Entre les dérèglements climatiques, le marché agroalimentaire ultramondialisé et un budget toujours plus faible consacré à l’alimentation au sein des ménages, beaucoup de difficultés se dressent aujourd’hui devant l’agriculteur qui souhaite s’installer ou simplement continuer à vivre dignement de son métier. Pour répondre à ce constat, l’association Etika Mondo lance des Chantiers Écologiques Massifs pour venir en aide aux paysans et développer un maillage de fermes écologiques de proximité partout en France. Reconnecter le citoyen aux réalités agricoles et mobiliser la force de travail de centaines de personnes pour initier une véritable souveraineté alimentaire sur le territoire français, voici la mission ambitieuse du projet !

Le premier CEM (chantier écologique massif) de France aura lieu du 6 au 13 juin prochain dans les Cévennes. Sa mission ? Créer un emploi agricole pour Emilie, maman de 4 enfants, reconvertie dans l’agrobiologie. Même si les modalités du programme ont du être revues à la baisse à cause de la situation sanitaire, l’évènement accueillera une centaine de personnes sur place, toutes désireuses de contribuer bénévolement à l’installation de la jeune agricultrice au Vignan.

Pérenniser un emploi agricole…

Si cette région du Gard est considérée comme une friche économique classée en « zone de revitalisation rurale » , la ferme se situe également dans une zone de biodiversité incommensurable, en plein coeur du Parc des Cévennes. Au programme pour ce premier chantier : agradation d’une partie des terres agricoles, aménagement d’un chemin d’accès aux terres hautes, mise en place d’une haie sèche, restauration de la châtaigneraie,… De quoi largement améliorer et faciliter le quotidien de la jeune agricultrice !

Le Parc naturel des Cévennes est un lieu à haute biodiversité. – Pixabay

Mais au delà de ce projet spécifique, l’association Etika Mondo se fixe un objectif plus large : aider à la mise en place rapide et efficace de plusieurs fermes écologiques de proximité pour contribuer à une sécurité alimentaire nationale grâce à la mobilisation de centaines de volontaires. Ceux-ci prêteront main forte dans le cadre d’installation, comme pour Emilie, mais aussi de développement, de conversion ou de gestion de crise. Après plusieurs tests en format « mini-CEMs », dont l’aide en urgence auprès de 3 fermes sinistrées par les sérieuses intempéries de septembre en Cévennes, le projet lance ainsi son premier chantier en mode « grandeur nature ».

… Et contribuer à une sécurité alimentaire nationale

A l’origine de cette initiative, c’est une vision lucide de l’urgence climatique et du manque d’autonomie alimentaire de la France qui a décidé les organisateurs. Pour Boris, un des fondateurs de l’association, « Etika Mondo, qui signifie “un monde éthique”, s’est donnée pour mission d’accompagner un véritable changement de civilisation ». Donner les moyens au monde agricole d’initier une transition écologique et sociale lui apparait ainsi tout naturel.

3 « mini-CEMs » ont déjà été réalisés pour soutenir les agriculteurs après de graves intempéries.

Mais la situation actuelle n’est pas encore aussi réjouissante. Dans le domaine spécifique de l’agriculture, la France comme bien d’autres pays dans le monde est bien loin d’atteindre l’autonomie et dépend dangereusement du marché mondial de l’agroalimentaire pour alimenter sa population. Ainsi, d’après une étude publiée par l’agence Utopies en 2017, le degré d’autonomie alimentaire des 100 premières aires urbaines françaises est de 2%, alors que 98% du contenu des aliments consommés sont importés et 97% de l’agriculture locale finit à l’extérieur du territoire. Si nous produisons plus de porcs que ceux que nous consommons, un quart des cochons consommés en France viennent pourtant de l’étranger, notamment d’Espagne et d’Allemagne. Il en est de même pour les filières végétales, puisqu’un fruit ou légume sur deux en moyenne a été cultivé hors du territoire français.

Entre interdépendances et fragilités

Alors que certaines interprofessions du secteur plaident pour un marché encore plus externalisé et plus compétitif sur la scène internationale, les diverses crises que nous traversons, et en particulier la pandémie de coronavirus, ont mis en lumière les failles d’un système alimentaire mondialisé et interdépendant. Comme le rappelle le Centre national belge de coopération au développement, « la fermeture des frontières [suite à la situation sanitaire actuelle] et la diminution des exportations et des importations ont des effets catastrophiques pour les populations limitrophes comme pour les pays dont l’économie est fortement spécialisée dans l’extraction d’une ressource ou la production d’un type de bien. Cela est d’autant plus alarmant pour les Etats qui ont fait le choix d’orienter en très grande majorité leur agriculture vers des monocultures de rentes au détriment de productions vivrières ». Les pénuries alimentaires sont ainsi plausibles voire prévisibles, alors que nous n’avons jamais autant produit de nourriture sur terre qu’aujourd’hui.

Ainsi, pour limiter le phénomène d’hyper-spécialisation de l’agriculture française et renforcer les ceintures d’approvisionnement locales, l’association, comme d’autres dans son secteur, plaide pour une implication massive des français dans le construction d’un maillage de fermes écologiques de proximité. Chaque citoyen peut ainsi se (ré)approprier des savoirs-faire indispensables à un quotidien plus respectueux de la planète tout en participant concrètement à la création d’un emploi agricole et d’un projet vertueux. Une bonne dose de solidarité et de détermination semble ainsi être la clef pour une agriculture relocalisée et résiliente. C’est en tout cas le pari que s’est lancé l’association et les centaines de participants bénévoles !

L.A.

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