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Nutella « vegan » : bonne nouvelle ou greenwashing ?

Nouveau Nutella
Nouveau Nutella "vegan" : bonne nouvelle ou greenwashing ?

En septembre, Ferrero lançait un pavé dans la mare avec son premier Nutella entièrement végétal. Une version sans lait de la pâte à tartiner la plus vendue au monde qui a réussi, en l’espace de quelques semaines, à cristalliser  le débat autour du véganisme. Au point de parfois faire s’accorder défenseurs du mouvements et omnivores convaincus, ou s’opposer véganes entre eux ! On décrypte. 

Dans son livre sorti en mai dernier, Veganwashing, l’instrumentalisation politique du véganisme, Jérôme Segal fait le parallèle entre la récupération du mouvement végane et le greenwashing, qui consiste pour les entreprises polluantes à opter pour une communication « verte », mais basée sur du vide.

Dès lors, est-il possible de percevoir chez Ferrero une forme de veganwashing ? Autrement dit, une façon pour l’entreprise de redorer son image en créant un produit 100% végétal sans y joindre de véritables engagements ?

Nutella Plant-Based : le paroxysme du veganwashing ?

Composition certifiée « vegan » par la Vegetarian Society, pot composé à 60% de verre recyclé, couvercle fabriqué à partir de plastique recyclé et certifié par l’ISCC (Certification Internationale de la Durabilité et du Carbone)… Ferrero semble avoir définitivement mis les petits pots dans les grands pour faire de son Nutella 2.0 un produit ancré dans une demande croissante de produits plus responsables. Sans oublier son design qui, avec la simple couleur verte de son pot, pourrait pousser à croire à un produit bio !

Le nouveau Nutella Plant-Based qui déchaîne les passions

Le souci, c’est l’image que souhaite véhiculer Ferrero – celle d’une entreprise qui se soucie du bien-être animal et des intolérants au lactose – en décalage avec la réalité factuelle. Car que représente la vente de Nutella Plant-Based en pourcentage, comparé à tous les autres produits Ferrero contenant tous du lait ? Des chiffres encore inconnus pour le moment, notamment car le produit vient de sortir, mais qui ne risquent pas d’exploser les compteurs.

De ce fait, quelle part de véganes Ferrero pense-t-il attirer avec ce produit, sachant que ces derniers s’intéressent en moyenne tout autant à l’éthique globale de l’entreprise qu’à ce qu’elle vend ? C’est le cas notamment pour d’autres grands noms de l’industrie agro-alimentaire qui se sont lancées dans le végétal, tels que Fleury Michon ou Nestlé (créateur de la marque Garden Gourrmet, spécialisée dans les produits végétariens ou véganes).

« des véganes appellent souvent au boycott de ces produits, rappelant que Fleury Michon est aussi et avant tout une entreprise qui fait son chiffre d’affaires sur le dos de la souffrance animale ».

Si d’aucuns se réjouissent que Fleury Michon se lance dans les tranches « végé » – encore un terme ambigu, qui désigne bien souvent des produits végétariens et non végétaliens – des véganes appellent souvent au boycott de ces produits, rappelant que Fleury Michon est aussi et avant tout une entreprise qui fait son chiffre d’affaires sur le dos de la souffrance animale.

Ferrero crée, dans l’immense majorité, des denrées à base de produits animaux, à savoir le lait et ses dérivés, et ce à échelle ultra-industrielle. Or, l’industrie laitière est à ce stade un cauchemar pour les animaux : vaches inséminées de force, séparées de leurs veaux et abattues dès qu’elles ne produisent plus suffisamment de lait, veaux anémiés (pour préserver la couleur pâle de leur viande), isolés et parfois transportés encore nourrissons d’un pays à un autre dans des conditions inacceptables pour finalement être abattus… Les maltraitances y sont la norme, au profit d’une croissance économique.

En jouant la carte de l’ouverture aux produits véganes, Ferrero ajoute simplement à sa carte un produit qui a des chances de fonctionner de par une demande croissante d’alternatives plus « éthiques » : mais cela n’entraînera pas de changement de cap  global. Pas de leurre possible : l’exploitation animale exercée par l’entreprise va très certainement persister à proportions égales.

La plantation de palmiers à huile engendre une déforestation massive des forêts tropicales en Malaisie et Indonésie. Ici dans la province de Riau, à Sumatra, en 2007. Wikimedia Commons

Un produit qui divise au sein même de la communauté végane

« Ce n’est pas végane » : une affirmation lue et relue sur différents réseaux, et issue, non pas d’omnivores en colère, mais… de véganes eux-mêmes. Quand certains, végétaliens ou intolérants au lactose, se réjouissent de pouvoir de nouveau plonger leur cuillère dans un pot de Nutella, d’autres résistent. Pas végane ? Mais pourquoi ?

Le mouvement végane est pluriel et s’érige autour de différents combats : la protection animale, l’écologie ou encore la réappropriation de son alimentation. De ce fait, un pot de Nutella végétal mais rempli d’huile de palme, pour certains, ça ne passe pas.

