Les yeux du monde sont rivés sur l’Amazonie depuis quelques jours, paradoxalement, trois semaines après les débuts des incendies. À travers le monde, l’indignation est aussi forte que l’impuissance générée par un tel évènement, conséquence d’un modèle mondialisé. Mais l’Amazonie est loin d’être la seule région à brûler. Outre l’Afrique subsaharienne et la Sibérie, au sud du Brésil, les espaces naturels de la Bolivie, une des plus vastes zones humides du continent, sont également en proie aux flammes.
Toute l’Europe a les yeux tournés vers l’Amazonie qui brûle sur le continent sud américain, suscitant indignation, colère et sentiment d’impuissance. Tel un deuil que nous menons collectivement à l’échelle planétaire. Étonnamment, la plupart des médias français ont mis trois semaines à en parler timidement suite à la pression grandissante des partages sur internet. Mais avons nous été informés qu’au même moment, un million d’hectares de nature partait en fumée dans l’est de la Bolivie ? C’est une lectrice bolivienne, Sofia Dromundo (actuellement à Paris pour réaliser une thèse à la Sorbonne), qui nous alerte sur l’ampleur du drame.
Les faits : depuis le 7 août, la plus grande forêt sèche tropicale saine au monde (la « Chiquitania ») brûle dans l’indifférence générale. Depuis quelques heures, la situation semble avoir cependant gagné l’attention de certains. Sous la pression populaire, ce 25 août, le président bolivien Evo Morales vient enfin d’accepter l’aide internationale proposée depuis plusieurs jours par le Paraguay et l’Argentine notamment. Mais c’est aussi son déclin de popularité qui l’aurait poussé à agir si tardivement car des élections – dont il a fait repousser la campagne – arrivent en octobre avec l’ambition d’une réélection illégale. En effet, l’homme a récemment perdu un référendum lancé afin d’autoriser sa réélection, ce que la population a majoritairement rejeté.
« La Bolivie est en deuil à cause de cet écocide et ethnocide. Le son des animaux qui crient pendant qu’ils brûlent et des arbres qui tombent est insupportable, mais personne semble s’intéresser, du moins pas à la Bolivie. » insiste Sofia Dromundo pour qui ces actions tardives symbolisent surtout une manœuvre politicienne à des fins électorales comme il est d’ailleurs possible d’en observer chez d’autres gouvernements.
Jusque ici, avec près d’un million d’hectares partis en cendres et un nombre incalculable d’animaux calcinés, l’évènement ne nécessitait d’action de la part des autorités ni d’être appelé un « désastre national » selon le président. Des incendies qui interviennent alors que le président a signé, un mois auparavant, un accord pour autoriser les brûlis (le décret suprême 3973) en cette période de l’année, sans consulter son gouvernement. Brûlis qui, comme au Brésil où ils sont interdits en cette période de l’année, ont tendance à dégénérer rapidement en incendies incontrôlables en raison de la sécheresse inhabituelle qui frappe l’humanité cet été.
En théorie, la mise en place de ce décret doit permettre de décupler la production de viande de bœuf destinée à l’exportation en Chine et en Russie. En effet, les brûlis servent le plus souvent à défricher de larges zones pour y placer des élevages industriels. Son abrogation est demandée par 21 organisations de la société civile bolivienne arguant qu’il a contribué à provoquer ces incendies et violé les lois environnementales de la Bolivie. Il est donc fortement soupçonné que ces incendies aient été allumés volontairement pour obtenir de la terre cultivable/utilisable par l’industrie, puis qu’ils soient devenus incontrôlables. Mais pour les représentants du gouvernement, ces feux sont tout à fait normaux à cette époque de l’année et en aucun cas liés au décret multipliant les brûlis…
Un soupçon renforcé par les accointances suspectées du président avec les intérêts capitalistes de l’agro-industrie et des narcotrafiquants : la production de coca aujourd’hui dépasse largement l’offre nécessaire pour satisfaire la consommation locale. Pourtant, plusieurs des forêts brûlées dans les dernières années ont été remplacées par de nouvelles plantations de feuille de coca, nous explique Sofia Dromundo. Un écosystème unique abritant plus de 550 espèces (dont certaines endémiques) ravagé, des populations indigènes ayant perdu leur lieu de vie déplacées, voilà qui ne semble pas peser bien lourd en comparaison des juteuses retombées économiques de l’agro-industrie et des narcotrafiquants.
