Un nouveau rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) français dresse un constat accablant des liens entre inégalités de genre, crise climatique et transition écologique. Alors que les femmes sont déjà victimes de nombreuses inégalités socio-économiques à l’échelle mondiale, le réchauffement climatique et la perte massive de biodiversité se révèlent être un fardeau de plus à porter sur leurs épaules. Analyse.

C’est par un constat glaçant que débute le nouveau rapport dressé par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) français : « Dans un monde profondément inégalitaire, où 70 % des plus pauvres sont des femmes, celles-ci sont aujourd’hui proportionnellement plus impactées que les hommes par le réchauffement climatique et la perte de biodiversité, qui viennent renforcer leur précarisation et aggraver les inégalités qu’elles subissent déjà ».

Tisseuse péruvienne. Photo de Willian Justen de Vasconcellos sur Unsplash

Une mise en lumière nécessaire

Présenté au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, par Antoine Gatet, juriste associatif et membre du groupe Environnement et nature au CESE, et par Aminata Niakaté, avocate et présidente de la commission Parité-Egalité de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL), ce rapport vise « non seulement à renforcer la visibilité des injustices environnementales subies par les femmes », mais aussi à proposer des solutions aux nombreux obstacles qui se dressent aujourd’hui devant les femmes qui souhaitent prendre leur place au sein de la transition écologique.

Et pour cause, alors que le Ministère des affaires étrangères s’est publiquement déclaré en faveur d’une « diplomatie féministe » et que le lien entre le genre et le changement climatique a été inscrit à l’agenda de l’Agence française de développement (AFD) depuis plusieurs années, « l’égalité entre les sexes comme axe central de la transition écologique et la lutte contre le réchauffement climatique est loin d’être identifiée par les actrices et acteurs de la vie politique et économique et encore moins du grand public », reprochent les experts. Ces derniers déplorent également un manque de « passerelles » entre les thématiques pourtant transversales du genre et de l’environnement.

Un constat qui ne date pas d’hier

Pourtant, depuis près de dix ans, de nombreux rapports ont mis en lumière les liens étroits entre inégalités de genre et impacts de la crise climatique. Du rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « Changement climatique genre et santé » (2014), à celui du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) « Femmes santé climat livre blanc COP 25 » (2020) en passante par celui de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) « Égalité femmes-hommes et environnement » (2021), « tous confirment que les femmes sont beaucoup plus impactées et subissent de manière disproportionnée les effets du changement climatique et des désordres environnementaux », rappellent les auteurs de l’analyse.

À leur tour, ils dressent un constat accablant de la position extrêmement vulnérable des femmes à l’heure actuelle, et ce sur plusieurs angles.

Les femmes, principales victimes des catastrophes climatiques

 « la vie des femmes et des minorités de genre est plus directement menacée par les épisodes extrêmes dus au changement climatique (typhons, ouragans, cyclones), en particulier dans les pays du Sud ».

Ainsi, parmi les 140 000 victimes du cyclone ayant frappé le Bangladesh en 1999, 90 % d’entre elles étaient des femmes. Au Japon en 1995, le séisme de Kobe a engendré une mortalité des femmes de 50% supérieure à celle des hommes. Plus récemment, 80% des victimes du cyclone Sidr qui a frappé le Bangladesh en 2007 étaient des femmes ou des jeunes filles.

Une femme et des enfants utilisent un bateau sur une rivière pour accéder à des écoles flottantes et à des cliniques médicales après le passage du cyclone Sidr au Bangladesh en 2007. Flickr

« Une étude très détaillée sur la mortalité due aux inondations en France en 2010 fait apparaitre une surreprésentation, avec les enfants, du nombre de décès de femmes suite à la tempête Xynthia, particulièrement celles de plus de 60 ans qui forment à elles seules 44 % de l’ensemble des victimes de la submersion maritime », complète le rapport.

Si chaque cas répond à de conditions particulières, les experts soulèvent plusieurs explications à ce constat : « assignées aux fonctions de soin à la famille, moins mobiles que les hommes, elles sont, en cas de catastrophe, les dernières à rester sur place avec les personnes vulnérables (enfants, personnes âgées et/ ou invalides) ».

Dans certains pays, « du fait de leur faible niveau d’éducation et de leurs déplacements socialement contrôlés, elles ont moins accès à l’information concernant la survenue d’évènements climatiques dangereux ou les actions à entreprendre pour s’en protéger, les endroits où se réfugier, les risques sanitaires générés ».

