À la veille du Climate Finance Day qui a eu lieu le 27 octobre dernier, Oxfam France, les Amis de la Terre France et Notre Affaire à Tous ont exigé de la part de la banque française BNP Paribas un revirement massif et rapide de sa stratégie d’investissement. À travers une mise en demeure qui l’exhorte à se conformer à ses obligations légales en matière de protection de l’environnement, les trois ONG ont lancé une action juridique inédite, la première au monde à viser une banque commerciale pour ses activités à hauts risques climatiques dans le secteur pétro-gazier. Le compte à rebours est lancé : la banque « d’un monde qui (ne) change (pas) » à trois mois pour revoir sa copie.
Depuis des années maintenant, plusieurs associations alertent l’opinion publique et la sphère politique sur la lourde responsabilité de la finance dans la crise climatique. Parmi elles, Oxfam France, Les Amis de la Terre France et Notre Affaire à Tous tentent depuis une décennie d’amorcer un dialogue constructif avec le secteur financier et politique afin de faire cesser le financement de l’industrie des énergies fossiles, principales sources d’émissions de gaz à effet de serre.
Une première juridique
Elles dénoncent aujourd’hui les « refus des gouvernements successifs de réguler le secteur financier » et décident de franchir un pas juridique supplémentaire pour exiger un changement profond du secteur bancaire.
Après la mise en demeure de Casino pour sa responsabilité en matière d’atteintes aux droits humains, au climat et à la biodiversité en Amérique du Sud, et de Total Energies pour son impact climatique global, Notre Affaire à Tous, organisation spécialisée dans la justice climatique, initie le premier contentieux climatique au monde visant à mettre un acteur financier face à ses obligations légales et à demander l’arrêt immédiat du soutien aux nouveaux projets pétroliers et gaziers.
Un non-sens climatique
Et pour cause, alors que BNP Paribas s’affiche aujourd’hui comme la « première banque de l’Union européenne et un acteur bancaire international de premier plan », ses engagements en matière climatique sont loin d’être mirobolants.
« Alors que la communauté scientifique, les Nations Unies et l’Agence internationale de l’énergie demandent de renoncer à l’exploitation de toute nouvelle ressource d’énergies fossiles, la banque française soutient activement et massivement des groupes parmi les plus agressifs dans l’expansion pétrolière et gazière », expliquent les auteurs de la mise en demeure dans un dossier de presse. Et le résultat de ces choix d’investissement est sans appel : en 2020, l’empreinte carbone de BNP Paribas était supérieure à celle du territoire français, s’élevant à 749 millions de tonnes équivalent CO2.
Investissements fatals
BNP Paribas se classe ainsi comme le 1er financeur européen et 5ème mondial du développement des énergies fossiles, avec 55 milliards de dollars de financements accordés entre 2016 et 2021, soit après la signature des Accords de Paris à l’occasion de la COP21. La banque se montre particulièrement généreuse avec les 8 pionniers du secteur – Total, Chevron, ExxonMobil, Shell, BP, ENI, Repsol, Equinor – avec plus de 43 milliards de dollars de financements accordés à leurs activités dans les énergies fossiles durant la même période.
« BNP Paribas se distingue dans certains secteurs critiques pour l’environnement comme l’exploitation des hydrocarbures en Arctique, dont elle est le 1er financeur mondial, avec près de 6 milliards de dollars de financements accordés à ce secteur entre 2016 et 2021 », précise encore les ONG qui déplorent le manque de discernement climatique de l’entreprise.
Quand investir est un choix
Ainsi, la direction stratégique de la banque en matière d’investissement et de prêts pèse lourd dans son empreinte carbone. « Par leurs soutiens financiers à des entreprises, particuliers, collectivités ou États, en France ou à l’international, les banques permettent à ces acteurs de poursuivre et de développer leurs activités dans des secteurs bénéfiques à la transition écologique et sociale ou, au contraire, nocifs pour le climat, l’environnement et les droits humains », expliquent les trois organisations.
Au delà de leurs activités directes – bureaux, déplacements, consommation interne,… – l’impact climatique des banques résulte donc surtout des principales activités économiques qu’elles mènent, en finançant et en investissant dans des entreprises polluantes ou non. Pour BNP Paribas, 88 % des émissions de gaz à effet de serre résultaient de ses financements et investissements dans les entreprises en 2020, alors que le reste des émissions était associé aux crédits et investissements dans le secteur public et, marginalement, auprès des particuliers.
Un choix d’investissement qui laisse songeur quand on sait que, depuis 2016, 194 États à travers le monde se sont engagés à tout faire pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de la barre des +1,5°C. Selon Notre Affaire à Tous, les acteurs privés et financiers doivent également prendre leur part dans cette course contre la montre.
Devoir de vigilance
À défaut, ils risquent une condamnation qui pourrait bien leur coûter cher : « la loi sur le devoir de vigilance a explicitement consacré dans le droit français la responsabilité des multinationales, y compris des acteurs financiers, en matière de protection de l’environnement et de respect des droits humains. Malgré des effets d’annonces, les mesures de vigilance prises par BNP Paribas, 1er financeur européen du développement des énergies fossiles, pour se conformer à la loi ne s’avèrent ni suffisantes ni adaptées », constate Justine Ripoll, responsable de campagnes pour Notre Affaire à Tous.
C’est sur cette base légale que les trois organisations françaises ont déposé une mise en demeure censée exhorter l’institution bancaire à se conformer aux prescrits légaux en matière climatique. Une théorie juridique encore inappliquée jusqu’à ce jour par les tribunaux, puisqu’il s’agit du premier pas vers une action en justice inédite basée sur le devoir de vigilance des entreprises. BNP Paribas a désormais trois mois pour se mettre en conformité avec la loi, délai à partir duquel, en l’absence de réponse satisfaisante, les associations pourront se tourner vers le juge.
Une épine dans le pied du géant bancaire
Si la mise en demeure a été signifiée le 26 octobre dernier, cette date est loin d’avoir été choisie au hasard. Elle se calque en effet sur le début du Climate Finance Day, un évènement annuel majeur qui rassemble chaque année l’industrie financière mondiale pour partager les meilleures pratiques en matière de finance durable et prendre de nouveaux engagements pour lutter contre le changement climatique. De quoi jeter un pavé dans la marre du géant bancaire BNP qui prétend avoir « fait du changement climatique une priorité depuis plusieurs années ».
Reste à savoir si ce lancé parviendra à provoquer quelques remous salutaires dans le secteur bancaire français et européen. Pour Alexandre Poidatz, responsable de plaidoyer à Oxfam France, « chaque nouveau projet fossile financé par BNP Paribas, c’est davantage de sécheresses, d’inondations, de feux de forêt, et mais aussi de hausse de prix de l’énergie, y compris pour les citoyen·nes en France ».
Cette initiative a donc aussi l’objectif de sensibiliser et mobiliser l’attention du grand public face au poids astronomique du secteur financier dans la lutte contre le dérèglement climatique. « Ce qui s’ouvre c’est le procès d’un monde qui change, afin que la finance d’aujourd’hui façonne le monde durable de demain », conclut le chargé de plaidoyer.
– L.Aendekerk