Lorsque l’on pointe du doigt l’industrie pharmaceutique, c’est la plupart du temps pour dénoncer des abus de pouvoir et une volonté de faire passer le profit avant le bien commun. On parle en revanche beaucoup moins d’un aspect également très dérangeant dans le secteur : son sexisme. Quatre preuves de ce phénomène.

Au départ créé et dirigé par des hommes, le domaine du médicament a avant tout été pensé pour résoudre en priorité les problèmes du sexe masculin qui ne sont pas systématiquement identiques à ceux de son homologue féminin.

Que ce soit au niveau de la recherche, du marketing, ou de l’accès aux soins, les femmes sont toujours moins bien loties que les autres. Petit retour, en exemples, sur cette réalité peu connue.

@pexels-karolina-grabowska

1. Une recherche clinique fondée sur le corps masculin

Historiquement, la plupart des professions de prestige et de pouvoir étaient trustées par les hommes ; la médecine et la recherche ne font pas exception. Ainsi, la majorité des sujets sur lesquels ont été testés les médicaments sont des hommes. Et c’est même encore largement le cas de nos jours.

À l’époque des premiers essais, on percevait d’ailleurs les femmes uniquement comme des individus destinés à faire des enfants, et il ne fallait surtout pas risquer d’enrayer la machine reproductive avec des produits expérimentaux. Et même si cette vision n’est plus aussi installée aujourd’hui, elle reste malgré tout existante. Ainsi, encore actuellement, sur l’ensemble des protocoles en recherche clinique, seulement 33,5 % des participants sont des femmes.

Par voie de conséquence, bon nombre de molécules validées par la science l’ont été sur le sexe masculin. Or, en raison de plusieurs facteurs, les médicaments n’ont pas forcément exactement le même effet sur les femmes que sur les hommes.

S’agissant par exemple du sida, ce dernier a tendance à rester plus longtemps en dormance chez les femmes, ce qui le rend plus difficile à éliminer. Or, selon une étude de 2016, 89 % des sujets testés pour les nouveaux traitements de ce virus sont encore des hommes. Un véritable problème pour l’efficacité du remède, d’autant que la gente féminine ne subit pas des effets secondaires similaires.

Et les cas de ce type sont légion. On peut citer entre autres les maladies cardiovasculaires qui n’affectent pas les femmes de la même façon. Pourtant, à peine 30 % des participants aux études sont des femmes.

À noter enfin que les femmes ne sont pas les seules victimes de ce processus centré sur un profil masculin blanc. Ainsi, les Caucasiens sont largement surreprésentés par rapport à d’autres ethnies ; or chacun ne réagit pas non plus de la même manière face aux traitements et aux maladies. Un constat qui vaut d’ailleurs également selon le mode de vie, l’âge ou le handicap. Des facteurs que la recherche a encore tendance à négliger.

2. Un marketing sexiste

L’industrie pharmaceutique surfe par ailleurs sur les clichés sexistes qui alimentent notre monde pour faire de l’argent sur le dos des femmes. De cette manière, elles sont poussées à consommer des médicaments pas forcément indispensables pour correspondre à l’idéal féminin véhiculé par la société patriarcale.

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Cette injonction à s’occuper de leurs corps pour rester « désirable » permet aux laboratoires de vendre toutes sortes de produits pour embellir sa peau, pour maigrir ou pour améliorer l’éclat de ses cheveux, et ce dès l’adolescence. Ainsi, de multiples traitements hormonaux sont également utilisés dans des buts esthétiques, comme la pilule contraceptive pour réguler l’acné, avec tous les effets secondaires impliqués.

La ménopause, qui est quasiment décrite comme une maladie, est aussi largement instrumentalisée par les entreprises pharmaceutiques pour écouler toutes sortes de médicaments, notamment pour augmenter la libido et satisfaire celle des hommes. Et peu importe si ces médicaments provoquent, pour cela, des effets secondaires.

En outre, de nombreux industriels n’hésitent pas à profiter de cette inégalité de rapport au genre pour pratiquer une « taxe rose ». C’est-à-dire vendre deux produits absolument identiques à deux prix différents. C’est le cas de Nurofen, un anti-inflammatoire couramment utilisé pour soulager des menstruations éprouvantes.

En conditionnant le médicament dans un joli emballage rose où l’on peut lire NurofenFEM et en apposant une inscription bien visible « règles douloureuses », le laboratoire s’est senti autorisé à réclamer 65 centimes de plus que la boîte classique. Et pourtant, à l’intérieur, s’y trouve le même médicament, dans une quantité identique. Un juteux business qui ne se cantonne d’ailleurs pas qu’aux produits pharmaceutiques.

3. Les femmes moins bien soignées

l’immense majorité des traitements qui ont créé des scandales sanitaires et qui ont été retirés de la vente concernait essentiellement les femmes.

Au bout du compte, les femmes sont donc moins bien soignées que leurs homologues masculins. D’abord parce que les savants se consacrent avant tout aux difficultés des hommes et que bon nombre de problématiques liées au sexe féminin sont laissées de côté.

