Au cœur du Costa Rica, une petite communauté résiliente, constituée par des femmes à la fin des années 90, transforme le café en un outil de développement social, d’émancipation et de résistance locale. Un exemple dans un pays qui est le champion du monde de l’usage des pesticides par hectare, devant la Chine ! Rencontre.

0,03% du globe, la taille d’un grain de café sur la carte du monde ! Et pourtant, malgré sa « carrure modeste », le Costa Rica est parvenu à se placer à l’échelle planétaire : l’un des pays les plus naturels au monde, l’un des plus écolos, l’un des plus heureux, une destination touristique prisée et enfin – même si l’argument n’est pas le plus objectif qui soit – l’un des meilleurs producteurs de café au monde pour les amoureux du breuvage. C’est, paraît-il, le sol volcanique qui confère à l’or noir local une saveur intense, douce et une touche de noix… mais ce qui est plus surprenant, c’est le goût féminin, égalitaire et social pour le moins savoureux.

Pour s’en rendre compte, cap vers le sud du pays, en bordure du parc national de La Amistad, dans les montagnes de la région de Buenos Aires. La vie de la communauté de Biolley, 2500 habitants, s’organise autour des activités agricoles de subsistance que sont la production de café, l’élevage, l’arboriculture ou l’agriculture. C’est dans ce décor paisible que des femmes costaricaines ont dessiné leur révolution, dès 1997. Dépassant l’étiquette de femmes au foyer, les préjugés d’une société encore machiste et les limitations d’un secteur ultra-masculin, 19 femmes se sont unies autour du café… Asomobi était né !

Photographie: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Plus de 20 ans plus tard, 37 femmes (les « socias ») animent et dirigent l’association Asomobi (Asociación de mujeres organizadas de Biolley) qui a gagné le respect de toute la montagne ! « Au début, quand les femmes ont lancé ce projet, nos époux ne voulaient pas nous soutenir », nous explique Kattya Serracín Loría, la nouvelle présidente de l’association. « Les hommes ont déclaré qu’ils ne pourraient pas travailler avec nous. Et puis, le temps a passé, on a développé de nombreux projets. On a vu alors qu’on commençait à les impressionner et ils ont décidé de nous soutenir. »

Les hommes sont en train de faire sécher les grains de café.- Photographie: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Résultat aujourd’hui : nous voyons les fils, les cousins, les maris, les voisins travailler pour le compte de l’association, souvent comme ouvrier, jamais comme dirigeant, siège « réservé » aux femmes. « Cela fait 19 ans que je travaille ici, mon métier est formidable, j’apprécie beaucoup collaborer avec elles », nous dit Miguel Loría Sibaja, dans l’attente d’une nouvelle livraison, près du collecteur de café. D’ailleurs, les nombreux producteurs de la région sont tout heureux de bénéficier de l’expertise et de l’enthousiasme entrepreneurial insufflés par les femmes.

« Je pense que travailler avec des femmes, à l’époque que nous connaissons dans la production du café, c’est très important. C’est tout à fait normal et je dirais même que c’est mieux pour tout le monde », nous exprime sans hésitation Arnoldo Barrantes Núñez pendant la cueillette des cerises de café sur sa propriété. « Grâce à Asomobi, nous apprenons énormément pour développer le café de notre région. Elles font de bonnes choses, de très bonnes choses… »

Arnoldo fait partie des producteurs de café d’Asomobi. – Photographie: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Grâce à leur détermination, les femmes de Biolley ont déplacé des montagnes. Sans argent, sans formation, elles sont parvenues à convaincre au-delà de leur communauté pour décrocher l’aide financière et technique nécessaire au développement du projet. L’idée est simple : collecter chez Asomobi les grains de tous les producteurs locaux, les transformer grâce à des outils performants en un café de qualité puis le commercialiser aux niveaux national et international sous la marque de café coopératif Cerro Biolley. « Ce qu’on fait ici est un message pour le monde et pour notre propre famille ! Nous avons montré que les femmes peuvent faire quelque chose d’elles-mêmes et entreprendre de grandes choses », nous raconte Laura Quirós Montoya, l’une des pionnières au travail autour des tables de séchage des grains de café. « La plus grande mission que nous avons avec Asomobi pour les femmes et pour toute la communauté, c’est de générer des ressources plus grandes pour que les femmes et leurs familles puissent vivre dans de meilleures conditions. Autrefois, nous avions une faible estime de nous-mêmes. Ce projet a tout changé en termes de confiance en nous. Nous savons désormais que si nous avons des rêves, nous pouvons aussi les réaliser. Cela, nous l’avons transmis à nos filles ! »

Laura est en plein travail. Elle est l’une des pionnières de l’association. – Photographie: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Asomobi grandit patiemment et produit aujourd’hui 6 tonnes de café par an. C’est une petite production, certes, mais l’aventure rejaillit sur toute la communauté. Le café de Biolley est un instrument de développement social et d’insertion, respectueux de l’environnement. Le café ne peut pas encore se targuer d’être bio (le label est difficile à obtenir, vous comprendrez dans la suite de cette visite), mais la production est étiquetée « Bandera Azul Ecológica », un label national certifiant une pratique respectueuse des ressources naturelles.