Peut-on cautionner un produit qui se soucie aussi peu du sort des orangs-outans – mais également éléphants, rhinocéros, etc. – et participe à une considérable perte de biodiversité quand on défend la planète et toutes les espèces qui la peuplent ? Ferrero a beau se défendre d’utiliser une huile de palme « durable », il n’en reste pas moins que la culture de palmiste a explosé ces dernières décennies, entraînant une cascade de funestes conséquences.

L’habitat des orangs-outangs en Malaisie est menacé par la déforestation pour les plantations d’huile de palme. Wikimedia Commons

« Près de 30 millions d’hectares seraient actuellement consacrés à la production d’huile de palme à travers le monde… »

L’huile de palme représenterait aujourd’hui 70% de la consommation d’huiles végétales à travers le monde, atteignant une production de 73 millions de tonnes ! L’Indonésie et la Malaisie concentrent 85% de la production : des pays riches en forêts primaires, à la biodiversité incroyablement riche, qui ont vu leurs sols, leur eau et leur air pourrir sous l’effet de la monoculture. Près de 30 millions d’hectares seraient actuellement consacrés à la production d’huile de palme à travers le monde…

La production intensive d’huile de palme est une catastrophe écologique, en constante expansion. Au lieu de s’engager dans une filière dite – et seulement dite – « durable », Ferrero n’aurait-il pas plutôt intérêt à se détourner de l’huile de palme, d’autant plus lorsqu’il s’agit de créer un produit qui se veut éthique ? Finalement, Ferrero et le Nutella végétal, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt – enfin, celle qu’ils n’ont pas encore rasée.

Nutella Plant-Based : toujours aussi mauvais pour la santé !

Cerise sur la tartine de Nutella, l’huile de palme n’est clairement pas la plus recommandée pour la santé. Composée à 50% d’acides gras saturésles meilleurs amis du diabète, de l’obésité et des maladies cardio-vasculaires – elle ne devrait être consommée qu’avec grande modération, au lieu de se retrouver dans une majorité des produits industriels… Un argument santé qui ne fait que confirmer que Ferrero, avec son Nutella Plant-Based, souhaite grignoter des parts de marchés et non se mouvoir dans une ébauche de repentance.

Manger végane ne veut pas forcément dire manger sain, et ce nouveau Nutella semble être là pour le rappeler. Sa composition reste très proche du Nutella original : sucre et gras restent les ingrédients principaux, avec 31,8g de matières grasses aux 100g et… 45,4g de sucre ! Un chiffre énorme, mais qui parvient à rester en deçà du Nutella d’origine, qui explose les compteurs avec ses 56,3g de sucres aux 100g. Ce n’est toutefois pas parce que c’est moins pire que le pire que Nutella Plant-Based est bon, restant d’ailleurs nettement plus sucré que la plupart des autres marques de pâte à tartiner.

 

D’après Open Food Facts, la note Nutri-score du Nutella est E, et celle du Eco-score est D pour un impact environnemental élevé.

Ce type de produit devant quoi qu’il arrive être consommé avec modération, pourquoi ne pas se tourner vers des marques certes parfois légèrement plus chères, mais qui font l’effort (depuis souvent plusieurs années et sans pour autant faire le buzz) de créer un produit végane, sans huile de palme et allégé en sucres ? Parmi elles, la Chocolade sans lait de Jean Hervé ou la pâte à tartiner Noir de Jardin Bio, ou bien encore celle de Papa Outang engagée sur le terrain, sont excellentes, bien plus éthiques et saines. Leur prix, plus élevé, possède quant à lui un véritable atout : il évite que l’on termine le pot en une soirée !

La seule bonne nouvelle à retenir de ce sujet : la demande de produits véganes est aujourd’hui suffisamment forte pour faire réagir une entreprise comme Ferrero. La naissance du Nutella Plant-Based possède en cela quelque chose de symbolique : si les géants de l’industrie agro-alimentaire s’intéressent aux produits végétaux et que Nutella est prêt à devenir 100% végétal, c’est que la niche végane est en train de se transformer en un véritable édifice futuriste, capable d’allier plaisir et respect animal.

Industrie agro-alimentaire et végétalisation sont-elles toutefois compatibles ? L’attirance soudaine des grosses entreprises du secteur pour le marché végétal a ceci de positif qu’elle va dans le sens d’une diminution de la souffrance animale, et du désastre écologique lié à l’élevage. Elle peut également faire office d’appel d’air pour la majorité encore réticente à arrêter ou simplement diminuer les produits laitiers, sorte de premier pas vers une consommation plus consciente et peut-être, à terme, moins industrielle.

Wikimedia Commons

Toutefois, veillons à rester lucide sur la nature de ce produit et à ne pas nous faire aveugler par cette forme d’ethical-washing. Il reste urgent de quitter le modèle de surproduction mortifère, inégalitaire et terriblement polluant dans lequel l’industrie agro-alimentaire actuelle se complaît et nous engloutit. Une déconstruction qui, bien sûr, ne saura être qu’individuelle, mais nécessitera un mouvement politique systémique à grande échelle.

– M.L


Image d’en-tête : Wikimedia Commons

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