autres qui sont la véritable raison du problème, ces personnes parviennent si bien à déformer la réalité, qu’elles finissent par y croire » : Que ce soit pour la réforme des retraites, la destruction du vivant ou la sainte croyance des bienfaits du capitalisme, le fond du problème est sans doute là : la conviction profonde dans des mythes par l’énonciation obstinée du récit néolibéral. Une telle confiance dans leurs fantasmes qui porte nos dirigeants à s’ériger contre tout consensus scientifique ou populaire.
Qui terrorise vraiment ?
Si l’on regarde de plus près la définition du « terrorisme », on se rend compte que le terme est complétement inadapté aux comportements des manifestant·es. Le terrorisme implique en effet l’usage d’actions violentes pour semer la terreur et obtenir gain de cause par la menace, mais s’applique avant tout à l’encontre de la population civile et non des forces armées. Quand des activistes viennent saboter (ou plutôt désarmer et mettre hors d’état de nuire) le matériel des méga-bassines, l’action est certes illégale au regard de la loi – au passage injuste -, mais elle ne porte atteinte physique à aucun individu de la société civile.
Sur le plan environnemental ensuite, les activistes s’opposent à l’assèchement des zones humides et à l’effondrement de la biodiversité ; sur le plan social enfin, iels luttent contre le risque de privation d’eau pour les petit·es producteur·ices. Il est primordial de comprendre leurs intentions initiales avant de distribuer les responsabilités des affrontements entre la police et les manifestant·es. C’est donc contre ce combat légitime que l’État français décide d’envoyer ses forces armées et ses méthodes de plus en plus violentes, qui mettent en danger des vies humaines.
Le gouvernement mène la guerre de l’eau
Lors de l’affrontement du 25 mars à Sainte-Soline, ce sont les agissements des forces de l’ordre et les décisions des personnages politiques qui les commandent, qui se rapprochent le plus d’agissements terroristes : utilisation d’armes de guerre, frappes incessantes, de nombreux manifestant·es blessées dont des pronostics vitaux engagés, traque d’activistes par des contrôles omniprésents et menaces d’escalade répressive. En effet, selon les organisateur·ices, au moins 200 personnes ont été blessés par les forces de l’ordre, dont 40 grièvement : une personne éborgnée, plusieurs personnes mutilées, plusieurs mâchoires arrachés, et même trois cas dont le pronostic vital est ou fût engagé. Serge, un homme de 32 ans, est toujours dans le coma, entre la vie et la mort à la publication de cet article.
Les rapports de la gendarmerie nationale révèlent dans un premier bilan des opérations d’ordre public que plus de 4 000 grenades lacrymogènes ont été tirées, 89 grenades de décencerclement GENL et 81 tirs de LBD. De son côté, Libération rapporte que de nombreuses grenades GM2L ont été utilisées (celles-ci produisent une forte explosion et libérent en même temps du gaz lacrymogène) ainsi que des lance-grenades de type cougar. Or, le journal affirme que ce matériel est classé en catégorie A2, soit du matériel de guerre.
4000 grenades, une toutes les 2 secondes à #SainteSoline
200 blessés dont 40 dans un état grave, 2 entre la vie et la mort
Pour protéger un trou,
Pour laver le déshonneur de la débâcle policière de NDDL,
Pour incarner l'ordre grâce à la force.Vidéo ici https://t.co/hzCmr73EBb pic.twitter.com/2LCrtvGIDw
— Partager C'est Sympa (@PartagerCSympa) March 28, 2023
Le travail du média Partager c’est Sympa met en lumière ces violences inouïs : les images ci-dessus permettent de se rendre compte de l’intensité des tirs (une explosion toutes les 2 secondes), mais aussi de l’illégalité de certaines frappes, à savoir des tirs de gaz lacrymogènes effectués quasiment à l’horizontal au lieu de se faire en cloche (laissant le temps pour la grenade d’exploser en l’air). Des tirs extrêmement dangereux pouvant mutiler, défigurer voire tuer des manifestant·es, en les percutant directement à pleine vitesse.
Témoignage de terrain
Un militant du collectif – anonyme – QE présent lors des heurts de Sainte-Soline, que l’on nommera L. dans le cadre de cet article, a accepté de témoigner pour Mr Mondialisation et son partenaire Fsociété. Celui-ci, pourtant habitué aux manifs et aux têtes de cortège, confirme la violence inédite des attaques policières, si bien qu’il a senti sa vie mise en danger à quelques mètres près :
« Une grenade a atterri juste derrière moi, à hauteur de l’arrière de mon crâne et mon épaule, je me suis baissé juste à temps »
« J’avais l’impression que c’était une guerre ! » ajoute-t-il. « Au niveau sonore, c’était des explosions à répétition. Il n’y avait pas 5 minutes sans que des lacrymogènes ne tombent du ciel ou que des grenades de désencerclement n’explosent. […] La terre se soulevait à l’endroit de l’impact de la grenade ». Il raconte également que la police ne visait pas que le bloc, mais tous les manifestant·es sans distinction, comme le confirment les images de Partager c’est Sympa dans la vidéo ci-dessus, où des manifestant·es pacifiques – éloignés de la zone tampon – manquent d’être heurté·es par une grenade.
