L’équipe d’ARTE s’est rendue sur les traces des 43 étudiants disparus à Iguala, au Mexique, à la fin du mois de septembre 2014. Elle lève le voile sur une société où les civils sont parfois contraints d’assurer leur propre sécurité et à rendre justice eux-mêmes, dans un pays où la corruption et la délinquance touche toutes les strates de la société. Depuis plus de huit ans, la violence, les disparitions et les assassinats déchirent le Mexique. « Ya me canse » ! « Je n’en peux plus » en espagnol, est devenu le cri de ralliement de cette population bouleversée depuis ce « crime de trop ». Enquête.
Le crime de trop
La disparition de ces 43 étudiants dans l’État du Guerrero, l’un des plus pauvres du Mexique, a plongé le pays dans une crise morale sans précédent. Étudiants à l’École Normale Ignacio Burgos, ces jeunes étaient formés pour devenir instituteurs dans les zones rurales. Un travail social concret et tellement nécessaire. Mais d’orientation Marxiste, l’établissement était connu pour ses figures contestatrices qui critiquait régulièrement les autorités locales et fédérales. Le 27 septembre 2014, le maire d’Iguala va demander à la police de mettre fin à une manifestation estudiantine. Celle-ci va livrer les jeunes aux membres d’un cartel de drogue. Depuis, plus aucune trace d’eux.
Comme nous l’avions expliqué dans un précédent article, l’enquête avait dévoilé que certains tueurs des cartels de drogue étaient devenus policiers municipaux, bénéficiant de fonds publics, pour réprimer l’opposition. Selon l’ONG Human Rights Watch, dans plus de 145 cas d’enlèvements sont impliqués l’armée, la marine, la police fédérale, des États ou des municipalités. La corruption a donc déjà été observée à tous les niveaux des pouvoirs au Mexique.
La réaction de la population
L’indignation a embrasé le Mexique qui n’avait jamais vu un nombre de disparus aussi élevé. Depuis 2007, on estime qu’il y aurait 100 000 morts et près de 25 000 disparus. Les proches des étudiants, mais aussi toutes les familles des personnes disparues autant que les citoyens, réclament des réponses. Parfois, ceux-ci décident d’aller rechercher eux-mêmes leurs morts. À leur risques et périls, ils partent à la recherchent de fosses et charniers dans les montagnes du Guerrero, où se cachent les cartels, dans l’espoir de retrouver les corps. Jusqu’ici, les restes d’un seul étudiant ont été retrouvés.
Dans certaines villes, la police, jugée corrompue, a été tout simplement remplacée pour des milices citoyennes d’auto-défense. Des civils armés assurent la sécurité des habitants et dressent des postes de contrôle. Leurs résultats sont spectaculaires : dans ces villes, la délinquance aurait été drastiquement diminuée. Cette police communautaire permet de briser le lien traditionnel entre police et pouvoirs pour assurer la sécurité locale de la population plutôt que les intérêts de l’État. Si le contexte particulier du Mexique peut expliquer ce type de milice locale, on l’image très mal ailleurs. En effet, ces milices ne répondent à aucune loi spécifique. En attendant, les autorités Mexicaines ne reconnaissent évidemment pas la légitimité de ces milices et refusent de juger les suspects qu’elles leur remettent. Pour éviter les dérapages et faire « justice » à leur manière, les milices communautaires ont mis au point leur propre système judiciaire encadré de tribunaux populaires. Ces derniers, ne pouvant attribuer de lourdes peines, condamnent souvent les suspects à des travaux d’intérêts généraux.
Le reportage d’ARTE tente de lever le voile sur cette affaire complexe et hors du temps qui fait trembler le Mexique. Si de nombreuses arrestations ont été effectuées depuis la fin septembre, aucune réponse ne semble apaiser la population. La visite prochaine du Président Peña Nieto à Paris, pour la fête nationale française, devrait probablement braquer à nouveau les projecteurs sur cette enquête qui semble avoir définitivement brisé la confiance entre les pouvoirs Mexicains et son peuple.
Source : info.arte.tv