L’accaparement des terres est considéré par beaucoup comme un véritable fléau du siècle autant sur le plan social qu’environnemental. Comme tout pays où les ressources sont abondantes, le Pérou est la cible de grands groupes d’intérêts privés qui, parfois avec l’aide des autorités, tentent de s’approprier les terres notamment à la recherche de minerais précieux. Une paysanne péruvienne, propriétaire d’une parcelle de terre, contrecarre les projets d’une multinationale, devenant un véritable symbole de la résistance dans son pays et dans le monde. Retour sur son combat.
L’histoire tristement banale d’une expropriation
Máxima Acuña de Chaupe est une paysanne péruvienne à la fois ordinaire mais singulière. Elle lutte depuis plus de cinq ans contre un projet minier pharaonique qui risque de saccager ses terres et la nature qui y vit. Face à elle, deux géants de l’industrie : la multinationale Newmont et la compagnie minière Yanacocha dont la Banque Mondiale fait partie des investisseurs.
Le super-projet « Conga » mené par ces groupes vise à exploiter les ressources en or, en argent et en cuivre abondantes dans la région. Une opération qui nécessite non seulement le déplacement de populations mais également l’appropriation des lacs des montagnes qui fournissent une eau saine aux communautés locales. L’un de ces lacs se trouve sur la propriété de Máxima…
L’histoire de Máxima débute en 1994 quand elle achète légalement des terres où elle vit actuellement avec sa famille. En 2011, une multinationale se présente à elle pour racheter ses terres. Malgré des offres généreuses, elle refuse de vendre sa propriété aux promoteurs du projet minier. Impensable pour l’entreprise Yanacocha qui estime que les terres furent déjà cédées par les responsables de la communauté Sorochuco. Depuis, la multinationale tente d’expulser Máxima et les siens en faisant usage des forces de police péruviennes. Lors d’une perquisition violente en août 2011, des membres de la DINOES (police nationale péruvienne) auraient violenté la paysanne et la plus jeune de ses filles jusqu’à ce qu’elles soient inconscientes. Son élevage fut saccagé et de nombreux animaux furent retrouvés morts. La militante dénonce une véritable campagne de harcèlement moral à son encontre et une peur quotidienne pour sa famille.
David et Goliath devant les tribunaux
« J’ai peur pour ma vie, pour la vie de mon mari, pour la vie de mes enfants et pour la vie des gens de la communauté qui nous défendent, nous et notre eau. » exprimait Máxima en 2012 alors qu’elle était attaquée en justice par l’entreprise Yanacocha qui réclame la propriété de ces terres. Octobre 2012, le juge de Celendín se range aux côtés de la multinationale en condamnant la famille de Máxima pour occupation illégale et usurpation de propriété. La justice la condamne alors à trois ans de prison avec sursis et à payer des dédommagements à la multinationale. À peine un an après, soutenue par des associations des Droits de l’Homme, Máxima remporte son procès en appel. La Haute Court de Cajamarca a estimé que le dossier comportait de nombreuses irrégularités autant légales que factuelles, dont la négation pure et simple de son titre de propriété. L’activiste redevient alors la seule et unique propriétaire des lieux.
Des jets de projectiles provenant des travailleurs de la mine vont blesser et crever un œil du chien mascotte de la communauté.
L’histoire éprouvante ne s’est malheureusement pas arrêtée là. Les tentatives d’intimidation vont se multiplier jusqu’à aujourd’hui. En février 2015, comme ce fut le cas en 2011, un groupe de 200 hommes ont pénétré dans la propriété de l’activiste pour démolir une nouvelle construction entamée par la famille en vue de remplacer leur demeure actuelle. Orchestrée par les forces de police nationales (DINOES) ainsi que des membres d’une milice privée appartenant à Yanacocha, la mise à sac s’est déroulée sans aucun document légal. Par ailleurs, l’entreprise fermerait arbitrairement l’accès à certaines routes traditionnelles à l’aide de barbelés, empêchant la famille de travailler ou de se rendre au marché local. Même les membres d’ONG humanitaire peinent aujourd’hui à se rendre sur place pour rencontrer la paysanne. Glevys Rondón, de l’agence Latin American Mining Monitoring Programme, s’est vu barrer la route à l’approche des terres de Máxima par un garde de la compagnie minière. La multinationale se comporte en pratique comme si la zone lui appartenait. « On a passé quelques heures dans une espèce de commissariat. Une fois libérés, on a dû faire un détour impressionnant pour constater enfin les conditions épouvantables dans lesquelles vit la famille Chaupe. » explique l’homme à la presse.
La résistance s’organise sur le plan international
En avril 2015, suite à ces nouvelles exactions, l’activiste recueillait 150 000 signatures pour protester contre les tentatives d’intimidation de Yanacocha. À travers ce triste exemple, le lien indéfectible existant entre la défense des Droits de la Terre et ceux des Droits de l’Homme saute aux yeux. Si cette histoire fut fortement médiatisée, elle semble devenue tristement banale dans une mondialisation où les capitaux ont plus de pouvoir que les individus. Au Pérou, les conflits sociaux se multiplient entre communautés autochtones et grandes entreprises. Pour Máxima, il faudra finalement cinq années de luttes devant les tribunaux et un passage devant la Cour Suprême pour avoir gain de cause.
Si, sur le terrain, ils sont nombreux à dire « No Pasarán », parfois au péril de leur vie, le combat de Máxima Acuña est devenu emblématique et porteur d’espoir. Depuis bientôt cinq ans, sans savoir ni lire ni écrire, cette femme lutte de toutes ses forces, incarnant la résistance du pot de terre contre le pot de fer pour de nombreux militants péruviens. Car derrière elle, ce sont désormais des centaines de militants qui s’activent pour défendre leurs terres. De son côté, visiblement soutenue par des décideurs politiques aveuglés par la – soit-disante – nécessaire Croissance du pays, la multinationale maintient que les terres lui appartiennent et qu’elle continuera de réclamer sa propriété par toutes voies « légales » possibles. Une Zone à Défendre si loin des yeux du consommateur occidental, et pourtant si proche de lui, peut-être même, un jour, au bout de son doigt…
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Sources : m.lalibre.be / facebook.com/MaximaChaupe / congaconflict.wordpress.com / tiki-toki.com / ecowatch.com / indiancountrytodaymedianetwork.com / information.tv5monde.com / Soutien