Le gouvernement sème la terreur
On le rappelle, la mère de toutes les violences est institutionnelle : ce sont des choix politiques croisés avec des intérêts économiques qui motivent la législation de casses sociale et environnementale. Celle-ci précarise, appauvrit, fait souffrir et in fine, tue. Le pouvoir politique, par ses abus, est un pouvoir meurtrier protégé d’impunité.
Afin de conserver alors ces intérêts bourgeois, les dominants mandatent les forces de l’ordre pour ajouter une seconde couche de violences contre celleux qui critiquent et condamnent la violence mère. Ils sont donc violents sur tous les fronts, du terrain institutionnel jusqu’au terrain policier, en passant par l’appui précieux du terrain médiatique. À nous, activistes, journalistes, artistes, scientifiques, politiques, etc. de nous élever contre le comportement assassin du gouvernement, sur tous les fronts. En effet, en s’attaquant aux Soulèvements de la Terre par sa menace de dissolution, Darmanin s’attaque à tous les écologistes.
L’épisode du 25 mars à Sainte-Soline a sans doute marqué un tournant dans la lutte insurrectionnelle, au regard de la violence et de l’escalade répressive. D’abord, l’interdiction de manifester annoncée par la préfète Emmanuelle Dubée peut sembler anodine. Pourtant, cela représente le premier domino de la criminalisation progressive des activistes : une fois l’action écologiste déclarée illégale, les décideurs politiques auto-légitiment leurs attaques en projetant la culpabilité sur les écologistes.
Escalade répressive et criminelle
Nous étions déjà prévenus de la potentielle guerre de l’eau menée par les forces de l’ordre, depuis l’énonciation choquante du terme d’écoterrorisme, mais ce nouvel épisode a atteint un niveau d’inhumanité inimaginable, effrayant, criminel. En effet, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et ses membres présent·es lors de l’action affirment que les forces de l’ordre ont entravé l’intervention des secours (SAMU et pompiers). Preuve à l’appui, Les Soulèvements de la Terre ont publié l’enregistrement complet d’une conversation avec le SAMU pour la prise en charge des blessé.es, dont Serge en urgence vitale et admis au CHU de Poitiers seulement 3h40 après le premier appel aux secours. Au sujet d’une assistance via un hélicoptère ou le SMUR (Structure mobile d’urgence et de réanimation), le SAMU a clairement exprimé qu’ils avaient « ordre de ne pas en envoyer par les forces de l’ordre ». Nous parlons donc « d’entrave aux secours » voire de « tentative de meurtre » comme le dénonce la famille de Serge.
Blocage des secours à #SainteSoline : un enregistrement enfonce les autorités https://t.co/0zLdyGMZvN pic.twitter.com/0YpNe360Ae
— Mediapart (@Mediapart) March 29, 2023
Ensuite, la LDH affirme que ce sont les forces de l’ordre qui ont provoqué et attaqué les manifestant·es en premier, d’abord par une vingtaine de binômes de gendarmes en quad venus à leur contacts et gazant les cortèges avant même leur arrivée sur le site de la bassine de Sainte-Soline. Une fois les manifestant·es sur place, aucun round d’observation de la part des forces de l’ordre déterminées à faire mal : « les gendarmes leur ont tiré dessus avec des armes relevant des matériels de guerre » d’après la LDH. Autre fait notable : des élu·es – notamment écologistes et de LFI – « ont fait une chaîne humaine autour des blessé-e-s pour les protéger et permettre leur évacuation », mais ont subi à leur tour des tirs de grenades lacrymogènes, « coupables » d’assistance à personnes en danger …
Mouvement de panique. Les députés insoumis et EELV se sont positionnés en cordon de protection devant les blessés qui n’étaient pas en état d’être transportés, pensant que les écharpes les protégeraient. pic.twitter.com/fEN1D9Mhmj
— Clémence Guetté (@Clemence_Guette) March 25, 2023
La LDH conclut :
« De manière générale, nous avons constaté un usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes sur les lieux, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain »
Mais l’escalade répressive ne s’est pas arrêtée au soir de la polémique du 25 mars. Et pour cause, le collectif Bassines Non Merci nous a communiqué plusieurs informations inquiétantes. En effet, plusieurs blessés ont été visités par la police afin de saisir leurs affaires, y compris celles des deux victimes dans le coma : « La police est même allée jusqu’à appeler leurs parents pour récupérer des affaires et à faire des descentes à l’hôpital ». La répression de ce gouvernement n’a pas de limites. Et comme si cela ne suffisait pas, Serge, entre la vie et la mort, a été « salit dans les médias » selon Reporterre, qui ont insisté sur le fait qu’il soit fiché S, comme s’il en devenait « coupable » de défendre le vivant.
