Dans la loi, hommes et femmes sont a priori égaux en droits. Génial ! Mais en pratique, c’est autre chose, n’en déplaisent aux masculinistes. Notre société, qui hérite d’un passé (très) proche ouvertement misogyne et où même les médicaments et la sécurité en voiture ont été conçus depuis l’homme comme référent, demeure foncièrement patriarcale. Tribune coup de gueule (au fil, entre autres, de l’excellente série Arte : « Un Podcast à soi »).

Cela commence dès l’enfance, où tu seras exposée aux stéréotypes de genre, histoire de te formater à des goûts et comportements prétendus féminins. Pour rentrer dans le moule, il faut jouer à la poupée, à la dînette, et à ces jouets qui singent des activités d’adultes responsables (ménage, courses, caissière…).

Bien sûr, tu peux t’amuser avec des petites voitures comme les garçons, mais tu entendras alors que tu es « un garçon manqué ». Bizarrement, on ne dit jamais d’un garçon qu’il est une fille manquée, puisqu’être une fille est déjà un manquement par nature…

Dès le plus jeune âge, on loue le calme et la douceur d’une petite fille. Qu’un garçon soit énergique, remuant, est en revanche « normal », mais attention à ne pas pleurer non plus ! C’est montrer sa faiblesse et on n’est pas faible quand on est un garçon. Les émotions, c’est pour les filles. Puis pour les femmes, plus tard, qui porteront majoritairement la charge mentale et émotionnelle, en somme le soin, de leur entourage.

On s’attendrit quand une petite fille veut se pomponner comme une grande, ce que les marques ont bien compris au passage en vue de former de futures consommatrices. Chez les garçons, se maquiller n’est pas toléré, contrairement à la bagarre. D’ailleurs quel jouet offre-t-on souvent et sans arrière pensée à un garçon ? Des pistolets, des épées ou des figurines de combat.

Tout un symbole de violence. La société a beau jeu de s’offusquer ensuite des jeux vidéo ou des comportements violents alors que pléthore de divertissements phares de l’enfance reproduisent des mises à mort.

Adolescente, tu vas découvrir d’autres ennuis : ta tenue et ton maquillage seront sujets à nombre de commentaires et débats jusque dans les plus hautes sphères politiques contrairement à l’habillement des garçons, bien moins scruté (le règlement de l’établissement Stanislas en est une illustration parfaite).

Tu seras tour à tour trop couverte ou pas assez, ainsi on aura toujours quelque chose à te reprocher, surtout si tu te fais agresser, car par « ton manque de pudeur » tu auras alors été coupable d’aguicher le pauvre agresseur soumis à ses pulsions.

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De plus, ta manière de te vêtir risque de faire croire que tu es plus âgée, ainsi qu’aime se défendre la culture du viol ou de la pédocriminalité. Et qu’importe si les faits montrent que la manière de s’habiller n’a aucune incidence sur le harcèlement de rue ou les agressions sexuelles, tant il est bien commode pour une société patriarcale de rejeter la faute du comportement des hommes sur les femmes.

On ne s’étonne alors plus du faible taux de condamnation pour viol et des autres violences sexistes et sexuelles quand bien même la parole s’est libérée dans le sillage du mouvement #MeToo.

A l’adolescence, vient le temps des premières relations amoureuses. Là encore, la vie d’une femme n’est pas perçue de la même manière que celle d’un homme. Si l’âge du premier rapport ne fait pas l’objet de considérations négatives pour un garçon, on préfère qu’une fille se « préserve » et reste « sage ».

Le nombre de partenaires d’un homme sera toujours porté à son crédit alors qu’une femme en aura toujours eu « trop », et si elle en avoue peu, c’est qu’elle ment comme en témoigne la tendance odieusement sexiste du body count.

Mais il se trouvera aussi des belles âmes pour te reprocher de ne pas coucher assez, parce qu’il faut toujours pouvoir te reprocher quelque chose.

