Photographe à tendance aventurier, Paul Coudrier s’est lancé dans un tour d’Europe en auto-stop, la tente sur le dos. Son projet : témoigner de la possibilité de vivre une aventure à moindre frais et au bilan carbone limité tout en s’enrichissant de rencontres. L’occasion aussi, pour le photographe, de proposer une réflexion sur la pratique de l’auto-stop afin de lui rendre sa place parmi les mobilités douces. Il nous partage son carnet de voyage responsable.
« A quoi bon m’préoccuper.
Du ch’min que j’dois emprunter
Où qu’il veuille aller,
Je saurai l’aimer »
– Thomas O’Malley
Redonnons tout son sens à la célèbre formule de Robert Louis Stevenson : « L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage ». Ce vieux poncif résume bien l’esprit des lignes ci-dessous. Exit l’injonction implicite aux selfies dans les spots les plus « instagrammables » à l’autre extrémité de la planète, du moment que l’expérience est bonne !
Peut-être gagnerait-on à repenser non pas en termes de consommation, mais de ce que l’on souhaite faire et comment on veut/peut le faire, sans forcément aller le plus loin possible, dans l’endroit le plus huppé ou le plus promotionnel… En d’autres termes, la question est celle du type d’image sociale à laquelle on s’accroche s’agissant de « voyage » : est-ce que pour se distinguer, il faut être parti à l’autre bout du monde ? Ou est-ce qu’il peut être plus distinctif à notre époque de réfléchir davantage à la définition de l’accès aux temps-libre (1) ?
L’idée, pour Paul Coudrier, est ainsi de proposer un aperçu des situations qui découlent d’un pouce levé et tente sur le dos, traversant l’Europe, en solitaire ou à plusieurs, durant ces cinq dernières années.
Repas partagés, rencontres incongrues, nuits insolites… C’est très simple, une fois photographié et posé sur l’écran. Mais qui l’eut cru avant le départ !
Une spontanéité doublée d’une simplicité bienvenue en cette Semaine européenne de la mobilité qui place l’économie d’énergie au cœur des débats. Sans compter la nécessité d’accélérer la décarbonation des transports, d’adopter une approche respectueuse de nos espaces naturels, de prendre part à une gestion des flux touristiques intelligente et juste (2)…
En dépit de son image peu engageante en lien avec les dangers de la route (criminalité, accidents, violences sexuelles, etc.), et n’échappant pas aux discriminations, l’auto-stop confirme malgré tout sa place aux côtés du train, de la marche et du vélo dans le panel des mobilités douces à disposition pour contribuer à un tourisme plus durable. Une popularité qui contredit les quelques critiques de « resquillage routier » purement économique.
La voiture individuelle représente à elle seule plus de 15% des émissions de GES en France. Partager un véhicule permet de diviser par deux les émissions de CO² de son trajet (3). En 2018, le covoiturage aurait ainsi permis d’économiser 1,6 million de tonnes de CO2 – soit l’équivalent des émissions générées par les transports à Paris en 1 an ! Mais on se doute bien – pour la plupart – qu’éviter de prendre la voiture fera du bien à l’environnement…
le covoiturage aurait ainsi permis d’économiser 1,6 million de tonnes de CO2
Par ailleurs, qui veut encore visiter une ville devenue une énième vitrine de la mondialisation ? A fortiori lorsque l’on sait que le tourisme de masse est responsable, selon les équipes de Datatagueule, de 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, entrainant par la même occasion les choix de consommation low-cost en produits industriels (4).
De plus, même à l’autre bout de la planète, se suivent les mêmes grandes chaînes de restauration, les mêmes logos, les mêmes relations aux lieux… Un sentiment familier et par le biais duquel se réduit de plus en plus le contact avec ce qui nous est complètement étranger.
Or, quel meilleur moyen de sortir de cette facilité, de découvrir des lieux locaux hors des sentiers battus qu’en tendant l’oreille aux recommandations des personnes qui vous ont prises en stop et qui connaissent les environs mieux que quiconque ?
L’occasion de découvrir cette buvette d’habitués, cette rivière pour se baigner, cette vieille fontaine à l’architecture atypique, de partager un repas, de profiter du gîte pour la nuit… En permettant de rencontrer des personnes que nous ne devrions jamais croiser dans notre vie au quotidien, l’auto-stop est une façon de réintroduire de l’étrangeté et de l’enrichissement culturel et humain.
Bien sûr, ce mode de transport prend généralement plus de temps. Dans ce cas, pourquoi ne pas partir moins souvent mais plus longtemps, prendre son temps et redonner au mot « voyage » tout son sens ? L’une des étymologies latines de « voyage » étant viaticus de la racine via, signifiant la « voie ».
En aucun cas il ne s’agit de basculer dans la moralisation et autre mise au pilori de nos désirs naturels de repos, de coupure et de légèreté. La démarche vise davantage à mettre en lumière une expérience personnelle ainsi que ses bienfaits communs pour ouvrir et inspirer d’autres imaginaires du voyage. C’est un élan vers toujours plus d’adéquation volontaire à des modes d’existence respectueux du monde qui nous entoure, comme de soi-même, de façon positive.
« J’avais conscience de cette « ringardise » […]. Je voulais réaffirmer ça avec le côté donquichottesque de l’auto-stoppeur ; il est quelqu’un qui se trompe d’époque et qui, de ce fait, ré-interroge la nôtre. » Sylvain Prudhomme
– Paul Coudrier – Photographe
Retrouvez les photographies de Paul Coudrier sur son compte instagram & son site internet.
Notes :
(1) Tourisme : Tristes tropismes – #DATAGUEULE 87
(2) Itinéraire Bis – Charte éditoriale
(3) Le covoiturage en France, ses avantages et la réglementation en vigueur