L’importance du bloc
Face au déferlement de violences policières, notre témoin L. affirme que les manifestant·es n’avaient pourtant aucune intention initiale d’employer de la violence physique. Le militant ajoute que la présence des blocs (communément et péjorativement appelés black bloc dans les médias) existe par nécessité stratégique, parce que les violences policières sont désormais connues de tous·tes et attendues sur ce genre de rassemblement. L. souligne également la présence de « femmes déterminées » en tête des cortèges. Il considère que le bloc est un « outil défensif », permettant de « faire tampon » et ainsi permettre aux autres militant·es d’exercer ce droit fondamental et bafoué de manifester.
« On devrait les remercier » conclut-il, plutôt que de débattre sur leur caractère violent ou non, condamnable ou non. À cause de la violence d’État et de leurs forces armées, les blocs deviennent une nécessité protectrice, dont on se passerait volontiers dans un idéal démocratique. D’ailleurs, L. note une évolution positive quant à l’acceptation côté militant·es de la nécessaire diversité des modes d’action, l’activiste n’a observé « aucun jugement condescendant ou moraliste » sur les modes d’actions employés : « on comprend de plus en plus l’utilité des blocs et l’idée qu’ils ne sont pas là pour casser gratuitement ».
Le mouvement anti-bassines, une lutte exemplaire
Si les scènes de violence ont capté toute notre attention, n’oublions pas l’essence de ce mouvement. Résumons d’abord les dégâts écologiques et sociaux des mégabassines : ces ouvrages qui stockent l’eau pompée dans les nappes phréatiques en hiver viennent donc se substituer à des espaces naturels de stockage, selon un dossier de presse de Confédération Paysanne. Pire, l’eau y stagne, s’évapore et devient non potable. Les mégabassines font par ailleurs l’objet d’une privatisation de l’eau, au profit d’une minorité et d’une agriculture industrielle, et ces projets sont financés à hauteur de 70% par l’Etat. Les petit·es producteur·ices cumulent les peines : d’un côté iels ne profitent pas d’un partage de l’eau équitable puisque l’agro-industrie s’en accapare, de l’autre iels risquent la pénurie d’eau après pompage par les mégabassines, le tout dans un contexte climatique d’intensification des épisodes de sécheresse.
La construction de mégabassines s’inscrit dans la longue liste des Grands Projets Inutiles Imposés (GPII) en face desquels les mouvements de résistance s’amplifient et obligent dans plusieurs cas les aménageurs à renoncer. Ces luttes doivent leur réussite au ciblage précis des projets les plus destructeurs et par conséquent de la création d’une lutte commune entre écologistes et populations locales, notamment paysannes, premières victimes de ces aménagements. Selon L., l’un des mots d’ordre de la mobilisation à Sainte-Soline était de ne surtout pas opposer les écolos et les paysan·nes, celleux-ci ont intérêt à converger et la lutte contre les GPII offre un contexte opportun pour sa matérialisation.
Pour L., c’était « un week-end de convergence exceptionnel, avec beaucoup d’amour et de bienveillance », il affirme n’avoir « jamais vu autant d’organisations différentes aller dans le même sens » : ensemble d’associations, syndicats, partis, ONG, fermes et collectifs… Une solidarité également visible sur le terrain par la protection réactive autour des manifestant·es blessé·es. L. ajoute que les participant·es « enterraient aussitôt les galets de lacrymogène tombés au sol » pour que le gaz ne s’en échappe plus.
Le militant salue également les évolutions depuis les mobilisations précédentes. Les volontaires du collectif Riot Fight Sexism sont venu·es prévenir et prendre en charge les violences sexistes ou sexuelles dans les espaces militants. La culture du soin était présente en base arrière grâce aux médics, au soutien psy et une assistance juridique.
Sur de nombreux plans cette mobilisation fût une réussite, d’autant que plusieurs objectifs ont été atteints : Les Soulèvements de la Terre ont annoncé qu’une pompe centrale du dispositif et plusieurs canalisations ont été démontées. En plus de ce désarmement, des paysan·nes de la Confédération Paysanne ont installé une serre et planté des haies sur plus de 300 mètres, un moyen efficace et naturel de retenir l’eau.
Quel bilan ?