Source : flickr

Et les critiques de continuer tout au long de ta vie d’adulte. Tu restes célibataire ? Tu seras une « vieille fille » avec sa cohorte de clichés péjoratifs. Tu choisis de te marier au sein d’un modèle hétérosexuel ? C’est peut-être pour profiter de la situation de ton mari et mieux le dépouiller en cas de divorce. Vous ne voulez pas d’enfants ? Vous êtes des égoïstes et toi, la femme en particulier, tu passes à côté du sens de ta vie. Vous décidez d’avoir des enfants ? Alors il ne faut pas en avoir un seul au risque d’en faire un enfant gâté, mais pas plus de trois car tu auras alors droit à l’étiquette de « poule pondeuse » ; quoique seulement si tu es prolétaire, car le sexisme est aussi corrélé au classisme, au racisme, à l’âgisme, au validisme, à l’hétéronormie et bien d’autres fléaux interconnectés sous le prisme de la domination.

Bien sûr, tu devras ensuite être une mère exemplaire, tâche impossible s’il en est. Le moindre écart de conduite des enfants étant reproché principalement à la mère, parfois aux deux parents, mais jamais uniquement au père étrangement.

N’imagine pas pouvoir mener une vie professionnelle en parallèle de ta vie de famille, tu seras immanquablement une mauvaise mère alors qu’à l’inverse on valorise les pères qui se dévouent à leur travail. Mais si tu décides d’être mère au foyer, tu n’échapperas pas non plus aux remarques désobligeantes puisque tu vivras alors aux crochets des autres, et qu’importe le travail domestique gratuit que tu fournis et l’insécurité financière que ce statut amène.

Et si un jour vous vous séparez, dans le cadre d’un couple avec un homme, la responsabilité de la rupture pèsera davantage sur toi que sur lui. Car même si ton ex a eu un comportement inexcusable, tu entendras que « tu n’avais qu’à mieux le choisir » ou que « tu aurais pu mieux le retenir », que « tu as été trop ceci ou pas assez cela » et qu‘ »un homme ça se ménage » (!).

Quel que soit ton âge, mais encore plus avec l’âge, tu subiras des critiques sur ton physique. Si tu es perçue comme belle, prépare-toi aux commentaires dégradants, idem si tu ne l’es pas d’ailleurs. Ta ligne à travers l’obsession de la société pour la minceur féminine sera le marronnier phare des magazines féminins, même encore aujourd’hui.

Un jour viendra où tu auras des rides, ce qu’on ne manquera pas te faire remarquer négativement contrairement aux hommes dont elles ajoutent au sex-appeal. Mais si tu as recours à la chirurgie esthétique pour effacer tes complexes et imperfections physiques, tu seras blâmée.

Ta façon de t’habiller continuera de susciter des commentaires en tout genre. Si tu ne te maquilles pas assez, on te reprochera de ne pas prendre « soin de toi » mais également si tu te maquilles « trop », car cela est vu comme vulgaire. Même une simple coupe de cheveux inhabituelle pourra déclencher un tollé médiatique.

Bref, tu l’auras compris, quoi que tu fasses, tu récolteras des réprobations inévitablement contradictoires, car elles ne sont que les symptômes arbitraires d‘une volonté d’emprise sur le corps des femmes ancrée dans les mœurs depuis plusieurs siècles. Inutile donc de chercher à les éviter, elles sont le fruit de longues années de pouvoir patriarcal dont on serait toutes et tous bien arrogants de croire s’être débarrassés si vite, d’autant que beaucoup s’échinent à le conserver.

Alors, une fois ce constat intégré, il ne te reste qu’une attitude à adopter : assumer tes goûts, choix de vie, opinions, paradoxes, nuances, complexités, au mépris des diktats archaïques de certaines mentalités profondément enracinées. Tant pis si cela dérange. Tu ne seras pas la seule, nous sommes légion.

– S. Barret

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Photo d’entête @pexels-rosivan-morais

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