Dans le sillage de la victoire relative du Nouveau Front Populaire aux élections législatives, l’une des mesures phares du programme de l’alliance de gauche, l’augmentation du SMIC à 1600 €, fait particulièrement parler d’elle. À droite, on s’insurge même contre cette proposition qui pourrait conduire l’économie à s’effondrer. Qu’en est-il vraiment ?
Chômage, délocalisations, faillites, les pires prédictions ont été proférées par le patronat et les observateurs libéraux. De la Macronie jusqu’à Éric Zemmour, en passant par LR et le RN, toute les droites sont d’accord, il ne faut surtout pas faire progresser le salaire minimum.
Pourtant, de multiples indicateurs montrent qu’un tel projet serait bénéfique pour le pays. Mr Mondialisation s’attaque alors à cinq arguments fallacieux utilisés par les détracteurs de l’idée.
1. Vers une explosion du chômage ?
De nombreux défenseurs du néolibéralisme prédisent des effets dévastateurs d’une augmentation du SMIC sur l’emploi. Avec une hausse des salaires, les entreprises n’arriveraient plus à suivre et se verraient contraintes de licencier.
Si la réflexion a de quoi séduire au premier abord, elle ne résiste pourtant pas à l’épreuve des faits. Plusieurs études se sont penchées sur la question en analysant des exemples pratiques.
Ainsi, l’économiste primé David Card a comparé le cas de deux États américains avec des caractéristiques socio-économiques similaires, le New Jersey et la Pennsylvanie. Le premier a vu son salaire minimum augmenter de 18 % (rappelons que la hausse prévue par le NFP est de 14 %) en 1992 tandis que le second est resté stable.
Et pourtant dans la situation du New Jersey, aucun impact négatif n’a été observé sur le chômage. Mieux, celui-ci a même reculé à cette période. Constat similaire en Ontario en 2018 où le salaire minimum avait bondi de 20 %. Un rapport de 2019 pour le gouvernement britannique et un article espagnol arrivent aussi tous les deux à une conclusion semblable : la majoration du salaire minimum n’a que peu d’incidence sur le niveau du chômage.
Des exemples récents en Europe montrent également que ce type d’augmentation est parfaitement supportable. Avec son indexation sur l’inflation en France, le salaire minimum a d’ailleurs progressé de 18 %. Dans le même temps, le salaire horaire brut minimum a évolué de 36 % en Allemagne, et de 54 % en Espagne. Et aucune hausse du chômage n’en a découlé.
Évidemment, ces données restent valables jusqu’à un certain seuil, l’augmentation du SMIC ne pouvant pas être trop illimitée. Selon une étude, la ligne de danger serait située à 81 % du salaire médian. À partir de ce stade, il existerait potentiellement un risque de faire grimper le chômage. Il faut cependant noter que l’Espagne s’est récemment aventurée au-delà de ce cadre puisque son salaire minimum actuel équivaut à 86 % du salaire médian, sans que cela ne se ressente sur l’emploi.
Le relèvement à 1600 € en France reste, lui, bien plus éloigné de ce niveau puisque cette somme représente seulement 76 % de 2091 €, revenu médian en 2022. Depuis l’inflation est passée par là, et même si les données ne sont pas encore accessibles pour 2024, il est certain que le salaire médian est beaucoup plus élevé aujourd’hui, repoussant d’autant plus le seuil de risque.
2. Les petites entreprises en faillite ?
Comme à son habitude, le grand patronat défend également ses intérêts en se cachant derrière les petites entreprises : l’augmentation du salaire minimum ne pourrait pas être assumée par les sociétés modestes aux bénéfices plus faibles.
Pourtant, l’argent investi par les entreprises dans ces rémunérations a toutes les chances d’être récupéré par le processus de relance économique. Par conséquent, les classes populaires mieux rétribuées dépenseront plus de liquidités dans ces mêmes entreprises qui verront leur carnet de commandes se remplir et leur chiffre d’affaires progresser.
En outre, d’après les chercheurs, des salariés bien payés se sentiraient plus valorisés et seraient donc plus productifs ce qui favoriserait le rendement général des entreprises tout en diminuant l’absentéisme, les problèmes de discipline, et de fait la rotation de la main d’œuvre, ce qui évidemment rapporte plus.
Pour couronner le tout, le Nouveau Front Populaire propose aussi de soutenir financièrement les structures les plus fragiles, en particulier en redirigeant les aides actuellement accordées aux sociétés d’envergure, en autorisant des prêts à taux zéro et surtout en créant une caisse de péréquation interentreprises.
Autrement dit, les cotisations sociales des compagnies seraient mutualisées dans une même caisse pour permettre de les réduire pour les petites entreprises et les augmenter en compensation pour les entreprises plus importantes. À cela, il faut également ajouter une baisse drastique du coût de l’énergie prévue dans le programme du NFP et qui bénéficierait énormément à de nombreux entrepreneurs.