Malgré tout l’enthousiasme que peut générer le mouvement anti-bassines, l’action du 25 mars restera entachée d’un bilan humain bien trop lourd. Vivi, média-activiste, présente à la manifestation de Sainte-Soline, a exposé son récit militant sur Instagram. L’humeur n’était pas à la fête pour celle qui est « partie en détresse physique et psychique après la manif’ ». Et pour cause, elle a vu passer « des corps, transportés par les bras de plusieurs militant·es », craignant d’y reconnaître l’un·e de ses ami·es.
Au delà de l’état de choc après avoir assisté à ces scènes de violences, mêlant assourdissement des grenades explosives, « cris d’appel à l’aide et gémissements », Vivi considère qu’il est primordial de questionner l’organisation des manifestant·es :
« Pourquoi avons-nous foncé immédiatement dans la forteresse ? […] Pourquoi n’avons-nous pas élaboré d’autres stratégies préalablement en Assemblée Générale ? Pourquoi n’y avait-il que quelques milliers de personnes proches des bassines et quelques centaines au front (ndlr : sur les 30 000 personnes présentes) ? Pourquoi y avait-il si peu de médics alors que la stratégie était de foncer dans la forteresse et que nous allions forcément subir une violente répression ? »
Au vu des dégâts physiques et psychologiques, et de l’épuisement militant face à une « logistique intense » (changement de lieu tous les soirs, peu de temps pour se préparer à l’action, rassemblements dans des lieux publics facilement contrôlable par une police opérant fouille et fichage, et conditions météorologiques difficiles avec « rafales de vent à plus de 60km/h dans des torrents de pluie et de boues »), cette manifestation peut aussi être perçue comme une défaite. Le reconnaître ne signifie pas être fataliste ou pessimiste, mais permet de générer de la réflexion et du débat pour améliorer les stratégies de lutte et se prémunir des risques répressifs sans perdre en radicalité. Le souhait profond de Vivi est celui de « compter nos victoires plus que nos blessé·es ».
Pour la média-activiste, une mobilisation aussi massive qui assume une volonté de confrontation policière, se doit de prendre un temps plus long pour préparer efficacement et collectivement l’action en amont : « par exemple, une semaine de camp avec des des ateliers de déplacement collectif, d’autodéfense, de médic, de stratégies, d’historiques de luttes contre les GPII, de véritables assemblées générales pour partager le pouvoir ». Cette ancienne ingénieure qui a tout plaqué pour aller à la rencontre des initiatives écologistes, a un exemple en tête pour illustrer son scénario alternatif : le camp antinucléaire des Rayonnantes en Meuse au cours de l’été 2021.
Quant aux blocs, si Vivi les considère utiles et protecteurs, elle questionne leur caractère sacrificiel et se préoccupe de l’immense charge qui repose sur une minorité d’activistes :
« J’ai le sentiment que la stratégie d’infiltration sur la bassine reposait sur le sacrifice du bloc. Cela fait reposer énormément de RESPONSABILITé et de répression sur des personnes envoyées au front comme de la chair à canon et qui ne profitent absolument pas des autres aspects de la rencontre : à savoir la fête, des espaces de détentes, de discussions, des cantines, du soin. Le bloc protège de la police, mais qui protège et prend soin du bloc ? ».
Alors pour conclure, le bilan de cette mobilisation ne peut ni s’apparenter comme une défaite, ni comme une victoire, mais comme une étape décisive du processus insurrectionnel ; duquel nous avons atteint un point de non-retour au vu de l’urgence social et climatique, et de l’obstination du pouvoir en place à passer en force et à dénier nos droits démocratiques. Les violences policières et les dérives gouvernementales sont d’ailleurs le signe d’un isolement et d’une inquiétude pour leurs intérêts grandissant. Vivi considère que si « les Soulèvements de la Terre ont fait et continue de faire un travail immense » et qu’elle « admire cet élan indispensable pour nos luttes écologistes », la mobilisation autour des méga-bassines « dépasse désormais les Soulèvements de la Terre – et les collectifs associés jusqu’à présent – et il s’agit de décider plus largement de quelles organisations, quelles revendications, quels objectifs, quelles stratégies on porte. C’est une responsabilité collective que d’autres groupes militants avec diverses pratiques de luttes puissent s’associer aux Soulèvements de la Terre pour faire jaillir d’autres formes d’actions et d’organisation ».
En effet, il faut se rendre compte de l’évolution extrêmement positive de la lutte écologiste ces dernières années, de la convergence exceptionnelle qu’elle entraîne et de l’acceptation croissante de sa nécessaire montée en radicalité.
– Benjamin Remtoula / Fsociété.
Crédit photo de couverture : Ethan Delac Instagram @blarknet. Partagé avec autorisation.