Miguel et Paco aident désormais au quotidien les femmes de la communauté. – Photographie: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

L’odeur irrésistible du café flotte dans la propriété. Nous approchons d’un atelier fumant : « la Tostadora » où Ángela Serracín Loría travaille à la torréfaction des différents types de café destinés à la vente tout en nous parlant des vertus de ce « caféminin » : « Je pense que les femmes, qui sont souvent aussi des mères, ont une vision différente de celle des hommes. C’est notre instinct maternel, on prend plus soin des autres, on perçoit les besoins de toute la famille. C’est différent des hommes, sans doute un peu plus sentimental, mais avec beaucoup de force tout de même ! » affirme-t-elle sans détour.

Aujourd’hui, Ángela emballe les paquets de café destinés à la vente. – Photographie: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Tout petit pays sur la carte du monde, le Costa Rica offre tout de même aux amateurs 1% de la production mondiale de café (dans le top 15 des pays producteurs de café l’an dernier). Et tous ici sont fiers d’y contribuer en partageant au monde leur savoir-faire ancestral ! 18h, un camion arrive, un producteur vient déposer le fruit de la cueillette du jour. Paco et Miguel sont prêts, ils sont épaulés par Robin, un volontaire belge tout heureux d’avoir choisi ce projet pas comme les autres: « Je suis ici dans le cadre de mes études d’économie sociale et solidaire. C’est vraiment super intéressant car c’est un modèle à petite échelle avec toutes ses vertus. Asomobi est une petite entreprise soucieuse du local puisque ce sont leurs terres et que les travailleurs sont leurs proches. Cette économie est respectueuse de la planète et des hommes et elle a, avant tout, un but social qui dépasse le profit à l’état pur. Quand on regarde dans la vallée, on voit que ce sont deux écoles de développement qui s’affrontent ! »

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Photographies: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Le voisinage direct d’Asomobi en effet témoigne d’un des grands paradoxes costaricains : des milliers d’hectares de champs d’ananas, cultivés par le géant américain Del Monte. Déforestation, cultures intensives, accaparement et appauvrissement des sols, pesticides… le statut de premier exportateur mondial d’ananas a un coût environnemental certain, pour répondre à la demande des consommateurs nord-américains et européens. Selon l’Organisation mondiale pour l’alimentation (FAO), le Costa Rica est même le champion du monde de l’usage des pesticides par hectare, devant la Chine.

La multinationale Del Monte achète de plus en plus de terres pour la production d’ananas. – Photographie: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Grâce au soleil – mais surtout aux pesticides – les champs de fruits produisent toute l’année et Del Monte peut se targuer dans son bilan 2018 d’avoir « augmenté les ventes d’ananas de 2% grâce essentiellement à l’expansion de la production au Costa Rica » le géant déclare cultiver plus de 50.000 hectares de terre.

Asomobi est d’ailleurs menacée par la gourmandise de la multinationale qui travaille ici sous le label « Pindeco ». Les plantations s’étendent toujours un peu plus encerclant dangereusement la nature montagneuse de Biolley. « Pindeco affecte forcément notre environnement, leurs plantations sont très proches. Ils sont très puissants et nous tout petits, mais nous espérons qu’ils ne s’approchent pas plus de notre montagne et de notre nature ! », prévient Kattya, la présidente.  « C’est dur pour nousils polluent l’air et les sols, alors que notre entreprise se veut durable. Le message qu’ils véhiculent, c’est qu’avec beaucoup d’argent, on peut faire ce qu’on veut, même salir l’environnement. Cette vision est déplorable pour nous qui tentons d’attirer des visiteurs ici. »

Photographies: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Les activités de Del Monte au Costa Rica sont scrutées par l’association mondiale “The environmental justice atlas” qui relève sur son site tous les conflits environnementaux liés aux activités du géant de l’ananas : « Le système de production dépend des produits chimiques, qui comprennent l’utilisation d’herbicides, de fongicides, d’insecticides et d’engrais, afin d’induire une floraison et de réguler la récolte des plantes. Les complexes industriels sont également installés pour la collecte et l’emballage du produit, ce qui a considérablement changé le paysage. L’expansion de la production d’ananas, sans planification appropriée et sans contrôle par les institutions publiques, a généré de nombreux impacts négatifs, environnementaux, sociaux, sanitaires et sur le plan des droits de l’homme. »

Dans ce contexte, la démarche courageuse des femmes de Biolley s’apparente à une forme de résistance locale indispensable. Le café qu’elles produisent se partage également autour d’elles avec encore plus de bonheur au sein de leur petite « Posada » où l’éco-tourisme cher au Costa Rica prend ici tout son sens.

– Pascale Sury & Mr Mondialisation

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