Au moins un activiste environnemental tué tous les deux jours à travers le monde. Au total depuis 2012, c’est près de 2 000 personnes assassinées à travers le monde pour avoir protégé l’environnement. Voilà le constat glaçant posé par l’ONG Global Witness dans son nouveau rapport annuel. 

Si toutes les régions du monde sont touchées, l’Amérique latine se démarque particulièrement en recensant près de 90 % des décès enregistrés. Au cours des onze dernières années, l’ONG Global Witness a documenté et dénoncé des vagues de menaces, de violences et de massacres d’indigènes et de défenseurs de l’environnement à travers le monde, « et 2022 marque le début de notre deuxième décennie de documentation de ces crimes odieux », expliquent les auteurs du rapport.

Freda Huson, femme chef (Dzeke ze’) des Wet’suwet’en, chante lors d’une cérémonie alors que la GRC s’approche pour l’arrêter, appliquant une injonction ordonnée par la cour contre ceux qui bloquent les travaux sur un gazoduc en 2020. Crédits : Global Witness – Amber Bracken/Le Narval

Devant ces chiffres accablants, l’organisation exhorte les gouvernements à renforcer de toute urgence la protection des défenseurs de l’environnement et à reconnaître leur rôle crucial dans la lutte face à l’urgence climatique.

De trop nombreuses victimes

Si le monde a radicalement changé depuis le début de ce recensement, « l’acharnement reste le même », déplorent-ils. L’année dernière, au moins 177 défenseurs ont perdu la vie pour protéger notre planète, portant le nombre total de meurtres à 1 910 depuis 2012. Malgré les engagements internationaux, rien ne semble ralentir véritablement le rythme de ces attaques. « Au moins 1 390 de ces meurtres ont eu lieu entre l’adoption de l’Accord de Paris le 12 décembre 2015 et le 31 décembre 2022 ».

Décès par pays en 2020. – Source et crédits : rapport annuel 2022 Global Witness 

« Même si le chiffre global est légèrement inférieur l’année dernière à celui de 2021, où nous avions enregistré 200 meurtres, cela ne signifie pas que la situation s’est sensiblement améliorée », rappelle l’ONG.

Selon elle, l’aggravation de la crise climatique et la demande toujours croissante de matières premières agricoles, de carburants et de minéraux ne font qu’intensifier la pression sur l’environnement, et indirectement sur les personnes qui risquent leur vie pour le défendre.

Attaques multiples

« Largement sous-estimés », ces chiffres ne tiennent pas non plus compte de tous les autres formes d’attaques subies par les défenseurs de l’environnement. « De plus en plus, des stratégies non meurtrières telles que la criminalisation, le harcèlement et les attaques numériques sont également utilisées pour faire taire les défenseurs », détaille le rapport.

C’est en Amérique latine que la situation s’avère la plus préoccupante. « En 2022, la région représentait 88 % des meurtres, soit une majorité toujours croissante des cas dans le monde. Au total, 11 des 18 pays où nous avons documenté des cas en 2022 se trouvaient en Amérique latine ».

Au Pérou, au Honduras et au Brésil : trois femmes défendent corps et âme  les droits humains des autochtones ainsi que leurs terres natales contre les intérêts dévastateurs de multinationales puissantes. Un combat de tous les jours mis en images par un film percutant : L’illusion de l’abondance.

Secouée par la violence de groupes armés impliqués dans des activités illégales (narcotrafic, exploitation minière, trafics de bois…) depuis des décennies, la Colombie enregistre pas moins de 60 meurtres en 2022, soit le double de l’année précédente. A la deuxième marche de ce classement morbide, on retrouve le Brésil (34), suivi de près par le Mexique (31). Plus loin, les Honduras recense 14 décès et les Philippines 11.

S’il reste difficile d’identifier les causes exactes de ces disparitions, le rapport pointe notamment du doigt le secteur de l’agro-industrie, de l’exploitation minière et forestière. Certaines populations sont aussi particulièrement visées. C’est le cas des peuples autochtones et des femmes.

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Les femmes et les populations indigènes particulièrement ciblées

Ces dernières représentent seulement 11 % du nombre total d’attaques meurtrières. Toutefois, ce chiffre à première vue relativement faible, cache une réalité bien plus complexe : « de nombreuses formes de violence sexiste – allant de la violence sexuelle au rejet par leurs familles et communautés – sont infligées aux femmes. Les défenseuses sont donc confrontées à des attaques sur deux fronts : en plus d’être ciblées en raison de leur activisme, elles sont également confrontées à des violations de leurs droits spécifiques au genre », expliquent les auteurs du rapport.

Photo de Pascal Bernardon sur Unsplash

Les peuples autochtones représentent quant à eux plus de 30% des cibles, alors qu’ils ne constituent que 5% de la population mondiale. Un chiffre qui s’explique en grande partie par leur dépendance culturelle et économique profonde aux ressources naturelles et à notre environnement, qui constitue leur plus grande motivation à le protéger. « Les recherches ont montré à maintes reprises que les peuples indigènes sont les meilleurs protecteurs des forêts et qu’ils jouent par conséquent un rôle fondamental dans l’atténuation de la crise climatique. Pourtant, ils sont assiégés dans des pays comme le Brésil, le Pérou et le Venezuela, précisément pour cette raison », explique l’ONG.

Parmi les personnes assassinées en 2022 figurent également des représentants de l’État, des manifestants, des gardes forestiers, des avocats et des journalistes. « Tous partageaient l’engagement de défendre leurs droits et de maintenir la planète en bonne santé. Tous ont payé de leur vie leur courage et leur engagement », insistent les auteurs du rapport, qui le dédient aux victimes et à leur entourage.

Nombre de personnes indigènes tuées sur une décennie (2012-2022) – Source et crédits : rapport annuel 2022 Global Witness 

Impunité règne face à l’urgence climatique

Pour autant, ces crimes restent le plus souvent impunis : l’organisation épingle de trop nombreuses « négligence en matière d’enquête sur ces crimes » de la part des gouvernements, qui se traduit par « une impunité qui alimente d’autres attaques ».

Au delà du drame vécu par les familles des victimes, ces chiffres sont particulièrement tragiques dans un contexte d’aggravation de l’urgence climatique et environnementale. Ces constatations interviennent en effet seulement quelques semaines avant la réunion de dizaines d’États pour la COP28 de novembre aux Émirats arabes unis.

Mobilisation contre le Tren Maya en 2019. Source : Wikicommons. Voir : https://mrmondialisation.org/le-train-maya-juge-ecocide-et-ethnocide/

Le nouveau rapport de Global Witness souligne le « rôle crucial que jouent les défenseurs de l’environnement dans la promotion et l’application de la justice climatique »  tout en mettant en évidence les meurtres d’au moins 1 390 défenseurs entre le 12 décembre 2015, date d’adoption de l’Accord de Paris, convention historique sur le climat, et le 31 décembre 2022.

– L.A.


Photo de couverture : Ate Gloria et Derek Cabe marchent pour la justice climatique à Manille aux Philippines, sept ans après le meurtre de la militante anti-charbon Gloria Capitan, sauvagement assassinée devant ses petits-enfants par deux hommes armés. Crédit : global witness

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