« On entend les pleurs d’impuissance des gens qui essayent d’éteindre le feu sans moyens et voient leur efforts vains… avec le vent le feu a repris et tout ce qu’ils avaient pu éteindre est reparti en feu. »
Sur place, on peut louer le courage des pompiers qui combattent les flammes avec du matériel vétuste, en témoignent ces images prises cette semaine. Entre leurs chaussures trouées et l’équipement non renouvelé, la tâche semble impossible. Ils sont soutenus par des civils bénévoles sans moyen et expérience qui risquent leur vie dans une fournaise de 55°C, combattant le feu parfois simplement armés de branches. Certains s’évanouissent faute d’équipement respiratoire adéquat, d’autres voient leurs vêtements en polyester fondre à même leur corps. D’autres bénévoles, toujours, leur apportent de l’eau pour qu’ils puissent se rafraîchir et tenir le coup. Les scènes rapportées semblent ubuesques.
Mais leur action ne se limite pas qu’à limiter l’avancée des flammes. En plus de lutter contre le feu, pompiers professionnels et amateurs tentent de sauver les animaux qui ont réussi à leur échapper. Ceux-ci sont déplacés dans des centres pour leur réhabilitation future. D’autres, trop gravement brûlés, ont dû être euthanasiés ou abattus sur place. Les professionnels songent aussi à laisser de la nourriture dans la forêt pour les animaux sauvages.
Le 23 août, un super tanker américain est venu prêter main forte aux trois hélicoptères boliviens envoyés par les autorités. Mais ce dernier est quasiment inutile, il ne peut décoller que d’un aéroport éloigné des zones en flammes et il lui faut 4 heures pour le remplir (au lieu d’une vingtaine de minutes normalement) faute d’outils adaptés. Il ne peut donc voler que quatre fois par jour. Une aide bienvenue mais totalement dérisoire d’autant plus s’il n’est pas assisté de combattants du feu expérimentés au sol pour éviter à l’incendie de reprendre.
De plus, ce super-tanker a été commandé en urgence par le gouvernement sous la pression populaire et sa colère palpable. Devant l’apathie manifeste des autorités, des Boliviens ont organisé une collecte de fonds pour acheter eux-mêmes du matériel de lutte contre les incendies. Le 24 août, ils ont manifesté dans plusieurs villes pour exiger du président de déclarer l’état d’urgence et de demander de l’aide internationale. Aide finalement demandée par Evo Morales le lendemain, une fois encore, tardivement et en réponse à la pression de la population.
L’aide venue d’Argentine (trois avions) a commencé à agir avant hier. Pourtant, cette aide matérielle était déjà sur place depuis plusieurs jours, mais réduite à l’inaction en raison de freins bureaucratiques. Il faut préciser que le président bolivien avait déclaré à plusieurs reprises que l’aide internationale n’était pas nécessaire alors que les flammes se rapprochent maintenant de Santa Cruz de la Sierra, la plus grande ville du pays. Un déni qui aura coûté de nombreux jours d’inaction, rendant la situation plus incontrôlable que jamais.
Conséquence, ce sont 800 000 hectares de forêt qui ont disparu en l’espace de seulement cinq jours, entre le 18 et le 23 août, preuve de la virulence des incendies (plus d’un million d’hectare aujourd’hui). Sans parler des animaux qui ont péri dans les flammes… Des dégâts que l’environnement local mettra au moins deux siècles à réparer, selon les experts. Outre la forêt, des terres agricoles ont été ravagées et des villes de plusieurs milliers d’habitants ont dû être évacuées. La société se mobilise pour leur faire porter eau et nourriture. Le coût économique est incalculable aujourd’hui.
Dans certaines zones sinistrées, l’air est extrêmement pollué par la fumée et de nombreuses personnes sont sans eau potable. Beaucoup pensent que les incendies auraient pu être contenus si l’aide internationale avait été autorisée à agir plus tôt. Mais s’il est trop tard pour s’interroger sur ce point, il est encore temps d’agir pour sauver ce qui peut l’être de la « Chiquitania ».
S. Barret
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