Notons enfin que l’argument des « petites entreprises » sert surtout aux grosses à se protéger, parce qu’elles sont aussi largement concernées. En effet, 30 % des travailleurs exercent dans des sociétés de plus 5000 salariés, et 54 % dans des compagnies de plus de 250 salariés. Il n’y a en réalité que 17 % des entreprises qui disposent de moins de dix salariés. Et parmi ce contingent réduit de sociétés, 70 % n’ont aucun salarié du tout. Notons d’ailleurs que ces petites sociétés se portent déjà bien mieux que l’on pourrait penser puisque leur valeur ajoutée générée a progressé de 13 % en 2022.
3. La porte ouverte aux délocalisations ?
Un autre argument pour s’opposer à l’augmentation du SMIC consiste à dire qu’il pourrait entraîner une vague de délocalisation des grandes entreprises, désireuses de faire des économies.
C’est cependant oublier un peu facilement que les emplois payés au SMIC en France sont extrêmement peu délocalisables pour la majorité d’entre eux. En effet, ils concernent essentiellement des activités de service qui doivent donc nécessairement être exercées sur place. Personne ne pourra délocaliser les hôpitaux, coiffeurs, magasins, hôtels ou restaurants.
En outre, la menace de délocalisation ne peut pas être considérée comme un argument valable puisqu’elle revient tout simplement à un chantage. Si l’on cède sur ce point pour ne pas augmenter les salaires alors on admet la toute-puissance des grands groupes et on nivelle vers le bas la condition des travailleurs.
De plus, il existe des solutions pour empêcher toute volonté de délocalisation en mettant en place du protectionnisme, par exemple en établissant des quotas d’importation, en luttant contre le libre-échange, en contrôlant les prix ou encore favorisant les productions nationales.
4. Les salaires intermédiaires tirés vers le bas ?
Pour ne pas avoir à rogner une petite partie de son immense capital, les grandes entreprises jouent par ailleurs sur un sentiment régulièrement utilisé par la droite de l’échiquier politique, celui de la peur du déclassement.
Autrement dit, de nombreux membres des classes moyennes s’opposent à la hausse du salaire minimum parce qu’ils refusent de se retrouver en bas de l’échelle. C’est un mécanisme que l’on observe aussi au sein du syndrome du larbin, qui consiste à défendre les riches contre ses propres intérêts, mais également dans la dénonciation des soi-disant « assistés ».
Ainsi, une personne qui gagne déjà 1600 € actuellement se sentirait dévalorisée d’être rejointe par les plus bas salaires. Même si l’on pourrait contester en soi cette vision compétitive de l’emploi, on peut surtout noter que, comme le rapporte une étude de l’INSEE, le relèvement du salaire minimum a un impact direct sur tous les revenus, en particulier ceux situés un peu au-dessus. Mécaniquement, la hausse du salaire minimum devrait donc faire progresser tous les autres.
5. Si les salaires augmentent, les prix aussi ?
Enfin, les opposants à la mesure assurent également qu’une revalorisation du SMIC entraînerait une explosion des prix des marchandises, ce qui rendrait la proposition inefficace.
Pourtant, comme expliqué précédemment, malgré ces revalorisations, les entreprises devraient en très grande majorité être gagnantes et voir leur chiffre d’affaires bondir. Il n’existe donc aucune raison objective pour que ce phénomène provoque de l’inflation.
Les travaux empiriques vont d’ailleurs aussi dans ce sens. Une étude de la Banque Fédérale de Chicago conclut ainsi que l’augmentation du salaire minimum n’entraîne pas d’inflation significative. D’autres recherches menées par la banque centrale européenne arrivent exactement aux mêmes conclusions.
De plus, le spectre de cette menace sera de toute façon éloigné par le Nouveau Front Populaire, puisqu’il propose également de tout simplement indexer l’intégralité des salaires sur l’inflation. Une façon de faire qui existait d’ailleurs en France jusqu’en 1983 et qui a toujours lieu actuellement en Belgique.
Une faible menace pour le grand capital
On l’aura compris, une hausse du SMIC à 1600 € n’est objectivement pas une menace pour l’économie, l’emploi et le monde du travail en général. À l’inverse, elle aurait probablement un effet vertueux sur les entreprises et sur les salariés.
Si les médias de milliardaires, et la droite de l’échiquier politique sont vent debout contre cette mesure, c’est surtout parce qu’elle rognerait les profits colossaux engendrés par les plus aisés. Sur les vingt dernières années, les plus riches ont vu leur patrimoine exploser. Ainsi les 500 plus grosses fortunes professionnelles de France sont passées de 123 milliards à 1170 milliards en deux décennies.
Difficile d’en dire autant des plus pauvres. Et contrairement à ce qu’affirme honteusement le magazine le Point, ce n’est pas « à cause du peu d’heures qu’ils font » que les plus précaires ne gagnent pas plus d’argent, mais bien parce que les individus situés tout en haut de la pyramide s’octroient la quasi-intégralité du gâteau. En ce sens, l’augmentation du SMIC ne ferait que légèrement rééquilibrer la balance.
– Simon Verdière
Photo de couverture de Karolina Kaboompics. Pexels.