Évidemment, le fait que la recherche soit moins adaptée à la gent féminine engendre des remèdes moins efficaces. Et parfois même nocifs. Ainsi, l’immense majorité des traitements qui ont créé des scandales sanitaires et qui ont été retirés de la vente concernait essentiellement les femmes. On peut citer par exemple Distilbène, Agréal, Levothyrox, Mediator, ou encore Androcu.

Comme l’expliquent Delphine Bauer et Ariane Puccini, deux autrices d’un ouvrage sur le sujet, sur 35 médicaments remboursés jugés dangereux mis en circulation en France, 30 étaient surtout prescrits à des femmes. De plus, d’après une étude menée entre 1967 et 2018, sur 18 millions de personnes à travers le monde, 60.1 % des effets secondaires dus aux traitements touchaient des femmes.

Les stéréotypes de genre entraînent également des complications qui peuvent même être fatales. Dans l’imaginaire collectif, les femmes sont par exemple perçues comme plus sensibles que les hommes. Si ces derniers se plaignent, c’est qu’il y a une bonne raison, tandis que pour les premières, le mal peut être simplement psychosomatique. En réalité, on pourrait aussi souligner que la société éduque les jeunes filles pour qu’elles se lamentent moins, ce qui peut retarder la prise en charge.

De même, pour beaucoup de médecins, les maladies liées à l’alcoolisme, au tabagisme ou au stress professionnel viennent moins spontanément à l’esprit des femmes. Et ce même si ces fléaux touchent aujourd’hui une partie d’entre-elles. Les dysfonctionnements cardiovasculaires sont même devenus la première cause de mortalité chez les femmes européennes. C’est ce qui se produit dans 55 % des cas, contre seulement 43 % pour les hommes.

Ce décalage s’explique peut-être en partie par la prise en charge sur le terrain. Ainsi, une étude canadienne de 2012 démontrait qu’à symptômes équivalents, les hommes se voyaient proposer un électrocardiogramme plus promptement que les femmes. Alors que l’on soupçonne un infarctus assez rapidement dans le cas des premiers, on mise souvent sur une simple crise d’angoisse pour ces dernières. Des préjugés qui peuvent coûter très cher puisque les minutes perdues pour les femmes peuvent tout bonnement leur être fatales.

En outre, les indices de détresse cardiaque chez les femmes sont parfois moins clairs que pour les hommes (nausée, mal à l’estomac, faiblesse généralisée), et plus difficiles à reconnaître, d’autant plus pour des praticiens moins bien formés sur le sujet.

4. Le cas récent du Spasfon 

Pour couronner le tout, les problèmes de santé exclusifs aux femmes sont beaucoup moins bien pris en charge par la médecine qui a tendance à les négliger. On pense notamment aux douleurs menstruelles qui sont considérées comme « normales » alors qu’elles peuvent être très éprouvantes. Dans le domaine, la recherche reste d’ailleurs sous-financée et il existe peu de traitements efficaces.

Le scandale du Spasfon, médicament le plus souvent prescrit contre ces souffrances malgré son inefficience, en est la parfaite illustration.

@period.studio

On a lu « Pilules roses », l’essai de Juliette Ferry-Danini qui questionne l’utilité du Spasfon pour réduire les douleurs de règles. On y apprend que le marketing autour de ces pilules roses est carrément sexiste, et que rien ne justifie qu’on le prescrive autant aux femmes qui souffrent de règles douloureuses… « Pilules roses » aux Éditions Stock👏

♬ son original – Period.

À force de juger ces douleurs comme ordinaires, les médecins passent aussi bien souvent à côté de l’endométriose, qui touche une femme sur dix et qui provoque des maux extrêmement intenses au moment des règles et peuvent conduire à des complications plus conséquentes encore.

Enfin, les femmes ont également moins de possibilités de soin pour des raisons plus indirectes. En effet, du fait de leur travail qui est beaucoup moins valorisé que celui des hommes, elles disposent de moins de ressources financières, ce qui, de fait, ne leur permet pas d’avoir un accès équivalent aux médicaments. Ce constat est d’autant plus véridique qu’elles ont bien souvent à leur charge plus de produits à acheter que les hommes : contraceptifs, traitements hormonaux, anti-douleurs et articles liés à leur cycle menstruel.

Sortir la santé des griffes du capitalisme

Une nouvelle fois, à la lumière de ces constats, il paraît très compliqué de confier des secteurs aussi cruciaux que la santé à des organismes privés dont le but premier reste avant tout de faire du profit.

Pour s’enrichir, l’industrie pharmaceutique n’hésite pas à appuyer sur tous les clichés et dérives sexistes véhiculés par notre société patriarcale. Il sera même sans doute beaucoup plus lucratif de fabriquer une crème soi-disant amaigrissante pour perpétuer nos stéréotypes de beauté actuels que de trouver un traitement contre une maladie grave qui toucherait une petite fraction de la population, à moins de faire grimper son prix au-delà de toute mesure.

Ainsi, il paraît beaucoup plus raisonnable de placer la production et la recherche médicale sous la responsabilité d’un Etat géré de manière véritablement démocratique. En commençant par nationaliser une bonne partie des laboratoires privés ?

– Simon Verdière


Photo d’entête @cottonbro studio/Pexels

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