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Un statut économique précaire qui accentue leur vulnérabilité climatique

Ensuite, le statut économiquement fragile de nombreuses femmes les rend également plus vulnérables aux effets du changement climatique, que ce soit dans les pays occidentaux, « où elles occupent la plus grande partie des emplois peu qualifiés, peu rémunérés et à temps partiel ou incomplet et également les plus précarisés » ou dans les pays dits du Sud, « où les femmes pratiquent une agriculture de subsistance ou une activité modeste dans l’économie informelle ».

Pour ces dernières, les aléas du changement climatiques sont nombreux à peser sur les récoltes (sécheresse, gel tardif, pression urbaine, incendie,…) et menacent ainsi les seuls revenus à disposition. Pour certaines, l’utilisation massive de produits phytosanitaires et de pesticides constitue un danger supplémentaire : « selon l’OMS, 3 millions de personnes sont empoisonnées chaque année par l’usage de pesticides et 250 000 personnes en meurent. Il y a peu de données ventilées par sexe sur l’exposition aux pesticides mais les risques sont supérieurs pour les femmes : accès limité à la formation, connaissance insuffisante des produits, absence d’équipement de protection,… ».

Photo de Pravin Suthar sur Unsplash

De nombreuses femmes sont également contraintes d’aller s’approvisionner en eau de plus en plus loin. « Toujours selon l’OMS, pendant la saison sèche en Inde, la corvée d’eau absorbe 30 % de l’apport calorique journalier des femmes en milieu rural. Elle empiète sur le temps de sommeil et donc sur la santé des filles qui doivent souvent partir très tôt pour accomplir les trajets de plus en plus longs et dangereux vers les sources d’approvisionnement », détaille le rapport.

Une violence de genre renforcée en cas de désorganisation des structures sociales

Les violences faites aux femmes sont également démultipliées lors de situations de crises induites par le changement climatique. Notamment lors de période de pénurie, les tensions liées à l’accès entravé aux ressources naturelles « trouvent un exutoire dans les violences de genre exercées par les hommes ». Couplé à cela, « l’éloignement des lieux de collectes (eau, bois, combustibles divers et ressources alimentaires) rend les trajets des femmes affectées à ces tâches plus dangereux, multipliant les risques d’agressions, de violences sexuelles, voire de traite des êtres humains ».

Exemples d’interactions entre inégalités de genre et impacts climatiques – Extrait du rapport « Inégalités de genre, crise climatique et transition écologique » du CESE : https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2023/2023_05_inegalites_genre_.pdf

Les mariages forcés augmentent également significativement pendant ces crises. Selon l’UNICEF, 15 millions de mineures sont mariées de force chaque année, un chiffre qui pourrait doubler d’ici 2050, principalement en raison du changement climatique. « Par exemple, la pauvreté engendrée par la sécheresse et les inondations seraient la cause directe de 30 à 40 % des mariages précoces ou forcés au Malawi, les familles ne trouvant parfois d’autres choix que de vendre ou marier leurs filles pour survivre », explique les auteurs du rapport.

Quand charge mentale rime avec charge environnementale

En Europe, les femmes sont davantage préoccupées par les effets du changement climatique : 65% des personnes éco-anxieuse seraient des femmes selon des chiffres cités par la fondation Jean-Jaurès (2021). À cette « charge planétaire » s’ajoutent encore trop souvent la charge mentale habituellement supportée par les femmes, mais aussi la « charge environnementale », supportant l’adoption de comportements éco-responsables par le foyer tout entier.

Malgré leur prise de conscience et leur positionnement clé dans la transition écologique, les femmes ne représentent seulement que 35 % des membres des délégations permanentes à la COP 26 sur le climat. Elles sont encore moins à prendre la parole et à être entendue puisque que selon une étude d’ONU Climat, les hommes représentaient 60 % des orateurs actifs en séance plénière et s’exprimaient pendant 74 % du temps.

Six axes de solution pour renverser la tendance

Des constats glaçants et à la fois tristement communs qui illustrent pourtant l’urgence d’agir conjointement en faveur des femmes et du climat. Le CESE appelle alors à une meilleure prise en compte des problématiques de genres au sein de instances politiques nationales et internationales, menant d’urgence à des actions concrètes et engagées en faveur du climat et des femmes.

Campagne de l’ONU – I Stand With Her. 2022.

À travers le développement de six axes principaux, le CESE espère convaincre que « la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité ne peuvent se faire sans tenir compte de la moitié de la population, de surcroît la plus impactée par les conséquences déjà bien marquées du changement climatique ».

– L.A. 


Photo de couverture de Pascal Bernardon sur Unsplash

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation