Le 8 septembre 2023, le Maroc était frappé par le plus important tremblement de terre de son histoire. Les conséquences humaines et matérielles furent considérables : plus de 3000 morts et 6000 blessés. 30 000 familles se sont retrouvées sans-abri, plusieurs villages ayant été quasiment détruits. Un an après la catastrophe, le temps est toujours à la reconstruction. En novembre dernier, deux Français, passionnés par l’architecture traditionnelle marocaine, se sont rendus sur place pour collaborer à la reconstruction d’une maison. Désirant valoriser les techniques de construction locales, Lola et Jordan nous partagent leur expérience.

Lola et Jordan, respectivement architecte et thermicien/maître d’œuvre, se présentent comme deux jeunes militants pour la construction traditionnelle. Depuis 2022, le duo nourrissait l’envie de découvrir le Maroc à vélo pour admirer ses paysages et son architecture qui les fascinaient.

Ils prévoyaient déjà de travailler sur un chantier pour se familiariser avec les techniques traditionnelles. Le pisé en particulier les intéressait de par sa simplicité et ses qualités compatibles avec les enjeux socio-environnementaux. Le duo posait justement un regard critique sur les méthodes actuelles de construction développées autour du béton qui nécessite d’immenses ressources en sable, en eau et en énergie.

Après le tremblement de terre de 2023, Lola et Jordan se sont rapprochés de l’association locale Open Village avec laquelle ils ont participé à la reconstruction d’une maison pour une famille de six personnes (Mina, Brahim et leur quatre enfants) ayant perdu la sienne lors du séisme et que le gouvernement n’a pas indemnisée.

Un périple de 3 000 km à travers le Maroc. Crédit Photo ©Lola & Jordan

L’association Open Village a été fondée en 2015 pour « valoriser et exploiter le potentiel des campagnes marocaines sous-développées ». Elle s’est mobilisée pour porter les premiers secours au lendemain du séisme puis s’est impliquée à plus long terme dans la reconstruction en donnant d’ailleurs la priorité à l’éducation des enfants.

Dans cette optique, elle soutient plusieurs projets en lien avec les communautés locales pour la confection de vêtements et couvertures, pour l’animation d’ateliers créatifs dans les villages, pour la tenue de festivals, ou encore pour l’organisation de chantiers de construction traditionnelle. C’est l’un de ces chantiers, au petit village de Tagounit dans le Haut Atlas (à 60km au sud-est de Marrakech), que Lola et Jordan ont rejoint pendant deux mois et demi.

Le chantier auquel Lola et Jordan ont pris part. Crédit Photo ©Lola & Jordan

La reconstruction de cette maison a posé plusieurs contraintes : il s’agissait de construire rapidement une maison durable, adaptée aux besoins de ses habitants, tout en restant fidèle à l’architecture et aux techniques traditionnelles avec des matières premières locales. Sans engin, ni électricité, seulement à la force des bras.

Cela était d’autant plus approprié que l’accès au village ne peut se faire que par une route sinueuse, peu empruntée. De plus, la plupart des maisons traditionnelles y ont résisté au séisme. Il était alors pertinent que le chantier s’appuie sur les savoir-faire ancestraux des artisans locaux, tout en les adaptant pour répondre de manière optimale aux normes parasismiques contemporaines.

Par ailleurs, la construction traditionnelle souffre d’une mauvaise image auprès des habitants à cause du mauvais état général des maisons anciennes. Et justement, le père de famille, Brahim, voulait initialement reconstruire en béton, craignant qu’une maison en pierre ne soit pas parasismique et que le chantier prenne trop de temps, avant d’être convaincu par Karine de l’association Open Village. La reconstruction se doublait d’une autre mission : changer l’impression négative envers les techniques traditionnelles en démontrant qu’elles peuvent s’accorder avec la modernité.

Coffrage pour comprimer la terre crue selon la technique du pisé. Crédit Photo ©Lola & Jordan

Parmi les traditions locales mises en œuvre : la technique du pisé, typique de l’architecture dans le sud du Maroc, un héritage issu la culture berbère. Cette méthode de construction en terre crue tassée possède plusieurs atouts : elle est à la fois plus économique et plus respectueuse de l’environnement que le béton et le ciment tout en étant adaptée aux conditions climatiques locales. Le pisé permet en outre une climatisation naturelle contrairement aux matériaux modernes.

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Avec les problématiques environnementales actuelles, le pisé retrouve ses lettres de noblesse. Autre avantage non négligeable : peu d’outils sont nécessaires pour construire en pisé, ce qui est idéal dans un contexte post-séisme. Et la terre, matière première, est abondante. Des artisans locaux à la retraite sont venus sur le chantier pour apporter leurs conseils issus de leur longue expérience. L’opportunité d’une réaffirmation et d’une perpétuation des savoir-faire.

Mise en place des pierres taillées. Crédit Photo ©Lola & Jordan

C’est l’acheminement des rondins de bois et des pierres de taille qui constitua un défi autrement plus important. Pas moins de 4 000 pierres furent nécessaires pour cette seule maison de 60 mètres carrés. Deux maîtres artisans du village les ont taillées en moins de deux semaines après leur « cueillette » dans une gorge à environ un kilomètre du chantier.

Trouver du bois marocain pour la charpente et les linteaux des fenêtres ne fut pas une mince affaire, cette ressource étant rare et cher en comparaison du pin de Russie. Heureusement, un bûcheron d’une vallée reculée du Haut Atlas put fournir celui de ses peupliers.

