En 2022, Yamina Aïssa Abdi a fondé l’association Au cœur de ma cantine. Son projet : créer une cantine solidaire pour permettre aux habitants du quartier des Izards, à Toulouse, d’avoir accès à de l’alimentation bio. Sur place, les habitants cuisinent, apprennent et échangent. Rencontre autour d’un projet inspirant. 

Yamina Aïssa Abdi a vécu dans le quartier des Izards, à Toulouse, de 1997 à 2014. Aujourd’hui, elle vit juste à côté de cet endroit qui lui tient à cœur. Surnommée « Madame Bio » par les habitants du quartier, elle se démène pour faire changer les choses et leur donner accès à des produits de qualité.

« Ce que j’aime dans les quartiers, c’est l’ambiance village où tout le monde se connaît et où tout le monde fait attention à l’autre. C’est ce que j’ai retrouvé ici, dans ce quartier », nous a-t-elle partagé. 

Yamina Aïssa Abdi a fondé « Au cœur de ma cantine » afin de redonner accès aux produits bios aux habitants des quartiers. Photo publiée avec l’autorisation des Nouvelles Voix.

En 2013, Yamina a créé sa première association avec deux autres mamans du quartier, Izards Attitude. L’objectif était de recréer du lien social dans le quartier, marqué par des tensions et des déchaînements de violences. Mais son projet a pris un autre tournant lorsqu’en 2018, l’agriculture urbaine s’est installée dans le quartier des Izards.

Un maraîcher a commencé à cultiver des légumes au pied des tours afin de permettre aux habitants de les récolter gratuitement. Cependant, peu de personnes connaissaient cette pratique et nombreuses d’entre elles n’ont pas osé se servir

« Il fallait accompagner les familles à travailler avec le maraîcher, à faire des plantations, du désherbage, des récoltes… On les a aidées à se familiariser avec l’agriculture urbaine. C’est un coin de campagne au cœur du quartier. Les habitants mettent les mains dans la terre, voient comment le légume naît. Cela montre comment on passe de la terre à l’assiette et c’est super intéressant », a expliqué Yamina. 

Redonner l’accès aux habitants aux produits bios

Enrichie par cette expérience, Yamina a quitté Izards Attitude en 2022 pour fonder une seconde association, Au cœur de ma cantine. Son objectif : créer un espace dédié aux habitants du quartier pour les aider à bien se nourrir et leur apprendre à cuisiner des produits bios. Cette idée est venue à Yamina lorsqu’elle a participé à une conférence organisée dans la ville sur le bien-manger. Sur place, la Toulousaine a remarqué qu’il n’y avait que très peu de personnes originaires des quartiers de la ville. Une sous-représentation qu’elle a vécu comme une injustice

« Je voulais montrer que nous aussi, on pouvait accéder à ces produits là. Dans le quartier, c’est que de la malbouffe, ce n’est plus possible. Une femme m’a dit : “Je sais que je donne de la mauvaise nourriture à mes enfants, mais je ne connais que ça.” Je ne trouve pas ça juste. On a des kebabs, des pizzerias et des boucheries, mais on a aussi une ferme à côté, avec de bons produits. Alors on s’est dit : “Pourquoi avec ce qu’on a sur le territoire, on ne proposerait pas une alimentation de qualité ? Tout le monde devrait y avoir accès », nous a confié Yamina.

Yamina travaille avec La Ferme de Borde Bio, où elle récupère des produits de qualité pour les cuisiner avec les habitants du quartier des Izards. Photo : Fabio Boucinha

C’est ainsi que Yamina a créé son association. Elle a contacté La Ferme de Borde Bio, l’une des dernières fermes maraîchères existantes à Toulouse, située à 10 minutes du quartier des Izards. Bien que cet établissement propose des produits de qualité, il reste méconnu des personnes qui vivent dans les quartiers et qui n’ont souvent pas assez d’argent pour acheter des légumes bios. Par le biais de son association, Yamina a réussi à créer du lien avec les agriculteurs de la ferme, qui ont accepté de la soutenir dans son projet.  

À terme, l’objectif de Yamina est de fonder une cantine permanente dans le quartier des Izards : « Ce sera un lieu de vie ouvert sur une longue plage horaire, avec un salon de thé et un bar à jeux. Nous voulons que ce lieu soit utilisé par les habitants, les partenaires et les associations, et que tout le monde puisse trouver sa place. Nous voulons une bonne alimentation de qualité dans un joli lieu. »

En attendant l’ouverture, Yamina n’est pas restée les bras croisés puisqu’elle a mis en place une cantine éphémère. La première a été organisée en février 2024, à raison d’un événement par mois

« On s’est aperçu que peu de gens du quartier connaissent les légumes d’automne et d’hiver. Et quand on ne connaît pas, on ne cuisine pas. À travers ce projet, je veux montrer l’esprit de la cantine et faire découvrir des produits de qualité et une cuisine locale, gourmande et anti-gaspi aux habitants, avec des produits de la ferme non transformés. Mon but est de créer un resto dans un quartier populaire. L’esprit de la cantine, c’est de provoquer des rencontres et de montrer une autre image du quartier. »

Des ateliers de cuisine pour les habitants

En organisant ces cantines éphémères, Yamina veut remettre les habitants du quartier au centre du projet. Ces derniers s’inscrivent en avance et valident le menu de la cantine avec un chef cuisinier. Le jour J, ils arrivent le matin pour participer à un atelier cuisine et préparer le repas. Sur place, ils se répartissent pour cuisiner l’entrée, le plat et le dessert. Si Yamina peut compter sur ses partenaires, elle insiste : ce sont les habitants du quartier qui sont les acteurs du projet. Ce sont eux qui préparent la nourriture, qui sont force de proposition, qui élaborent les menus et qui aménagent leur lieu de vie.

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« Les gens doivent être partie prenante, ils doivent être force de proposition. Pour que ce lieu leur appartiennent, ils doivent l’incarner. C’est une question qui me touche particulièrement. J’ai vu beaucoup de personnes subir au lieu d’être acteur sur le quartier. L’idée, c’était de devenir citoyen et acteur du quartier, de se mobiliser aux côtés des structures associatives et des institutions. On essaie de travailler tous ensemble main dans la main pour pouvoir vivre dans un lieu serein », explique-t-elle.  

Des ateliers de cuisine sont organisés pour permettre aux habitants d’apprendre à cuisiner des produits qu’ils ne connaissent pas. Photo : Fabio Boucinha

Pour préparer les repas, les habitants reçoivent l’aide d’un chef cuisinier. C’est le cas de Kevin Musset, chef de deux restaurants dans le centre-ville de Toulouse, qui a accepté de soutenir le projet de Yamina en apportant son aide. 

Au prix de 16 euros, les menus comportent une entrée, un plat, un dessert et le café. Les plats sont élaborés avec les produits de La Ferme de Borde Bio ainsi que les légumes cultivés par le maraîcher au pied des tours. Ces ateliers cuisine rencontrent un franc succès, notamment auprès des femmes de quartier qui apprennent à cuisiner des produits bios, issus du circuit court

« Tout le monde a des compétences et peut les mettre à profit. C’est tellement bienveillant que les gens s’inscrivent automatiquement, tout se passe bien. Les habitants apprennent de nouvelles pratiques culinaires, s’informent sur de nouveaux produits. Ça plaît énormément. » 

Si Yamina a à cœur d’aider les habitants à mieux manger, elle veut également renforcer le lien social dans le quartier. La cantine éphémère est située à un carrefour entre les anciens habitants du quartier et les nouveaux. Elle est accessible à tous, ce qui favorise les rencontres, renforce la cohésion et casse les préjugés.

Les cantines éphémères de Yamina rencontrent un grand succès. Au départ, la Toulousaine avait imaginé attirer 30 personnes. Mais au fil des mois, de plus en plus d’habitants ont montré leur intérêt pour ce projet, et les cantines ont réuni jusqu’à 70 personnes. En juillet 2024, Yamina a également organisé une guinguette qui a attiré 150 habitants.

Les cantines éphémères organisées par Yamina favorisent les rencontres et renforcent la cohésion entre les habitants du quartier. Photo : Fabio Boucinha

Aider les personnes dans le besoin

Dans sa démarche, Yamina pense également aux personnes dans le besoin. Son association est conventionnée avec la Sécurité sociale de l’alimentation, ce qui permet aux personnes précaires de venir manger de bons produits à la cantine. Les bénéficiaires peuvent payer en somme violette, la monnaie de la Sécurité sociale. 

La cantine est également ouverte aux personnes en lien avec la Sécurité sociale de l’alimentation, qui peuvent payer leur repas en somme violette. Photo : Fabio Boucinha

Au sein de son association, Yamina propose également une distribution de paniers repas, en partenariat avec Cocagne Alimen’Terre, une association qui organise des actions solidaires pour permettre à tous d’accéder à une alimentation de qualité. Pour 4 euros, les personnes intéressées peuvent profiter de nombreux légumes frais. Au total, 15 familles bénéficient de ces paniers chaque semaine. 

Enfin, la Ferme de Borde Bio propose un maraîchage solidaire en mettant à disposition une parcelle aux habitants, où des légumes poussent toute l’année. Des créneaux de maraîchage de 2 heures sont proposés pour permettre aux habitants de créer du lien tout en repartant avec un panier de légumes bios

Les menus de la cantine sont créés à partir de produits frais, bios et de qualité. Photo publiée avec l’autorisation de Yamina Aïssa Abdi.

Par la suite, Yamina espère que son initiative fera écho dans d’autres quartiers et donnera envie aux habitants d’agir pour leur bien-être

« Ça montre que les habitants savent aussi penser, réfléchir et être force de proposition. Ce projet a pour but de remettre de l’égalité, de la dignité et la justice sociale et alimentaire là où il en manque. Ce sont des choses qui manquent énormément dans les quartiers. Ici, les habitants s’organisent et c’est un exemple qui devrait être pris et reproduit un peu partout. »

– Lisa Guinot


Photo de couverture : Fabio Boucinha

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