La toiture représentait d’ailleurs un enjeu crucial dans les améliorations parasismiques que ce projet portait. C’est sur ce point particulier que les Français ont pu apporter leur expertise.

Dans un premier temps, il leur fallut observer et comprendre ce qui existait déjà, instaurer un échange des savoirs, se renseigner sur les nouvelles normes et techniques. Et enfin transmettre les améliorations aux artisans de la reconstruction avec l’approbation des « anciens ».

Construction de la charpente. Crédit Photo ©Lola & Jordan

Ainsi, si certaines habitations ont résisté au séisme là où leurs voisines se sont écroulées, c’est en raison d’une meilleure construction dont le chantier s’est inspiré. Avec les murs liés entre eux au niveau des angles, la structure se trouve plus à même d’encaisser le choc sans s’effondrer sur elle-même.

Une pierre traversante par mètre carré permet d’éviter la désolidarisation des deux faces d’un mur. De même, l’ajout d’une pierre/un pisé de jonction entre le mur en pisé et celui en pierre renforce leur connexion. Et la toiture a été chaînée dans les murs pour ne pas s’en disloquer.

Un chantier à l’ambiance conviviale ! Crédit Photo ©Lola & Jordan

Le chantier n’aurait pu se dérouler sans une solide dynamique communautaire. Chaque jour, il fallait nourrir une dizaine d’artisans en plus de la famille dont les femmes préparaient le repas pris en commun.

Les habitants du village se sont aussi mobilisés pour aider à la reconstruction. Leur soutien fut notamment indispensable pour le transport des pierres à dos de mule, aucun accès direct par camion n’étant possible sur le chantier. Chaque soir, les villageois venaient prendre des nouvelles du chantier.

Pour la durée de la reconstruction, Lola et Jordan ont planté leur tente près de celle de la famille de Brahim et Mina. Et ainsi s’immerger entièrement dans la vie, le rythme de la communauté, « découvrir l’autre, à travers sa vie, et des réalités qui en découlent. » Aller plus loin que la participation à un chantier par une inestimable expérience de vie. Même si la communication en langue amazigh (que les Français ne parlent pas !) fut compliquée pour éviter les malentendus et les erreurs, malgré la fatigue, les moments difficiles, le chantier fut source de convivialité et de joie partagée.

Le 19 mars 2024, c’en fut le dernier jour. Il se conclura par un repas, le premier pris dans la nouvelle maison. L’électricité a pu être branchée juste à temps. Arrivés le 15 janvier 2024, le duo est reparti avec de précieux souvenirs.

« Nous n’avons pas « simplement » participé à la reconstruction d’une maison, nous avons eu la chance de vivre une expérience humaine incroyable. Pour la famille, après avoir passé six mois sous la tente, ils ont un toit sur la tête, l’histoire est magnifique pour eux, comme pour nous. » 

Malgré la barrière de la langue, les Français ont gardé le contact avec la famille marocaine et ils comptent bien revenir leur rendre visite d’ici un an ou deux (et sans prendre l’avion insistent-ils).

Crédit Photo ©Lola & Jordan

« Cette maison est probablement la première maison construite après le séisme avec des matériaux locaux, tout en respectant les normes parasismiques » explique le couple, fier d’avoir participé à cette reconstruction alliant architecture traditionnelle, confort et sécurité moderne. Suite à cette expérience, Lola et Jordan sont plus que jamais persuadés que les savoir-faire ancestraux détiennent la réponse à nos problèmes actuels.

« Maintenir la connaissance de nos aînés et conserver les matériaux adaptés à leur environnement est essentiel, plutôt que d’importer des matériaux et des principes économiques éloignés des besoins d’un village isolé. »

Ne serait-ce qu’à cause des immenses ressources qu’il nécessite, le tout-béton ne peut constituer l’unique solution miracle, d’autant plus qu’il implique de dépendre d’un fragile système industriel international.

Mais surtout, les techniques traditionnelles démontrent qu’elles sont tout autant adaptées aux enjeux sociaux et écologiques pour une efficacité comparable : elles allient durabilité, impact environnemental moindre, coût économique abordable, préservation des ressources tout en étant parfaitement maîtrisées par les artisans locaux.

Lola et Jordan, en compagnie de Brahim, sa mère, Mina et de leurs quatre enfants devant leur nouvelle maison. Crédit Photo ©Lola & Jordan

Leurs conclusions et impressions retirées de cette expérience, Jordan et Lola les ont couchées sur le papier. D’une part dans un livre à destination du grand public et d’autre part dans un guide pour les populations locales afin de les aider à améliorer la résistance parasismique des maisons traditionnelles. Ces deux ouvrages sont actuellement en cours de financement via une campagne de crowdfunding.

Celle-ci étant d’ores et déjà réussie, Jordan et Lola se sont lancés un nouveau défi : reconstruire une deuxième maison grâce à ce financement participatif : « Dans l’esprit d’autonomie des peuples que nous (et l’association) défendons, l’idée cette fois-ci est de ne pas retourner au Maroc, mais de trouver une personne sur place qui puisse s’approprier les supports que nous avons développés et gérer la partie « parasismique » que nous avons apportée. Pour le reste, les habitants ont encore les savoir-faire sur place. Malheureusement, le grand chantier de la reconstruction se heurte aux lobbies pro-béton et à la corruption, rien n’avance sur place. Nous essayons donc de promouvoir les lobbies pro-terre et de contrebalancer autant que possible.»

– S. Barret


Photo de couverture : Crédit Photo ©Lola & Jordan

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